Abstract
The Algerian comic strip reveals many political standpoints on behalf of the Algerian draughtsmen on the disillusion of the Algerian population after independence in 1962. The Algerian comic strips appear sometimes changeable in the treatment of the sociopolitical events, but it should be said that a majority of draughtsmen defy censure and turn into ridiculous political personalities sometimes to the danger of their life. Humour becomes a weapon with double edge able to clarify, with its manner, the recent History of Algeria. The caricature is also a support for a political standpoint against the political system. The comic strip, as for it, will have recourse to comic to attenuate the gravity of certain events or to sensitize the readers on their own living conditions.
Notre article aura pour objectif principal celui d’exposer les diverses techniques graphiques et narratives employées par la bande dessinée maghrébine d’expression française. Nos recherches nous ont permis de constater que les bédéistes maghrébins ont su trouver dans cette littérature graphique un moyen à la fois ludique et didactique pour retracer les différentes périodes historiques. Les BD comiques et d’aventure ne sont pas présentes en force, laissant ainsi le champ libre à une illustration abondante de l’Histoire du pays ou de la région. Nous nous attarderons sur la BD historique algérienne et sur ce qu’elle englobe comme thématiques redondantes à l’instar des illusions post-indépendance, du conflit sempiternel entre l’homme et la femme et enfin de l’intégrisme sous toutes ses facettes. Nous tenterons aussi d’exposer les différents codes visuels et narratifs propres à la BD maghrébine qui cherche par là une façon de se démarquer des influences de la BD franco-belge.
Aperçu sur les thématiques fréquentes dans les bandes dessinées tunisiennes et marocaines
La BD tunisienne a le même âge que la BD algérienne, en l’occurrence 40 ans, et le constat de sa vitalité n’est pas vraiment au point, malgré l’organisation de festivals annuels et de salons internationaux. Adel Latreche fait remarquer que cette activité est restée, en Tunisie, à l'état embryonnaire, en dépit de l'existence de plusieurs artistes actifs (LATRECHE, 2008: 8). Il explique aussi que de nombreuses tentatives de création d'expositions et de salons locaux, entièrement consacrées à cet art très populaire, notamment celles initiées par Monji Mejri ou Habib Bouhaouel (1985 et 2002), ont été un échec. En plus, l’auteur de l’article déplore l’existence d’une seule manifestation qui perdure encore et qui est celle du Salon international de la bande dessinée de Tazarka qui a fêté en 2008 son onzième édition.
Contrairement à l’Algérie où les maisons d’édition étatiques ont pris l’initiative de faire publier les dessinateurs, le secteur privé en Tunisie a pris les devants pour publier ses auteurs. Nous citons, à titre d’exemple, les éditions Apollonia dont le siège est à Tunis et qui reprennent quelques normes occidentales pour la publication des albums, à l’instar du «48 CC»
1. Le français demeure la langue la plus répandue chez les dessinateurs tunisiens, et les éditions Apollonia ont également traduit en anglais, espagnol, italien et même en allemand quelques titres de BD. Les thématiques illustrées restent politiquement correctes, sans aucune référence au régime en place, mais une profusion d’albums abordent l’histoire de la Tunisie ou des personnalités historiques célèbres. Nous pouvons citer comme exemple la BD d'A. Belkhodja
Hannibal, le défi de Carthage, qui rapporte les exploits du capitaine Hannibal qui fit trembler Rome. Encore,
Elissa est aussi le récit de la fondation de Carthage par les Phéniciens. L’auteur de l’album s’inspire de l’histoire de Virgile pour relater les conflits de cette ville avec la Grèce antique et avec Rome et sa destruction par les diverses civilisations.Par contre, Tahar Fazaa et Salaheddine Triki illustrent, à leur façon, des scènes de la vie quotidienne: les histoires de voisinage, les richesses suspectes et les rapports problématiques entre hommes et femmes.
