mercredi 14 janvier 2015

Côte d’Ivoire – Cinéma : un cartoon total mandingue

Après Pokou, princesse ashanti, Afrikatoon sort un nouveau long-métrage : Soundiata Keïta, le réveil du lion. L'histoire animée, débridée et en 3D de l'empereur du Mandé.

Kan Souffle, créateur et grand manitou de l'aventure
 Afrikatoon. © Vincent Kowalski pour J.A.
En juillet 2013, dans les salles de cinéma abidjanaises, les Ivoiriens avaient pu découvrir Pokou, princesse ashanti, le premier long-métrage du studio Afrikatoon. Un dessin animé qui raconte l’exil de la princesse ashanti qui, au XVIIIe siècle, décida de quitter son royaume en pleine division (qui couvrait les deux tiers de l’actuel Ghana) pour rejoindre de nouvelles terres (qui deviendront la Côte d’Ivoire).

Toujours avec l’objectif de raconter les belles histoires du continent, le studio abidjanais vient de réaliser un second film d’animation, de soixante-dix minutes, sur Soundiata Keïta, figure emblématique de l’Afrique de l’Ouest. 
Accédant au trône malgré son handicap, ce prince du XIIIe siècle apporta prospérité et justice au royaume du Mandé (l’actuel Mali), où il instaura notamment la charte du Mandé, considérée comme la première déclaration universelle des droits de l’homme. Mêlant l’Histoire à l’humour et à la fiction, Soundiata Keïta, le réveil du lion est sorti en août dans les salles abidjanaises (où il est toujours projeté).

Le secteur en est encore à ses balbutiements en Afrique de l’Ouest

Le studio Afrikatoon est né en 2005 sous la bannière de l’hebdomadaire satirique Gbich ! (onomatopée signifiant "coup de poing") et les conseils avisés de son directeur de publication, le dessinateur Lassane Zohoré, également producteur des films conçus et animés par les illustrateurs et infographistes du studio.


Parmi eux, Abel Kouamé, 36 ans, plus connu sous son nom d’artiste, Kan Souffle. Originaire de Yopougon, nourri aux comics américains, diplômé de l’École nationale des beaux-arts d’Abidjan et formé à l’animation en France, l’illustrateur et bédéiste est devenu le premier réalisateur ouest-africain de longs-métrages animés. Après s’être fait connaître, en 1999, avec sa bande dessinée Gbassman et son "super-héros à l’africaine", comme il le dit lui-même, Kan Souffle a voulu donner vie à ses planches en les animant. C’est naturellement "avec la grande famille de Gbich !", pour laquelle il dessinait déjà, qu’il tente le pari de créer un studio d’animation. Le secteur, qui en est encore à ses balbutiements en Afrique de l’Ouest, nécessite non seulement des qualités artistiques, mais aussi des compétences techniques pluridisciplinaires et des moyens financiers.

Modeste, d’une voix calme et assurée, Kan Souffle, aujourd’hui directeur artistique du studio, revient non sans une certaine nostalgie sur ses débuts dans un local exigu de la Zone 4. Une salle, du papier, des ordinateurs équipés de logiciels complexes et entourés de ventilateurs pour éviter la surchauffe pendant les calculs… Le laboratoire Afrikatoon est lancé. Pour se faire la main et générer des revenus qui, plus tard, leur permettront de choisir leurs productions, les artistes se concentrent, pendant deux ans, sur les films de commande institutionnels et publicitaires.

En 2007, ils décrochent leur premier gros contrat : la réalisation d’une campagne de 22 films d’animation en 2D, de deux minutes chacun, pour l’opérateur Côte d’Ivoire Télécom. L’équipe se met au travail sans compter ses heures afin de livrer des spots aux finitions parfaites. Une formidable carte de visite pour présenter les compétences du studio, de son commando d’illustrateurs, graphistes, scénaristes, acteurs (pour les voix), et attirer de nouveaux clients. Les recettes vont aussi permettre à Afrikatoon d’envisager la réalisation de ses propres projets, notamment un long-métrage d’animation en 3D.


Une ambiance "geek-satirique"

En 2008, le studio s’installe dans les locaux de Gbich ! à Koumassi-Remblais. L’ambiance est "celle d’un joyeux bordel", un peu "geek-satirique" et très arty. On déjeune parfois devant les ordinateurs, que l’on ne quitte le plus souvent que tard dans la nuit, les yeux cernés et rougis par les écrans.

Kan Souffle s’attelle à la formation d’une équipe avec les moyens du bord. Non sans difficultés – les compétences recherchées étant très spécifiques -, il parvient à réunir six infographistes, quatre illustrateurs, une scénariste et une assistante de réalisation, tous ivoiriens (une volonté plus qu’un critère), qui travaillent d’arrache-pied pendant deux ans pour mettre en scène et en image l’histoire de la princesse Pokou. Un défi relevé avec un petit budget, sur fonds propres de 96 millions de F CFA (146 350 euros).

C’est en juillet 2013 que les Abidjanais ont pu découvrir ce premier film d’animation ivoirien de soixante-cinq minutes, projeté aux cinémas Primavera (Prima Center, à Marcory) et La Fontaine (galerie Sococé, à Cocody). Le graphisme est soigné, l’animation fluide, les dialogues bien sentis et la sensibilité ouest-africaine remarquablement exprimée. Le tout renforcé par un rendu en 3D littéralement captivant.

Un premier essai indéniablement transformé puisque, rien que dans ces deux salles, Afrikatoon parvient à rembourser jusqu’à 60 % de son budget initial. Kan Souffle est clair : "Ce n’est pas rentable, mais nous n’avons pas voulu faire appel à des financements internationaux dont nous ne maîtrisons pas les rouages." Reste que, pour le studio, qui continue de produire des spots publicitaires, Pokou est le coup d’éclat qui lui a permis de montrer tout ce dont il est capable. Le film a d’ailleurs fait le tour des festivals internationaux de cinéma en 2014, de Ouagadougou (Burkina Faso) à Montréal (Canada) en passant par Annecy (France).

Faire connaître les héros africains

Chez les Anglo-Saxons, les collaborateurs d’Afrikatoon seraient sans nul doute qualifiés de workaholics, c’est-à-dire d’addicts au travail – et de travail bien fait. À peine Pokou achevé, ils se remettent à la tâche. Même budget, même équipe, avec une douzaine d’acteurs, pour raconter et animer en 3D les aventures d’un autre héros africain exemplaire ayant marqué l’enfance du storyteller Kan Souffle… Il se souvient encore du petit Abel, assoupi dans sa salle de classe de l’école primaire de Yopougon. Il était environ 14 heures.

Brusquement, il se réveille lorsque l’instituteur se met à raconter l’épopée de Soundiata Keïta, le légendaire souverain mandingue, fondateur de l’empire du Mali. "Afrikatoon est le seul studio à produire des longs-métrages d’animation en Afrique de l’Ouest. Pour nous, il est très important de contribuer à faire connaître des légendes africaines, explique Kan Souffle. Nous souhaitons valoriser la dimension éducative de nos films, qui sont des outils ludiques pour les enseignants et une manière de perpétuer un patrimoine africain en le transmettant aux plus jeunes."


Le studio se veut aussi un lieu de formation aux métiers de l’animation, un domaine artistique et technique encore émergent en Afrique francophone. Fin août, à l’occasion de la sortie en salles de Soundiata Keïta, il a d’ailleurs lancé un concours vidéo 2D-3D intitulé "Anime ta plus belle légende d’Afrique". Les prix des trois lauréats : trois stages de deux semaines à Afrikatoon.

"Nous souhaitons valoriser des talents, mais aussi insuffler une dynamique de l’animation en Afrique", souligne Kan Souffle le bien nommé, qui entend transmettre son savoir-faire et sa passion. Une manière de découvrir de nouveaux talents et, peut-être, de futurs collaborateurs. D’autant que le studio entame déjà son troisième long-métrage. Pour la première fois, ce sera une pure fiction : l’histoire d’un masque africain méprisé de tous qui finira par sauver son village.

Soundiata Keïta, le réveil du lion – Film d’animation en 3D,  www.soundiatalefilm.com

Par Joan Tilouine - Source de l’article Jeune Afrique

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