Pendant plus de trente ans, un trésor inestimable a
reposé dans la cave d'un pavillon de banlieue parisienne. Une série de dessins
animés arabes, les premiers du genre, réalisés au Caire entre 1935 et 1950 par
les frères Frenkel.
C'est à la mort de son oncle David en 1994 que Didier
Frenkel découvre les bobines. Avec l'aide de son père Salomon, du Centre
national du cinéma, du Centenaire du cinéma et de l'Institut du monde arabe, il
se lance dans la restauration de ces films oubliés de la mémoire égyptienne.
Flash-back. Le Caire, 1935, Mickey Mouse débarque en
conquérant sur les écrans égyptiens. Bezalel Frenkel et ses fils Harry, Salomon
et David, spécialistes de la fabrication de meubles en bois laqué, décident de
se lancer dans les cartoons.
Le soir, après la fermeture de la fabrique, Salomon,
mécanicien de formation, devient le chef op' d'une production underground en
assemblant mille pièces hétéroclites. David et Harry dessinent personnages et
décors, et le père Bezalel, qui a acquis l'expérience des encres et des
couleurs, donne un coup de pinceau. Tout l'argent procuré par la vente des
meubles est investi dans le financement de leur projet: achat de celluloïds,
pellicules, matériel.
En 1936, leur premier film d'animation est achevé.
Pour le quotidien Al Ahram, Marco Monkey, un singe sympa présente toutes les
maladresses d'un premier film amateur: animation saccadée, son défectueux,
enchaînements incertains.
C'est avec ce film que les pionniers Frenkel se
présentent aux Studios-Misr, Hollywood-sur-Nil alors en plein âge d'or. Au
début, les distributeurs les envoient bouler. Les Frenkel redoublent de
ténacité et inventent un héros égyptien, Mish Mish (M.M, comme Mickey Mouse).
Après un début laborieux, l'élégant Mish Mish, noeud pap et tarbouche rouge, s'intercale
dans les bras des plus grandes stars égyptiennes de l'époque (Sabah, Marie
Quenny et Tahia Carioca), dans de flamboyantes comédies musicales.
L'influence des cartoons américains est totale dans
les premiers films - toutes les petites amies de Mish Mish ressemblent à des
Betty Boop orientalisées -mais peu à peu, les Frenkel puisent leur inspiration
dans leur pays.
Mish Mish connaît son heure de gloire entre 1938 et
1950. En 1940, le petit héros patriote est engagé dans l'armée égyptienne, pour
y vanter les mérites de l'engagement aux côtés des troupes alliées.
En 1951, la guerre en Palestine avec le nouvel Etat
israélien contraint les Frenkel à s'exiler. A Paris, les Frenkel réalisent
encore douze films d'animation. Mish Mish devient Mimiche et troque son
flamboyant tarbouche rouge contre un béret gris. Sans succès. En 1964, les
Frenkel réalisent une féérie poétique sur la célèbre valse de Strauss: Rêves du
Beau Danube bleu. Et sombrent dans l'oubli... Aujourd'hui restaurées, les
pépites de ce cinéma d'un autre âge sont projetées à l'Institut du monde arabe.
Dans la salle, seuls survivants de cette épopée, Salomon, 85 ans, et son
épouse.
Par Hakem Tewfik - Source de l'article Libération
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