Pourquoi avoir intitulé le film Viva Carthago, alors qu’en fait la fable n’est pas centrée sur Carthage?
Il est vrai que cette série de dessins animés de 13 épisodes de 26 minutes comporte trois épisodes qui évoquent Carthage, mais le film est en fait un montage cohérent focalisant sur la fuite des héros après la chute de Carthage. Le film a en fait pour intitulé Les Naufragés de Carthage et met en scène les aventures d’une équipe d’aventuriers carthaginois menée par un garçon de dix ans qui traverse le temps à bord d’un vaisseau enchanté et qui partent à la découverte des rives de la Méditerrannée et de l’antiquité pharaonique, grecque et carthaginoise.
Et à travers ces péripéties, c’est la civilisation phénicienne qui est véhiculée.
Justement, pourquoi ne pas avoir focalisé le film sur l’histoire de Carthage?
Pour une certaine cohérence du propos, je vous l’ai dit, il y a eu un remontage pour le film. De toute façon, on ne cache pas que le film est un extrait de la série et si nous avons tenu à sortir sur les écrans la version film Viva Carthago, c’est essentiellement pour avoir ce contact avec le public d’enfants de 8 à 14 ans auxquels la série est destinée.
C’est aussi une manière de créer l’événement et de susciter l’intérêt autour, aussi bien du film que de la série. Le film est une valorisation symbolique du produit, ce n’est qu’une vitrine au fond.
Mais le fait d’avoir tiré un film est aussi une exigence d’un des bailleurs de fonds, en l’occurrence le ministère de la Culture et de la Sauvegarde du patrimoine, n’est-ce pas?
Absolument, outre qu’une version en film (long métrage) de la série circule mieux dans les festivals de par le monde.
Quel a été votre intention première en produisant ce film?
L’intention première est née en 2000 du désir et de la motivation du producteur Ahmed Bahaeddine Attia de raconter, à travers le cinéma, l’histoire antique de la Méditerrannée et de Carthage du point de vue des gens, des créateurs et des penseurs, des historiens du Sud et non point comme cela a été pratiquement toujours le cas à travers le prisme des gens du Nord.
Et c’est une façon de proposer notre propre regard sur notre propre histoire loin des péplums et des dessins animés hollywoodiens, italiens et autres d’Occident qui ont pour la plupart présenté Hannibal comme un guerrier sanguinaire et les Phéniciens des commerçants chauvins, uniquement intéressés par le commerce et l’argent, alors qu’on le sait, Hannibal était un héros et un grand stratège militaire et les Phéniciens un peuple créateur.
Et pour être fidèle à l’histoire, à la culture, et à la civilisation carthaginoises, nous avons fait appel au Dr Hassine Fantar en tant que conseiller historique et que nous remercions d’ailleurs à l’occasion, car il fait partie de la trempe des historiens hors pair.
Bref, au fur et à mesure que le scénario de la série se développait, nous avons opté pour le dessin animé afin de traduire tout cela de manière pédagogique au public d’enfants. Ayant fait appel à des spécialistes du dessin animé, nous avons décidé de focaliser sur le côté attractif de ces personnages qui vivent des aventures palpitantes tablant à la fois sur l’importance du message et sur l’aspect divertissant, essentiellement cinématographique.
Qui a dessiné les personnages?
D’après la documentation et les conseils du Dr Fantar, nous avons tout créé : les personnages, les décors, les accessoires, les costumes. Tout a été validé par l’équipe de la documentation. Les dessins ont été esquissés par une équipe de designers chapeautée par le réalisateur algérien Abdelkader Belhadi et l’artiste Slah Hamzaoui en tant que directeur artistique.
Justement, pourquoi un réalisateur algérien?
L’option pour le dessin animé étant faite, il fallait faire appel à des professionnels capables de faire face à un travail de cette envergure. Nous avons donc commencé par mettre en place une structure de formation et la création d’un studio auquel il fallait un directeur. Et c’est fortuitement que A.B. Attia a fait la connaissance de Abdelkader Belhadi dans une maison de production française de dessins animés, «La fabrique». Venu d’abord en auditeur du projet, il a fini par rester pour chapeauter les studios et réaliser, à partir de 2002, la série.
Pourquoi avez-vous opté pour le style réaliste? Est-ce qu’il y a eu sous-traitance dans d’autres studios en Asie.
