Tous les observateurs s’accordent à le reconnaître, les soulèvements que connaissent aujourd’hui nombre de pays arabes sont en grande partie le fait de la génération du baby boom des années 1980-1990.
Dessin de Mohieddine Ellabad , trop tôt disparu pour assister à la Révolution égyptienne (voir note infra) |
Comptant à eux seuls pour un tiers de la population totale, les 120 millions de jeunes Arabes entre 15 et 29 ans ont en règle générale beaucoup de mal à se faire une place au soleil : les filières qui devraient assurer un renouvellement générationnel sont rares, et les « anciens », plus qu’ailleurs sans doute, ont tendance à s’accrocher !
En définitive, la cacochymie de la classe politique arabe (Ben Ali, 74 ans ; Moubarak, 83 ; Kadhafi, 69 “seulement”, mais 42 au pouvoir…) déteint trop souvent sur le reste de la société. A commencer par les arts et les lettres où la scène continue – pour le meilleur mais aussi pour le pire ! – à être largement occupée par la « génération des années 1960 », la grande décennie du nationalisme arabe. Le succès des « révolutions » pourrait bien se noter ainsi à l’ampleur des bouleversements dans le paysage intellectuel et culturel.
Est-ce le signe d’un tel changement ? En 2005, l’acteur égyptien Adel Imam était encore une grande vedette populaire dont la présence suffisait à assurer le succès de n’importe quelle comédie. Cette année-là, il était la vedette d’un film intituléL’ambassade dans l’immeuble (السفارة في العمارة). Il y interprétait le personnage d’un dragueur impénitent qui, de retour des Émirats, devenait la victime des mesures de protection imposées par la présence, dans son immeuble, de l’ambassade israélienne et qui se muait en militant de la cause palestinienne.
Flagman, par le dessinateur brésilien Carlos Latuff |
A peine six ans plus tard, la révolution est passée par là et le public égyptien ne semble pas décidé à pardonner au plus célèbre des comédiens arabes son soutien sans réserve au président Moubarak. L’acteur a beau se démener sur les plateaux télévisés, se désoler de n’avoir pas su à quel degré le précédent régime était corrompu, affirmer qu’il n’a jamais injurié de manifestant place Tahrir, rien n’y fait : il reste sur la liste noire des artistes trop compromis avec le précédent pouvoir et Firqat Naji Atallah, le feuilleton dans lequel il devait interpréter le rôle principal, a mystérieusement disparu de la programmation de ramadan !
Aujourd’hui, la vraie star de « l’ambassade dans l’immeuble » se nomme Ahmad Shahat. Plus que le diplôme qu’il a obtenu dans une université d’une grande ville de province, le jeune Égyptien a mis au service de son pays une expérience professionnelle acquise… en nettoyant les façades d’immeubles! Le 20 août dernier, le spider man cairote a escaladé sous les acclamations de la foule en délire 1 une vingtaine d’étages pour aller arracher le drapeau israélien flottant sur la terrasse de l’immeuble qui abrite la représentation israélienne au Caire et le remplacer par l’emblème national égyptien. (Voir la vidéo tout en bas du billet.)
À l’image de bien des acteurs de la révolution, ce jeune Égyptien de 23 ans – qui n’en est pas à son coup d’essai puisqu’il avait déjà réussi à escalader, place Tahrir, un pylône de 12 mètres – n’est pas membre d’un parti et ne se prend pas pour un héros. Au contraire, il se considère comme un simple instrument au service de la collectivité et ne voit dans son acte rien de plus que l’expression du sentiment national après la mort de plusieurs soldats égyptiens à la frontière israélienne.
L’« État hébreu » comme on l’appelle souvent – tant pis pour les citoyens qui sont bêtement palestiniens, chrétiens, musulmans ou athés ! – a adressé à l’Égypte de très inhabituelles excuses, un signe que les temps ont changé. Quant aux responsables du Conseil suprême des forces armées (CSFA), ils hésitent beaucoup à faire flotter à nouveau en haut de l’immeuble de l’ambassade un drapeau qui déclenche tellement de passions populaires. Lors d’un match récent, des « ultras » du club Ahali, dont le savoir-faire en termes de violences urbaines a été un des éléments aussi déterminants que méconnus dans le succès de la révolution (voir à ce sujet le billet de Ted Swedenburg), en ont encore brûlé un exemplaire : la vidéo est impressionnante : voir ce lien.
Dans l’immédiat, la jeunesse égyptienne (et arabe) s’est trouvé un héros !
* Illustration de Mohieddine Ellabad (محي الدين اللباد) dans Le Carnet du dessinateur (traduction française en 1999).
راجل راجل، إطلع يا بطل : Oh le mec ! Vas-y, tu es un héros ! Sur un mode allitéré du type : Oh mon vieux, ce type c’est un dieu !
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire