mercredi 27 mai 2009

La BD en ebullition



Si le berceau du 9e art est la Belgique, la France, qui est celui de l’exception culturelle n’a rien à envier à sa voisine. 

La BD en ebullition | Camille SolerLe pays d’adoption de la BD compte autant de styles que de créateurs régulièrement célébrés à travers bon nombre de manifestations. 
Certaines sont devenues des institutions indétronables : le festival international d’Angoulême fêtait cette année ses 35 ans. 
Adaptations de romans, polars, histoires fantastiques, œuvres pédagogiques, satires politiques… 
Tous les goûts s’y retrouvent pour que chacun puisse pénétrer un monde de bulles sans être qualifié de grand immature... La BD semble bel et bien sortie de l’infantilisme dont elle souffre encore auprès d’un lectorat qu’elle peine à sensibiliser dans d’autres pays. Les enfants élevés aux fanzines ont grandi, et forment aujourd’hui une vague de bédéphiles qui fait prospérer le 9e art. Il ne s’est jamais aussi bien porté. 
Au point que ses figures emblématiques, Astérix et Obélix ont été deux fois portées au grand écran. Quant à Tintin, le premier épisode d’une trilogie réalisée par Steven Spielberg fera sa sortie cinématographique en 2011… 
C’est d’ailleurs au cinéma que se révèle une certaine tendance à renouer avec le genre du côté du Moyen-Orient. On devine qu’une nouvelle génération d’artistes méditerranéens trempe sa plume dans une encre toute fraîche et pertinente pour poindre des visions du monde bien singulières. Valse avec Bachir d’Ari Folman a conquis le grand public occidental. Il vient de recevoir l’Oscar du meilleur scénario documentaire et de sortir en BD. Au-delà des controverses autour d’une vision unilatérale du massacre de Sabra et Chatila, on s’accorde à dire qu’il existe bel et bien là une nouvelle esthétique graphique qui questionne l’ordre politique et social d’une manière originale et séduisante. Alors, la bande dessinée classée principalement « littérature jeunesse » connaîtrait-elle un nouveau départ chez nos confrères orientaux? Du côté des lecteurs, de quel œil voit-on ces œuvres qui poussent toujours plus loin les conventions par besoin d’exprimer une urgence artistique? 

Le 9e art : naissance ou renouveau ? 
Autour de la Méditerranée, bon nombre de pays confinent encore la bande dessinée au simple rôle de divertissement. L’image enfantine lui colle à la page… Bien sûr : les livres avec des images sont faits pour les enfants! Les pays arabes ne font pas figure d’exception. La BD y est considérée comme un art mineur, qui sert essentiellement de distraction au jeune lectorat. Au mieux, elle s’utilisera à des fins pédagogiques. 
Ce qui n’encourage pas forcément l’évolution du genre… S’il est vrai qu’elle prend racine dans les revues de jeunesse, la caricature très pratiquée à Beyrouth et au Caire notamment en est aussi un ancêtre connu. Et c’est précisément dans ces deux villes que souffle un nouveau courant. 

Les concepteurs, eux, ont bien compris que ni le dessin ni le texte contenus dans une vignette ne sont l’illustration l’un de l’autre, mais que les deux se complètent et séduisent de plus en plus d’adultes. Aujourd’hui, la tendance est au roman graphique, et les méditerranéens ne sont pas en reste dans la pratique du genre. Celui-ci semble avoir trouvé des maîtres en la matière, qui rendent toujours plus ardu le débat sur ses signes distinctifs. Le format BD originel et les contraintes qu’imposait autrefois l’édition des journaux ne lui correspondent plus. Destiné aux adultes, généralement en noir et blanc, chaque roman graphique invente sa propre genèse au fil des pages. Le lisible ne donne pas seulement sens au visible, mais l’un et l’autre se confondent dans une architecture visuelle et narrative qui réinvente le sens de l’espace livresque. 
Ce n’est pas un hasard si on s’empare de cette pure liberté pour donner corps à des émotions personnelles quotidiennement étouffées. Quoi de plus exaltant et à la fois déroutant qu’une page blanche? C’est, par excellence, le point de départ de toute œuvre, l’endroit qui donne un sens poétique à des sujets souvent graves. Mais à quel prix ? 


« Tant qu’il n’y aura pas une BD résolument dirigée vers un public intelligent, où les choix esthétiques des auteurs se laissent découvrir, où des sujets importants et jusque-là tabous sont traités -et ce dans une presse attentive aux richesses de cet art-, aucun véritable courant ne pourra naître. » 
La triste épopée du premier roman graphique arabe rend cette remarque obsolète. Metro, de Magdy El Shafee. a été nommée en 2006 « meilleure bande dessinée africaine » par l’UNESCO. Shihab, jeune ingénieur cairote décide de cambrioler une banque pour s’acquitter d’une dette contractée auprès de fonctionnaires corrompus. Un politicien lui propose un marché, Shihab cache son butin dans le Metro et l’affaire est étouffée. Mais la suite des aventures de Shihab et son ami Mustafa dans les rues escarpées d’une cité chaotique maintient le lecteur dans une tension qui reflète le vrai visage d’une capitale trop souvent parée dans les médias d’un exotisme envoûtant… Il aborde, dans sa forme et son contenu des sujets aussi déplaisants pour certains que la corruption, l’insécurité sociale et financière ressentie par une bonne partie de la jeunesse égyptienne … 
Le marché de l’édition imposant un certain nombre de normes morales, est peu enclin aux prises de risque que représente ce type d’esthétique, peu conventionnelle et trop désinvolte. L’œuvre a ainsi été éditée par El Malameh. Cette jeune maison d’édition alternative fondée par Mohamed El Sharkawy est bien connue des bloggeurs dissidents. Suite à une dénonciation par l’avocat présumé de la Hisbah, Saleh al-Derbashy, elle est perquisitionnée en avril 2008. Le roman graphique tombe sous le coup de l'article 178 du code pénal égyptien qui criminalise l'impression ou la distribution de publications qui «enfreignent la décence publique». 
Les exemplaires de Metro lui sont confisqués, et les libraires sont sommés de retirer l’œuvre de la vente. L’éditeur - qui n’en est pas à sa première expérience du genre - et l’écrivain risquent tous deux la prison. « Dans ce roman, il est fait mention de l’homosexualité. De plus, les auteurs incriminent la police en affirmant que celle-ci ne respecte pas les droits de la population. Métro invite à l’anarchie », expliquera l’avocat au quotidien The National. Que ce soit l’unique scène d’amour (qui se passe sous une couverture) ou la trop grande liberté de ton, tout prétexte est bon pour freiner l’identification d’une jeunesse égyptienne désabusée à un héros de fiction dont les aventures dévoilent une vérité qu’il vaut mieux taire… Le 4 avril dernier se tenait le procès de l’auteur et de son éditeur, soutenus par un certain nombre d’associations. La décision de justice ne sera rendue qu’à l’issue de son report le 23 mai. 

La voie est plus libre pour les jeunes Libanais. Les contemporains de la guerre inversent la tendance en portant un regard d’enfant sur un monde qui dépasse les adultes. Avec des œuvres qui ne sont pas sans rappeler l’univers de Marjane Satrapi, Zeina Abirached (éditée en France par Cambourakis) évoque ses souvenirs d’enfance dans une ville dévastée par la guerre avec une sensibilité toute fraîche. Mazen Kerbaj a quant à lui un humour corrosif. L’innocence de son ton prête d’abord à sourire tendrement avant de muter vers une ironie grinçante qui vous fait rire aux éclats avant de vous glacer le sang.... 
Ce ne sont plus là les petits qui font l’apprentissage du monde des adultes par la BD. Celle-ci tend un miroir aux aînés qui prennent conscience de l’absurdité de leur monde à travers le quotidien conté par les plus jeunes. 
Au Liban toujours, on note la création de Samandal, une revue spécialisée visant à publier des formes de bande dessinées venant du monde entier, traitant de sujets sociaux, politiques et religieux avec pertinence. Située dans la capitale, elle se veut une plateforme pour tous les jeunes créateurs arabophones qui ne voyaient jusqu’ici leur pratique s’exercer que dans le plus strict dilettantisme. Pour un rayonnement international, ses publications sont téléchargeables gratuitement sur internet. Chaque œuvre y est traduite en arabe, en français et en anglais avec une mise en page soucieuse du respect de l’identité de l’oeuvre. Son coût moindre étant le garant de sa popularisation, elle ne peut encore prétendre vivre de ses produits commerciaux Cependant, avec une dépendance aux fonds culturels publics indispensables à sa survie et un risque de censure dans certains pays, la revue est encore fragile. 

Dans un tout autre style, les Etats Unis semblent tendre les bras vers l’Egypte avec Cairo, réalisée par G. Willow Wilson, jeune journaliste exerçant dans l’un et l’autre pays. On y retrouve certains clichés comme le tapis volant ou un narguilé dans lequel se cache un génie capable d’exaucer trois vœux… Mais surtout un message d’espoir de paix à travers la rencontre d’un journaliste, un soldat israélien, un jeune activiste et un expatrié. A quand la traduction en arabe et en français ? 

Une autre collaboration entre les deux continents rencontre un grand succès dans le monde arabe, particulièrement en Egypte et sera éditée en France dès le mois de juin par Raï Média. 
Les 99 a été lancée au Koweït par Naïf al-Mutawa. Elle conte les aventures d’autant de personnages qui incarnent les 99 qualificatifs d’Allah. Réunis autour de Ramzi Razem (psychologue et historien à l’UNESCO), ils ont pour mission de retrouver les 99 joyaux symbolisant la puissance et la sagesse de la civilisation portée par le califat de Bagdad, détruite par l’invasion des barbares mongols au milieu du XIIIe siècle. Loin des bd pour enfants aux clichés orientalisants, son succès repose sur une juste synthèse des valeurs solidaires et puissantes de l’islam représentées par des personnages qui rappellent les super héros américains tout droit sortis de l’imaginaire judéo-chrétien. Si les 99 emprunte à la tradition des comics (le dessinateur, Dan Panosian, vient des studios new-yorkais de Marvel), elle ne berce pas dans la nostalgie de l’identité culturelle arabe : elle l’actualise et pose la question de la globalisation culturelle arabe. 

