La série Africa Dreams, par sa précision historique et ses qualités graphiques, séduira tous les amoureux de l’histoire de l’Afrique et du Congo.
L’album Africa Dreams - ce bon monsieur Stanley commence un beau jour de 1903 par la visite d’un jeune journaliste Belge (curieuse d’ailleurs, la houppe de ce journaliste…) parti interviewer Stanley, âgé, handicapé, vivant ses derniers jours.
Prétexte à retracer ses aventures, nous plongeons au cœur de l’Afrique équatoriale en suivant le récit que fait l’explorateur de ses prouesses de conquistador des temps modernes.
Ce personnage est pour le moins complexe et vraiment peu sympathique. Né en Angleterre sous le nom de John Rowlands, véritable bâtard, considéré comme un rebut de la société britannique de l’époque, il est placé en maison de correction aux « méthodes pédagogiques » particulièrement violentes. Il s’enfuit et se retrouve à La Nouvelle-Orléans, où il prend dans des conditions peu claires le nom de Stanley.
Débrouillard à l’extrême, spécialiste de la survie, il fait la guerre de Sécession dans les rangs des sudistes, puis devient journaliste correspondant de guerre, retrouve Livingstone pour le compte de son journal et devient explorateur patenté.
Se liant avec Tippo Tip, esclavagiste musulman de Zanzibar, il entreprend de traverser l’Afrique d’est en ouest et publie des livres à succès sur ses expéditions.
Ces récits éveillèrent l’attention du jeune roi Léopold de Belgique qui souhaitait, lui aussi, doter la Belgique de quelques colonies. Les deux hommes se rencontrèrent et l’affaire fut faite.Stanley fut officiellement chargé de conquérir des terres pour le compte du roi qui agit alors non comme souverain de la Belgique, mais à titre strictement personnel. Léopold obtint ce privilège exorbitant en 1884 à la conférence de Berlin organisée par Bismarck principalement en contrepartie de son engagement à lutter contre l’esclavage.
En 1886, Stanley, à la demande de Léopold II qui souhaitait plaire aux Anglais, laissa le Congopour se consacrer à la dernière grande expédition privée de l’histoire africaine.
Et c’est là où commence l’action de ce troisième tome de la série Africa Dreams. Il se déroule au moment où Stanley est mandaté pour secourir Emin Pacha, gouverneur d’un état du sud Soudan - Equatoria - coincé par les forces mahdistes, une révolte musulmane menée par Muhammad Ahmad ibn Abd Allah Al-Mahdi.
Ce chef religieux et militaire qui fonda même un état théocratique se présentait comme le « mahdi », celui qui est annoncé et qui sauvera l’Islam à la fin des temps.
Il faut noter que ledit Emin Pacha n’était pas plus émir que pacha, mais un authentique citoyen allemand, médecin de profession : Isaak Eduard Schnitzer. Explorateur à la vie mouvementée, il devint gouverneur de la province d’Equatoria quand il finit par subir les assauts de la rébellion mahdiste.
Le contexte étant planté, cet album nous présente un Stanley qui mérite bien son surnom de Boula Matari (casse-pierre) que les Congolais lui ont donné. Autocrate et assez ignoble dans ses manières, il ne recule devant aucun moyen brutal de la chicotte aux massacres à la mitrailleuse.
Verso de la BD Africa Dreams - ce bon monsieur Stanley, tome 3 de la série.
Cette époque attirait l’argent facile, les conquêtes avantageuses et toutes sortes de gens de sac et de corde, mercenaires sans scrupule qui s’enrichirent au détriment des populations, mais qui profitèrent essentiellement au plus puissant d’entre eux : Léopold II.
L’envoi de la colonne de secours en confiant son commandement à Stanley était, elle aussi, politiquement profitable en exigeant qu’elle partît de la côte ouest pour remonter le fleuve Congo. Ce chemin plus long et plus périlleux que de passer par la côte est de l’Afrique, lui permettait, en effet, d’annexer un territoire supplémentaire.