Pour la BD d’aventures, nous pouvons citer les exemples de deux albums parus en deux volumes: L’Affaire Carthage. Sur fond de recherche archéologique, une bibliothèque carthaginoise est bombardée par les Américains. Deux Tunisiens partent aux États-Unis pour découvrir les raisons du bombardement. Ils seront pourchassés par les services secrets américains.
À l’instar de la Tunisie, la bande dessinée au Maroc reste «un genre mineur [...], malgré quelques tentatives récentes» (CHANSON, CASSIAU 2008). Il n’en demeure pas moins que des festivals sont organisés chaque année à Tétouan, Kénitra et Casablanca. Il faut aussi noter l’existence de la filière de bande dessinée au sein de l’Institut National des Beaux-Arts à Tétouan.
J.-F. Chanson et C. Cassiau-Haurie remarquent que la portée de la plupart des BD marocaines reste politique en dénonçant la répression policière: «Le Maroc est l'un des très rares pays africains où la BD a servi de relais à des témoignages dénonçant des atteintes aux droits de l'homme et des exactions des forces de police et de sécurité» (CHANSON, CASSIAU, 2008). Najiba Bellamine estime qu’il n’est pas excessif de penser que la BD marocaine est sur la bonne voie, notamment avec les apports du dessinateur Abdelaziz Mouride qui a témoigné de sa condition de prisonnier pendant les années de plomb dans son On affame bien les rats!. Membre fondateur du courant d'extrême gauche «23 mars», Mouride illustre ses journées de calvaire pendant sa détention (BELLAMINE, 2001).
On retrouve la même tonalité chez Mohammed Nadrani qui a publié en 2005 aux Éditions Al Ayam Les Sarcophages du complexe. Cet album d’inspiration autobiographique retrace le parcours politique du militant d’extrême-gauche, parcours qui lui a valu une détention arbitraire dans un centre de détention appelé communément le «Complexe de Rabat». Le même auteur a publié en 2007 L’Emir Ben Abdelkrim, où il relate les grands faits de la guerre du Rif au Maroc. Cette région, qui était confrontée à la colonisation, opposa une sérieuse résistance aux troupes françaises et espagnoles et se souleva à nouveau au début de l’indépendance marocaine en 1956. Cet album a été publié en arabe et en français). D’autres dessinateurs maghrébins ont investi le créneau des biographies illustrées, comme l’Algérien Benyoucef Abbas Kebir à travers son album, publié à l’ENAL en 1984, Abdelmoumène Ibn Ali, le chevalier du Maghreb.
Un autre fait remarquable dans la BD marocaine est celui de l’existence d’albums en langue berbère. En effet, l’Institut Royal de la Culture Amazighe (IRCAM) a publié en 2004 une BD intituléeTagellit Nayt Ufella (La Reine des hauteurs) par Meryem Demnati, un récit qui rapporte les péripéties d’une jeune reine défendant son peuple contre les oppresseurs.
La mémoire amazighe est aussi défendue par des dessinateurs à l’instar de Larbi Babahadi à travers la publication en 2008 de son album L’Hadj Belaïd, du nom du célèbre troubadour soussi du début du XXesiècle. Jean-François Chanson et Christophe Cassiau-Haurie évoquent notamment l’existence d’une BD patrimoniale «en vue de raconter la culture et l’histoire du pays et d’en dessiner ses figures émergentes» (CANSON, HAURIE, 2008). L’exemple représentatif de cette tendance est la trilogie Histoire du Maroc (de Ahmed Nouaiti, Wajdi et Mohamed Maazouzi), qui retrace l’histoire du pays de la préhistoire à 1961. C'est là une tentative qui est à rapprocher de celle du dessinateur algérien Benyoucef Abbas Kebir avec son Histoire de l’Algérie (ENAL, 1984).
Les initiatives du mouvement associatif ou des institutions royales n’ont pas manqué de faire appel à la bande dessinée pour promouvoir des actions en faveur de la population. À ce titre, nous pouvons donner l’exemple de l’«Association leadership féminin» qui a publié Raconte-moi la Nouvelle Moudawana. Une façon particulière de sensibiliser les citoyens marocains sur les mesures juridiques grâce à des textes en arabe dialectal, et aussi une version française réservée à la diaspora marocaine à l’étranger.