Avec tout cela, que penser de la concurrence de la France et de la Belgique qui s’exerce depuis les années 60 ? Le succès des mangas et comics depuis les années 70? Ils laissent certes peu de place aux initiatives locales, mais leur absence n’aurait pas permis l’émergence de ces jeunes talents qui se sont nourris des particularités venues d’Europe, d’Amérique et d’Asie pour enrichir la diversité culturelle. Elle met également en valeur le courage et la persévérance de certains créateurs comme Magdy El Shafee, qui a consacré 5 ans à Metro et à qui on souhaite toute la liberté d’expression nécessaire à l’expression de son talent… Pour longtemps* ! 

Par Camille Soler - Source de l'article Babelmed

•Pour plus d’informations, vous pouvez consulter et commenter les liens suivants: 

vendredi 8 mai 2009

Dessin animé : Une école en projet à Alger


« Ici, je retrouve mon enfance. Il me manquait une aile… » René Borg, 76 ans, natif de Tunisie, monstre du film d'animation, est venu en Algérie la semaine dernière avec une ambition : créer prochainement une école du dessin animé à Alger. L'homme a de l'expérience. A 26 ans, il débute en autodidacte dans les dessins animés pour l'armée avant de donner vie aux immortels Shadocks dix ans plus tard. 


René Borg est aussi le papa de Oum le dauphin, célèbre pour avoir fait la promotion du chocolat Galac. Il se lancera ensuite dans les dessins animés pédagogiques : on se souvient d'Ulysse 31, adaptation enfantine des aventures du célèbre héros de la mythologie grecque d'Homère. Ou encore de Il était une fois l'homme. La vie. Ou l'espace. « Toute cette expérience, je veux la mettre au service de ces jeunes talents algériens, explique-t-il, des dessinateurs éparpillés un peu partout, sans rien ni personne qui centralise ces énergies. » 

Le dessin animé n'a jamais été une priorité en Algérie. Le pays lui a toujours préféré son plus noble frère, le cinéma. « Nous sommes dans une période flottante, affirme Rachid Dechemi, un des concepteurs du projet, où tout doit être restructuré. Le cinéma mais aussi tout le cadre juridique, pour créer un marché, des festivals, la formation des critiques… C'est là que le dessin animé arrive, comme un moyen pour véhiculer une identité forte de l'Algérie pour les enfants. » 
La production algérienne en matière de dessins animés est quasi inexistante. Une tentative de la société Numédias de créer une série sur l'Emir Abdelkader et les débuts de la colonisation a avorté, faute de moyens. « Il faut produire à l'international », affirme Yacef el Hocine, troisième compère embarqué dans l'aventure. Il parle avec l'expérience de La Bataille d'Alger de Gillo Pontecorvo, film qu il a produit avec son frère Yacef Saâdi. « L'Algérie est le seul pays du Tiers-Monde à avoir raflé toutes les plus grandes distinctions dans le cinéma mondial : la Palme d'or avec Chronique des années de braise de Mohamed Lakhdar Hamina, le Lion d'or avec La Bataille d'Alger, des Oscars avec Z de Costa Gavras… Il n'y a aucune raison pour que nous ne soyons pas leaders dans le dessin animé. Il faut juste la volonté de le faire. » 

Et de la ténacité pour surmonter les difficultés, comme celles rencontrées par René Borg pour vendre son personnage Joha ou Djhaa. Ce petit bonhomme emblématique du bassin méditerranéen qui fait son apparition dès le VIe siècle en Tunisie, Egypte, Algérie, Malte jusqu'en Iran avec ses contes humoristiques. 
René Borg a déjà en boîte dix-neuf épisodes, mais la confrontation avec le marché occidental s'est conclue en choc des civilisations. Au festival du MIP-TV à Cannes en France, un producteur mondialement connu m'a hurlé : « Fous le camp de mon stand, je ne veux rien voir, ton Djhaa c'est Khomeiny ! » 
Le réalisateur préfère rester optimiste : « Toute la culture que portent les nations arabes et musulmanes est un trésor pour le dessin animé. Un atelier de production algérien pourrait même sous-traiter pour de grandes productions européennes et créer des emplois », affirment les concepteurs du projet. 
Reste à trouver un partenaire. Jusqu'à présent, l'Ecole des beaux-arts d'Alger, pressentie pour collaborer à la création d'un département de dessins animés, tend une oreille polie mais reste prudente. « Il faut mener l'idée à maturité, rien n'est encore arrêté quant au statut de l'école qui pourrait tout aussi bien être un département ou une filière au sein de l'Ecole des beaux-arts », prévient Nacer Kaceb, son directeur. La balle est désormais dans le camp des autorités. 

Par Ahmed Tazir - Source de l'article El Watan & Djazaïress