Le résultat fut conforme au pire, il perdit les deux tiers de ses hommes, mais l’honneur fut sauf, Emin Pacha rapatrié et l’Ituri fut annexée conformément à la volonté royale.
Pendant que Stanley s’affairait avec Emin Pacha, la situation au Congo ne s’arrangeait pas pour les Africains : prises d’otage, travail forcé, viols, mutilations continuèrent d’être le lot quotidien de l’exploitation de la main d’œuvre indigène.
Des photos et des témoignages circulèrent alors en Europe mettant en cause Leopold II, qui contre-attaqua par des campagnes de presse et des contre-vérités. Il ne put éviter qu’une commission d’enquête internationale se réunisse en 1904-1905 pour établir la vérité au sujet des exactions.
L’album Africa Dreams - ce bon monsieur Stanley de Maryse et Jean-François Charles et Frédéric Bihel se termine d’ailleurs sur une scène assez hypocrite, lors d’une conférence de presse, pendant laquelle Stanley réitère son attachement à la probité et à la bonté du roi des Belges.
Les conclusions de cette commission furent quand même telles que le roi ne pût rester propriétaire privé de cet empire colonial et il fut procédé à l’annexion du Congo par la Belgique en 1908. Quant à Léopold, il mourut, à la tête d’une fortune immense, l’année suivante après un règne de 44 ans.
La force de Africa Dreams est l’extrême attention apportée par les deux scénaristes de cette bande dessinée - Maryse et Jean-Francois Charles - au respect scrupuleux de la réalité historique et des enjeux humains et géopolitiques. On imagine sans mal la somme de travail que représente la documentation historique qui a servi de base au scénario.
Les dessins de Frédéric Bihel retracent bien les ambiances, les paysages et les personnes. Son style, très personnel, éloigné de la ligne claire chère à la bande dessinée belge, permet de rendre de façon subtile les expressions humaines et les paysages. Les couleurs sont appliquées en fines couches et rehaussent le dessin, facilitant l’expression des émotions et contribuant à l’ambiance des scènes.
Au fond de la forêt équatoriale comme au bord du Stanley pool, il arrive à recréer la magie qu’exercèrent ces paysages fabuleux sur l’imaginaire des hommes.
Léopold, grand organisateur de la conquête de son Congo.
Avec un talent politique consommé et une absence complète de scrupule, Léopold fit du Congo, l’instrument de sa richesse et de son pouvoir.
Les dégâts humains furent énormes : caoutchouc, ivoire furent exploités sans réserve au-delà de toute considération humaine pour les populations locales. Le bilan est atroce : on l’estime à 10 millions de morts sans parler des viols, des mutilations, du travail forcé variante occidentale de l’esclavage... Des contemporains comme Mark Twain et Conan Doyle et bien d’autres dénoncèrent ces massacres honteux.
Sa responsabilité directe est engagée, Léopold II était l’unique propriétaire d’un territoire riche et grand comme sept fois la Belgique et ne pouvait pas ne pas être au courant des exactions qui s’y passaient. Il est vrai que la vie humaine, une fois de plus, ne pesa pas lourd face aux enjeux économiques.
Sa fortune fut immense. Il la légua à la Belgique, mais sous condition que ce patrimoine ne fut pas vendu et resta exclusivement réservé à sa descendance. Ce qui est encore une façon intéressée d’offrir les choses : la jouissance des biens reste dans la famille, le pays assure l’entretien en tant que propriétaire... Tout le côté tordu et pervers du personnage se révèle dans cette disposition.
Léopold restera finalement dans l’histoire comme le premier des grands massacreurs du XXe siècle, qui d’ailleurs n’en manqua pas, précédant les Hitler, Staline, Mao et autres Pol Pot de sinistre mémoire.
Par 2Biville - Source de l'article Africavivre
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