Wonder Woman et Ramzi, Superman et Jabba... Les héros des
"comics" américains vont investir le monde des 99, ces super-héros
musulmans apparus en 2006.
Ils sont dotés d'une plastique de rêve, de pouvoirs surnaturels et d'une vertu sans faille. Et ils sont musulmans. Antinomique ? Seulement si l'on amalgame islam et intégrisme. C'est cette confusion dangereuse que combat Naif Al-Mutawa, l'auteur et éditeur koweïtien de la bande dessinée à succès Les 99.
Avec ses super-héros de papier, l'auteur est parti à l'assaut de son plus grand démon, l'extrémisme. "Je devais trouver un moyen de reprendre l'islam des mains de ceux qui l'avaient pris en otage", a expliqué Naif Al-Mutawa dans une lettre publiée sur le site BBC News.
Chacun doué de l'un des 99 attributs d'Allah, tels la clémence ou la générosité, ces champions de l'islam unissent leurs forces pour affronter le Mal. Un triomphe! Créé en 2006, le comic est aujourd'hui vendu à un million d'exemplaires par mois en plusieurs langues, et le magazine américain Forbes l'a classé parmi les 20 grandes tendances de la culture populaire mondiale.
Le succès est tel qu'il déborde le seul champ littéraire : alors qu'un premier parc à thème a été ouvert cette année au Koweït, la compagnie Endémol a décidé d'adapter la série en dessin animé. Et l'aventure vient de prendre une dimension inattendue avec l'irruption de nouveaux super-héros. Les éditions DC Comics ont en effet accepté de prêter leurs personnages à Teshkeel Comics, la maison d'édition de Naif Al-Mutawa. Les très occidentaux Wonder Woman, Batman et Superman devraient ainsi rejoindre les 99 dès l'année prochaine. Domar Idrissi, le directeur de Raï Media, la maison d'édition qui publiera Les 99 en France dès la rentrée, répond à nos questions.
Votre maison d'édition travaille en ce moment à la traduction de deux albums de la bande dessinée koweïtienne Les 99. Quand ces ovnis littéraires débarqueront-ils dans nos librairies ?
Nous étions supposés avoir fini la traduction pour cet été mais nous avons pris un peu de retard. Dès la rentrée, deux albums seront diffusés en France. Le premier, intitulé Les Origines, sera progressivement publié dans Raïmag, un gratuit tiré à 35 000 exemplaires distribué principalement à Lyon et Marseille et qui s'adresse à une population issue de l'immigration arabo-musulmane. Le second, Avis de Tempête, sera diffusé de façon plus traditionnelle dans les librairies, les magasins spécialisés dans la BD et peut-être dans quelques lieux communautaires. C'est une première mondiale! Après les pays arabo-musulmans, les Etats-Unis, le Canada... la BD va enfin arriver en France, et toucher un public francophone.
Qu'est ce qui vous a séduit dans Les 99?
La dimension culturelle de cette histoire. On connaissait jusqu'ici les BD de Marvel (comme Hulk, Spider-Man, Les X-men, Iron-Man... NDLR) et les mangas, qui sont très enracinés culturellement. Dans les bandes dessinées classiques, c'est toujours l'Amérique qui sauve le monde à travers des super héros d'origine américaine. Les 99 met enfin en scène des personnages bienveillants issus d'une autre aire culturelle, l'aire musulmane.
De quelle manière?
L'histoire du premier album débute en 1258, alors que le petit-fils de Gengis Khan et sa horde mongole s'emparent de Bagdad. L'auteur, Naif Al-Mutawa, a exploité ce fait historique pour en tirer une fiction: afin de sauver la Maison du Savoir, les gardiens du Califat en extraient les connaissances grâce à l'alchimie qui permet de les conserver dans 99 pierres dispersées aux quatre coins du monde. Des centaines d'années plus tard, les pierres sont retrouvées une à une par les personnages de la BD, qui acquièrent à leur contact des dons surnaturels et deviennent les 99. Symbolisant chacun l'une des 99 perles du chapelet musulman, ces nouveaux héros incarnent les 99 qualités d'Allah, qui vont de la sagesse à la générosité. Mais il faut préciser qu'au-delà de cette différence culturelle, l'auteur a choisi de conserver la veine des BD traditionnelles: on retrouve le même style de graphisme, le même mythe fondateur traditionnel du super héros, qui implique la détention de super pouvoirs, la capacité à se métamorphoser, la lutte du Bien contre le Mal...
Justement, quelle sorte de Mal les 99 combattent-ils?
Le Mal n'est pas directement identifiable dans Les 99. Prenons l'exemple du conte, dont la bande dessinée n'est qu'une variante. Dans les histoires pour enfants ou les légendes, le Mal ne fait référence à aucun événement ou personnage réel. L'intérêt de cette forme de littérature réside dans la nature imaginaire du monstre, qui pousse l'enfant à lire entre les lignes et à refléter sa propre angoisse dans un dragon ou une créature surnaturelle menaçante. C'est le même mécanisme qui agit dans les comics, à la seule différence qu'il n'y a pas de forêts obscures peuplées d'ogres ou de sorcières, mais un monde bien réel, situé à notre époque et où vivent nos contemporains.