Enfin, l’Agence pour l’aménagement de la vallée de Bouregrega commandé à Hassan Manaoui et Miloudi Nouiga une BD expliquant aux plus jeunes le grand projet du Bouregreg et l'aménagement du fleuve mythique. Les auteurs ont eu recours à l’illustration de personnages animaliers afin de sensibiliser les enfants sur les travaux qui vont modifier les villes de Rabat et de Salé.
L’exemple algérien: du dessin de presse à la BD
Nos recherches nous ont permis de constater que la bande dessinée algérienne révèle de nombreuses prises de positions politiques de la part des dessinateurs algériens sur la désillusion de la population algérienne après l’indépendance en 1962. La BD algérienne paraît parfois versatile dans le traitement des événements socio-politiques, mais il faut dire qu’une majorité de dessinateurs faisaient fi de la censure pour tourner en ridicule certaines personnalités politiques, et cela parfois au péril de leur vie. L’humour devient donc une arme à double tranchant capable d’éclairer, à sa manière, l’histoire récente de l’Algérie. Le dessin de presse devient le support par excellence des prises de positions politiques contre le régime en place. La bande dessinée, quant à elle, va avoir recours au comique pour atténuer la gravité de certains événements ou pour sensibiliser les lecteurs sur leurs propres conditions de vie.
Idéaux de la post-indépendance
Les exemples les plus courants illustrent la faiblesse du pouvoir d’achat malgré les subventions de l’État accordées pour acheter de nombreux produits de consommation courante. L’idée de la reconstruction de l’Algérie ne semble pas préoccuper les dessinateurs qui se font les porte-paroles d’une population algérienne réduite à former des chaînes d’attente interminables devant les
Souks el Fellah2. Notre volonté est dé révéler les innombrables idéologies présentes dans notre
corpus. Julien Rosemberg note, à ce propos, que
une étude des idéologies ne peut faire l’économie d’analyses préalables portant sur les volontés éditoriales, les modes de collaboration des auteurs et les idéologies respectives de ceux-ci pour une bonne prise en compte de phénomènes, certes atténués, de censure ou d’autocensure qui font apparaître toutefois un compromis d’ordre idéologique. (ROSEMBERG, 2001: 74)
Ceci dit, certains extraits vont corroborer nos propos, à l’exemple de Khiari B. qui rapproche l’année de l’indépendance de l’Algérie d'une victoire remportée par le peuple: «Le chaab a gagné!». Il s'agit pourtant là d'une victoire de courte durée puisque les années suivant l’indépendance et celles successives à 1962 en général se révèleront dures, laissant le pays coupé en deux, avec une Algérie plongée dans le noir et une autre resplendissante sous un soleil radieux. Cette manière de rendre compte de l’histoire du pays après son indépendance est soumise parfois à des tentatives d’appuyer le système politique, ou bien aussi de le critiquer et de l’attaquer pour les promesses non tenues. Cette vignette, dont la lecture est sans doute connotative, est destinée à un lecteur qui s’appliquerait à rejoindre la position du dessinateur à travers une illusion qui fait référence à la post-indépendance algérienne.
La BD comique illustre souvent les situations courantes de la vie sans pour autant viser les responsables de la malvie et de l’échec du socialisme. Sur ce point, Annie Baron-Carvais considère que «La BD s’attaque rarement à des individus déterminés. Elle concentre plutôt son intérêt sur des personnages fictifs représentant le pouvoir en place ou la société actuelle qu’elle critique par le biais d’un humour caustique…» (BARON-CARVAIS, 1994: 114).Par exemple, le dessinateur Slim évoque, d’une manière subtile, l’appropriation des biens vacants par certaines personnes qui sont désignées par des jeux de mots sans que pour autant elles soient directement nommées. Chaque célébration de l’anniversaire rappelle aussi les agissements de personnes peu scrupuleuses au détriment de l’intérêt du peuple.
Les dessinateurs défendent notamment une politique donnée en célébrant les richesses du sud algérien à l’exemple de cet extrait en 1969 où le personnage de Richa (création de Melouah) prend une douche de pétrole, montrant l’opulence du pays avec un texte recelant la production algérienne de pétrole et de gaz en 1967.
Il faut dire que les thèmes du pouvoir d’achat et de la pénurie des produits alimentaires demeurent les sujets les plus illustrés par la BD comique. Chaque dessinateur reprend à sa manière ces sujets. Gyps, en dessinateur expatrié, a choisi de comparer la disponibilité des produits alimentaires en France à celle existant en Algérie. C'est là une façon d’exprimer le marasme des consommateurs à travers la réponse de la cliente et un comptoir désert
3.
L’échec du socialisme est illustré à travers le monopole de l’État dans la commercialisation des produits alimentaires. Les exemples suivants ont pour similitude les attroupements humains devant les galeries étatiques appelées en Algérie «Souk El Fellah». Ce genre d’exemples sont «d’une lisibilité extrême, et qui se fait oublier pour donner l’illusion de la réalité.» (FRESNAULT-DERUELLE, 1977: 68). Néanmoins, la lisibilité de ces vignettes est aisée pour une portion de la société algérienne qui a vécu cette période avant l’ouverture du marché.
La BD policière a également repris, à son compte, l’aspect économique à travers des enquêtes policières pour découvrir, comme dans cet extrait, l’auteur d’un contrebandier qui a détourné un navire de bananes dans le port d’Alger. Le récit, dans cet album, commence par une scène de file d’attente où l’inspecteur Chebka joue du coude à coude pour pouvoir se procurer un carton de bananes.
La banane incarne les espérances de la population algérienne qui accomplissait le parcours du combattant pour obtenir, après de longues heures, ce fruit très prisé. Le dessinateur Slim rapproche sa valeur de celle du carburant, et illustre notamment la longue file d’attente constituée devant un «Souk El Fellah». La BD comique permet d’atténuer le sérieux de la situation et de «dédramatiser»une période donnée de l’histoire d’Algérie.
Dans ce dernier extrait, le dessinateur Mustapha Tenani évoque deux thèmes à la fois: l’incivisme de la population et la pénurie des produits de consommation. Comme dans les autres extraits, le dessin suffit à lui même pour rapporter une histoire apparemment anodine qui révèle pourtantle malaise de tout un pays. Annie Baron-Carvais précise que lorsque la BD est utilisée pour faire passer un message, le texte prime la représentation graphique et l’image sert à en simplifier la compréhension selon le vieil adage «un dessin vaut mieux qu’un long discours.» (BARON-CARVAIS, 1994: 114)
L’État: sentiments contrastés ou le «militantisme dessiné»
Nous verrons à travers quelques exemples que le dessin de presse reprend aisément l’illustration de personnalités politiques,alors que la BD semble frileuse devant cette liberté de ton et qu'on se contente uniquement de suggérer quelques noms de personnalités connus par les lecteurs. La BD algérienne reprend le plus souvent quelques phénomènes facilement identifiables par les lecteurs et faisant référence à des périodes déterminées. Groensteen précise, à ce sujet, que «même lorsqu’elle paraît désancrée, très éloignée des préoccupations de l’heure, la BD, comme toute production de l’esprit, donne prise à une lecture politique; il s’y inscrit toujours, fût-ce implicitement ou à l’insu de l’auteur, une vision du monde.» (GROENSTEEN, 2008: 179).
Nous entamerons donc ce sujet par quelques extraits choisis dans un corpus composé de dessins de presse et de bande dessinées. Les premiers reprennent crûment quelques épisodes dramatiques de la période des années 90,à l’exemple du dessinateur Slim, lequeltourne en ridiculele discours incessant fait par les autorités de l’État algérien sur l’apaisement sécuritaire. La presse algérienne est aussi pointée du doigt en tant qu'elle devient complice des mensonges diffusés dans les colonnes des journaux. Les corps décapités et ensanglantés sont souvent illustrés par ce dessinateur.