On ne pouvait choisir ni le style cartoon (hollywoodien), ni celui manga (asiatique). Ainsi le style réaliste où les personnages ressemblent à la physionomie des hommes s’est imposé à nous parce que nous racontons des histoires, des aventures.
Mais s’il est vrai qu’il y a eu sous-traitance ce sont seulement les intervalles (les poses intermédiaires des personnages) qui ont été sous-traités dans des studios nord-coréens, soit 20% de la production. Et si nous avons opté pour la sous-traitance, c’est que nous n’avions pas le personnel technique adéquat car pour un seul épisode, il faut 150.000 dessins et pour ça il est nécessaire d’avoir une équipe de 300 animateurs chevronnés que nous ne pouvions pas former en deux ans. Une telle formation nécessitant au moins 10 ans.
Pourquoi avoir opté pour l’arabe littéraire et l’enregistrement des voix au Liban? Des voix tunisiennes auraient pu créer une relation de proximité…
Nous avons tenté l’expérience durant deux mois à Tunis pour un seul épisode, mais ce n’était pas du tout concluant. Les acteurs n’ont pas l’habitude d’un tel exercice méticuleux : lire les dialogues et regarder en même temps l’écran, afin de vivre le personnage. Nous avons été obligés d’opter pour des studios libanais. Quant à la langue, on aurait aimé utiliser notre dialecte, mais c’est une question de marché et de rentabilité. Pour vendre dans le monde arabe, il vaut mieux opter pour l’arabe littéraire.
Justement, est-ce que le film a été vendu?
Oui. En Algérie, au Maroc et nous sommes en contact avec un distributeur français.
Outre que Les Naufragés de Carthage a participé à plusieurs festivals internationaux : Carthage, Vues d’Afrique à Montréal, Amsterdam, Portugal.
Et la série?
Elle a été vendue à l’ERTT qui est coproductrice, à Canal+ (la chaîne «Ma Planète»), la RAI, Jazeera Children Channel, outre qu’un distributeur anglais s’occupe de la vente de la série sur les chaînes anglophones.
A combien s’est élevé le coût de cette série?
Le film et la série font partie du projet Euromédiatoon qui a démarré en 2000 et notre maison de production «Cinétéléfilms» est chef de projet en la personne de son fondateur A.B. Attia. Cela avec essentiellement le soutien de la Commission européenne à hauteur de 70% dans le cadre du programme audiovisuel Euromed International, le budget global étant de 6 millions d’euros (10 millions de dinars).
Le projet intègre en plus de la série de DA Viva Carthago, la mise en place d’un studio de fabrication de DA. C’est aussi une sorte de transfert de savoir dans le bassin méditerranéen. Outre la création de nouveaux métiers, nouvelles technologies et spécialités dans le Sud. Le premier volet structurant a été concrétisé par un cycle de formation.
Un 2e volet implique la production d’une série de documentaires parallèles aux DA intitulée Histoires méditerranéennes, soit aussi 13 épisodes de 26 mn. Une sorte de complément historique traitant de manière pédagogique des personnages historiques phare montrés dans le DA, tels Hannibal, l’amiral Hanon et d’autres. Les prises de vues réelles côtoyant les séquences animées en 2D et 3D.
Parmi les bailleurs de fonds, je citerai donc la Commission européenne, le ministère de la Culture, l’ERTT, l’Agence de la francophonie, la coopération française, outre des coproducteurs français, italiens et belge, le producteur majoritaire étant «Cinétéléfilms».
Enfin, après Viva Carthago qu’adviendra-t-il de «Tunis Animation Studio» que vous avez créé pour l’occasion?
Le vrai défi, après ce projet si long et si difficile à réaliser durant 5 ans depuis l’année 2000, c’est que nos studios ont vu le jour et il faut poursuivre maintenant dans la même voie, exister, continuer le spectacle en développant de nouveaux projets tel Ségou Fanga, premier long métrage malien en dessins animés. Une coproduction tuniso-franco-malienne.
Nous travaillons également en sous-traitance avec des producteurs européens de renommée, comme «La fabrique», «Demas and Partners», l’un des plus grands studios italiens, sur deux séries de 26 épisodes où 30% du cycle de fabrication se fait chez nous. Tout ça grâce au projet Viva carthago qui a constitué une sorte de point de départ et de vitrine pour la suite. Et les studios européens sont d’autant plus intéressés que la Tunisie jouit d’une proximité géographique, d’une grande ouverture culturelle, alliant la qualité de la production à la compétitivité.
Propos recueillis par Samira DAMI