Ne peut-on pas voir dans ces forces maléfiques la métaphore d'un fait d'actualité?
Les super héros transcendent le fait d'actualité. Ils luttent pour des principes généraux, contre des forces obscures sans nom qui menacent la stabilité de l'humanité. Nous sommes loin d'un Captain America luttant clairement contre le communisme dans les années 1940. Dans Les 99 comme dans les bandes dessinées contemporaines, le Mal ne représente plus rien d'actuel. Mais il peut en effet symboliser les extrémismes.
Quel message porte l'auteur?
Les 99 véhicule des valeurs de tolérance, d'ouverture, mais aussi - et c'est une grande nouveauté - de solidarité. L'auteur a ajouté une dimension coopérative au genre; plutôt que de lutter seuls en super-vedettes, les héros ont des pouvoirs complémentaires et combattent le Mal ensemble.
A qui s'adresse la série?
Elle est destinée à deux types de population. Les 99 s'adresse à nos compatriotes issus de l'immigration maghrébine, du Proche Orient, etc. qui pourront y retrouver leur culture d'origine. Mais Naif Al-Mutawa cherche aussi à construire une passerelle avec tous les amateurs de comics, quel que soit leur pays d'origine.
Comment va-t-il s'y prendre ?
En créant des super héros arabo-musulmans venant de 99 pays du monde. Ses personnages sont cosmopolites. Nous avons déjà un londonien d'origine pakistanaise, un sud-africain, un saoudien, un hongrois.... Mais Naif Al-Mutawa va franchir un pas supplémentaire en introduisant dans ses histoires les personnages de comics américains, tels que Superman ou Batman. Au-delà de leurs différences culturelles, les héros combattront pour les mêmes valeurs, pour préserver le Bien contre toutes les forces qui le menacent. Cette rencontre est très symbolique.
L'irruption de personnages tels que la provocante Wonder Woman ne va-t-elle pas poser un problème de respect des coutumes et de la culture des héros existants?
Nous avons déjà une Noora et une Nunita en costumes de super-women très moulants. Ce sont ces personnages arabo-musulmans qui ont pu poser des difficultés au début, comme en Arabie saoudite, où l'éditeur a rencontré quelques résistances. Toute société est toujours traversée par ses contradictions. Mais la BD est aujourd'hui diffusée dans l'ensemble du monde arabo-musulman.
Vous comptez faire paraître une version francophone des premiers albums de la bande dessinée dès la rentrée. Ne craignez-vous pas que le public français voit dans Les 99une forme détournée de prosélytisme?
Les 99 incarnent certes les valeurs de l'islam. Mais ces valeurs sont les mêmes que celles des autres religions monothéistes, ce sont des valeurs humanistes qui peuvent par conséquent prétendre à une certaine universalité. L'homme qui fait référence au sacré ne le fait pas pour crisper les autres ou faire le mal autour de lui, bien au contraire. Dans chaque pays, nos croyances, qu'elles soient politiques ou religieuses, ont toutes développé une forme d'extrémisme à leurs marges. Il y a des endroits où cet extrémisme s'est manifesté de manière très violente et visible, ce qui a fortement nui à leur réputation. C'est à la suite du 11 septembre que Naif Al-Mutawa a décidé de créer Les 99, dans le souci de refléter une autre image des sociétés arabo-musulmanes que celle qui a été relayée par les médias à ce moment là.
Mais certains personnages lisent le Coran, et une super-héroïne porte une burka. Cela pourrait choquer...
Lorsque je fais défiler dans ma tête les super-héros américains de Marvel, je vois en majorité des personnages blancs et de sexe masculin. Dans Les 99, on retrouve à peu près le même nombre d'hommes et de femmes, et les super-héros sont de toutes les couleurs. La tolérance est vraiment le maître-mot de cette bande dessinée.
Certes Batina The Hidden, qui vient du Yémen, porte une burka, mais avec toute l'ambiguïté du costume de super-héroine qui y est associé: sa tenue rappelle le masque de Zorro ou évoque l'image d'un loup. Et l'auteur ne pouvait pas ignorer la tenue traditionnelle que portent les femmes yéménites. Ce voile-là n'est pas une option intégriste : si l'auteur avait choisi de le représenter par idéologie, il n'aurait pas revêtu ses autres héroïnes de justaucorps moulants. Ou c'est qu'il est en proie à une schizophrénie inquiétante!
L'explication est la même pour les personnages qui lisent le Coran dans la BD. L'histoire a lieu dans des villes arabo-musulmanes. Comment ainsi ne pas dessiner des femmes portant un foulard ou des personnes lisant le Coran devant des mosquées? Pouvez-vous imaginer une bande dessinée se situant dans un Paris où les églises seraient inexistantes?
Vous avez sans doute un ou deux petits éléments à nous dévoiler en avant-première sur la prochaine rencontre entre les super-héros américains et leurs confrères musulmans ...
C'est encore top-secret. Mais on pourrait imaginer un Superman survolant un lieu saint avec Noora dans les bras, qu'il déposerait ensuite doucement à terre...
Pour plus d'informations : Contact.raimag@gmail.com
Par Céline Rouzet - Source de l'article l'Express
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