De la même manière, Gyps évoquedeux sujets à la fois, à savoir le phénomène du terrorisme en Algérie et l’exil forcé des intellectuels vers des pays plus sûrs. Le corps ensanglanté et étendu par terre ressemble à la technique choisie par Slim pour évoquer le destin tragique des citoyens algériens.
Quelques dessinateurs ont repris certains sujets d’actualité essentiellement politiques pour montrer l’ampleur de la crise qui frappe un pays dont les auteurs demeurent de grandes personnalités occupant des postes importants dans les hautes sphères de l’État. La BD devient ici un moyen de témoignage, comme le précise Thierry Groensteen quand il écrit que «Dans des pays politiquement éprouvés, la bande dessinée a su incarner un esprit de résistance à l’oppression et témoigner, après coup, des horreurs commises.» (GROENSTEEN, 2008: 179).
En effet, la restitution des visages est une pratique courante chez les caricaturistes, laquelle a transité des pages des journaux vers l’album dans le cas de la BD algérienne. Groensteen signale que ce procédé constitue «l’essence de l’art du caricaturiste, dont l’auteur de bande dessinée et le réalisateur de films d’animation sont les héritiers.» (GROENSTEEN, 2008: 179).À titre d’exemple, encore Slim reprend la caricature de son confrère tunisien où les traits du président tunisien sont repris fidèlement. C'est là une manière subtile de contourner la censure en place, annonçant par làl’existence de la caricature politique. Les deux dessinateurs recourent donc au grossissement des têtes par rapport aux corps, mais sans exagérer les traits des visages pour que ceux-ci soient reconnaissables.
Les chroniques du quotidien: homme vs femme
La BD algérienne se fait aussi l’écho des rapports problématiques existant entre l’homme et la femme. Celle-ci apparaît souvent comme un objet de désir qui nourrit les fantasmes des hommes. La femme est en général gracieuse lorsqu’il s’agit de la draguer dans les rues, et disgracieuse à l’intérieur du foyer familial. Sur ce point, Isabelle Papieau fait remarquer que «l’image féminine repose sur la permanence de clichés dictés par l’essence d’une condition que l’histoire, voire le mythe, ont rendue transcendantale.» (PAPIEAU, 2001: 94).Nous pouvons constater que certains extraits d’une BD sentimentale renforcent l’idée de la présence de la femme à l’intérieur du foyer, et celle de la maîtresse dans une chambre d’hôtel. Qu’il s’agisse de l’épouse ou de la maîtresse, les scènes d’action ne se passent de toute façon jamais à l’extérieur. Les dessinateurs ont parfois tendance à mettre en scène «idéologiquement la femme dans des missions concentrées à l’intérieur.» (PAPIEAU, 2001: 94);l’épouse modèle est en effet régulièrement représentée dans un peignoir compatible avec son rôle de «génitrice et [de] véritable catalyseur de la cellule familiale, [incarnant] prosaïquement l’archétype de l’épouse-mère» (PAPIEAU, 2001: 94) Le dessinateurs’arrange aussi pour écorcher cette image féminine idyllique en la tenant pour responsable d’un adultère consommé avec le médecin de famille. Les intentions de la femme au départ peuvent bien être exemplaires, mais on se rend vite compte que la trahison n’est pas seulement l’apanage des hommes.
Les dessins en question montrent pourtant les trahisons des deux côtés. L’époux viole aussi la fidélité conjugale en entretenant des rapports extra-conjugaux avec sa secrétaire. Cette dernière est illustrée en petite tenue dans une chambre d’hôtel. Le stéréotype de la secrétaire attirante et tentatrice est aussi tenace dans la BD algérienne, qu’elle soit sentimentale ou comique. Les vêtements des personnages ne laissent aucun doute sur l’ancrage du personnage féminin dans un espace clos: «Le port du tablier, d’un peignoir, de pantoufles, de bigoudis ou d’un turban de ménage devient le code visuel qui renforce l’idée d’un espace féminin recentré sur la sphère privée.» (PAPIEAU, 2001: 94).
Le personnage de la femme est donc l’objet de toutes les convoitises, et suscite les commentaires des hommes dans la rue. Même si la femme apparaît comme émancipée, elle représentera toujours une créature qui détourne les regards et qui amplifie les tentations sexuelles. Ces personnages, au corps parfois sculptural et aguichant, rappellent, selon Papieau, un «type idéal prisé par la société masculine […][qui] devient dans la bande dessinée, ce modèle de référence sociale et graphique que convoitent le regard et la parole» (PAPIEAU, 2001: 99). La drague est toujours présentée comme lepropre de l’homme, et les lieux publics (la rue, la plage, les arrêts de bus…) accueillent, selon Harry Morgan, un«rite culturel d’exhibition du corps féminin à fin d’évaluation par le mâle.» (MORGAN, 2003: 325).Le corps féminin est érotisé visuellement par le fait qu'il est placéau centre des regards. La femme dans la rue n’est plus la garante de l’ordre familial; elle est vecteur de fantasmes et semble s’accommoder aux sollicitations des hommes. Socialement émancipée, elle transgresse la tradition par les vêtements qui incarnent le passage de l’espace familial et confiné, avec des valeurs précises, à l’espace public où le harcèlement masculin est omniprésent.
Certains dessinateurs inversent la tendance en illustrant des femmes attirantes qui participent à la vie active en s’émancipant, mais qui demeurent toutefois exclues du pouvoir de décision. La femme au bureau arrache les hommes à leur ennui;même si elle s’affirme par une profession et une position sociale, les comportements masculins à son égard sont fondés sur des préjugés qui enracinent, pour reprendre les mots de Papieau, «l'image de la femme dans un discours d’appartenance domestique et [qui] l’exclu[ent] des sollicitations sociales » (PAPIEAU, 2001: 96).
L’humour dans la BD permet aussi de révéler la démission de l’homme de son rôle parental une fois son désir assouvi, de la sorte quesa partenaire se retrouve ainsi obligée de s’acquitter des «fonctions familiales qui lui sont réservées» (PAPIEAU 2001: 96), ce qui contribue àprésenter«une peinture du rôle que lui impose sa situation dans la société.» (PAPIEAU, 2001: 96).
Groensteen note, à ce propos, que le sexisme continue encore aujourd’hui d’imprégner une partie de la BD occidentale;il poursuit en disant que, pour s’affirmer, la femme n’y a d’autre choix que de brandir des armes de gros calibre ou d’étaler complaisamment ses charmes (GROENSTEEN, 2008: 182).
Par ailleurs, les femmes algériennes sont souvent illustrées à l’intérieur du foyer familial et ne suscitent aucune attirance sexuelle;elles sont souvent grosses, etg sont également la risée de leurs maris qui les craignent et les répugnent en même temps. Dans le dessin de Mahfoud Aïder, l’épouse est obèse et interpelle violemment son mari. Dans l’extrait de Slim, l’épouse accueille gentiment son mari à la porte, maisce dernier lui demande brutalement de se taire
4. L’épouse pense niaisement que le mot
Bouftika est une taquinerie.
Nous allons terminer notre excursuspar l'insertion d'un dernier extrait tiré d'unebande dessinée publiée après 1992,une année qui a vu l’apparition de l’intégrisme armé en Algérie, et après laquelle les rapports homme-femme sont devenus encore plus complexes, puisqueles intégristes interprétaient, à leur façon, la charia islamique pour assouvir leurs désirs sexuels.
Source - Saâd-eddine FATMI, Les idéologies illustrées dans la bande dessinée maghrébine: le cas de la BD algérienne francophone, La BD francophone, Publifarum, n. 14, pubblicato il 01/02/2011, consultato il 10/02/2014, url: http://publifarum.farum.it/ezine_articles.php?id=201