La bande dessinée connaît un véritable regain d’intérêt en Algérie ces dix dernières années, une scène contemporaine différente de l’agitation qui a caractérisé l’«âge d’or» des années 1960/1970, mais qui explore de nouveaux horizons au point de susciter la curiosité des chercheurs.
Les thématiques sont diverses, et, hormis l’intrusion du manga, certaines planches sont directement inspirées des révoltes dites "arabes". Alexandra Gueydan Turek est enseignante au Swarthmore College (Philadelphie, USA). Son projet de publication d’un livre sur le sujet (la BD) consiste en une comparaison entre ce qui se fait au Moyen-Orient et au Maghreb. C’est ce projet qu’elle est venue présenter au CEMA, à Oran, mais en se focalisant sur ce qu’elle a recueilli localement et le mettant sous forme de conférence intitulée «La vitalité de la bande dessinée en Algérie, le cas du manga DZ».
Elle a d’abord digéré les rares publications consacrées au 9e art en Algérie, dont principalement les deux ouvrages : Panorama de la bande dessinée algérienne 1969-2009, de Lazhari Labter, et 50 ans de bande dessinée algérienne, et l’aventure continue, de Ameziane Ferhani, publié aux éditions Dalimen. Elle a ensuite tenu compte de la grande exposition «50 ans de BD algérienne», qui a été enrichie au fil du temps et qui a voyagé cette année pour être présentée à l’Institut du monde arabe à Paris.
En parallèle d’un aperçu qu’on pourrait avoir en assistant à l’une des éditions du festival Fibda, elle a surtout pris le temps de s’entretenir avec les auteurs, mais aussi les éditeurs de BD (très rares également), tels que Z-Link et le mensuel Laabstore lancé par Salim Brahimi ou la maison d'édition Dalimen pour analyser leurs lignes éditoriales, mais surtout leur stratégie commerciale et subsidiairement éducative.
Elle a également tenu compte de l’effervescence des publications sur le Net grâce à des initiatives restreintes, telles que 12 Tours, un blog animé par de jeunes auteurs encouragés par des figures connues de la scène artistique. A l’international, la BD algérienne a reconquis une petite place en ayant l’occasion de participer au célèbre Festival d’Angoulême, en France, mais la production reste globalement modeste, même si les promesses de croissance sont réelles.
Dans son analyse, Alexandra Turek se base sur les théories du célèbre bédéiste américain Will Eisener, sur l’art séquentiel, pour dire que, «à leur manière, les auteurs algériens ont eux aussi, et cela depuis longtemps, su se jouer des codes du genre pour proposer de nouvelles pistes esthétiques». C’est la preuve d’une créativité certaine et le constat est valable pour le DZ-manga relativement récent, il est considéré par la conférencière comme un "ovni".
A ce sujet, analysant un cas comme Nahla et les Touareg, de Fella Matougui, elle démontre que le manga algérien se caractérise par «une hybridation du style», car en plus du marqueur culturel étranger, le manga japonais étant justement hyper codifié, les auteurs intègres des marqueurs locaux. C’est aussi le cas chez Yacine Haddad, avec Samy Kun. Pour elle, les bédéistes de la nouvelle génération n’ont pas grandi dans le vide. Dès les années 1980, le dessin animé japonais, doublé notamment en arabe classique, va monopoliser les programmes télé.
Cependant, à ce sujet, non seulement l’accès n'est donc pas direct, mais en plus, les produits sont triés à la base, car, selon certains spécialistes, conséquence des effets dévastateurs de la Seconde Guerre mondiale, le manga japonais se caractérise aussi par l’extrême violence des histoires qu’il met en scène. Cela fonctionne comme une catharsis pour expurger les «démons» responsables du désastre. En Algérie, la décennie noire ne semble pas avoir produit les mêmes effets sur les auteurs qui ont choisi ce mode d’expression.
Néanmoins, la tendance à «l’algérianisation» semble être une constante, à commencer par l’engouement suscité auparavant par les personnages de Slim, bédéiste de la première génération. Alexandra Turek parle de «partage de l’univers culturel» qui fait que «malgré un langage séquentiel sophistiqué, celui-ci reste lisible par le lectorat national». En effet, pour l’exemple, malgré son haïk, le personnage de Zina, créé par Slim, donne des répliques dignes des féministes les plus engagées.
Au fond, malgré son impertinence, Slim, comme c’est d’ailleurs le cas des productions cinématographiques, accompagnait en réalité les politiques émancipatrices engagées à l’époque. L’auteur s’est d’abord enrichi dans la bédé en allant s’installer dans la capitale, puis en allant parfaire sa formation en Pologne, un pays d’obédience communiste, donc très avancé sur les questions sociales. C’était une autre forme de transversalité qu’Alexandra veut mettre en avant aujourd’hui avec les pays du Moyen-Orient.
Une planche comme celle où on voit un personnage escalader un corps exagérément élancé pour atteindre le visage d’une femme avant l’intrusion, entre les deux, d’un «islamiste» qui s’apparente beaucoup plus à de l’autocensure qu’au fait de dénoncer la difficulté des rapports homme/femme. La censure existe même dans les pays ayant une tradition d’ouverture, mais les auteurs osent et ce sont leurs dessins qui sont interdits de parution.
D’une façon ou d’une autre, en fonction de l’accessibilité linguistique, la BD étrangère a presque de tout temps été distribuée en Algérie, parfois par des canaux informels quand les illustrations touchent à la «morale publique». Si la BD algérienne n’est apparue qu’après l’indépendance, les auteurs, eux, ont baigné dans cet univers bien avant. La première planche parue en 1967 dans Algérie Actualités, intitulée «Sirène à Sidi Ferruch», signée par Aram Mohamed, évoquée par la conférencière, met en scène un héros aux allures de Superman.
Nous sommes dans l’univers des super héros américains, mais là aussi les mêmes spécialistes s’accordent à faire le lien avec l’histoire par le fait que les auteurs sont juifs et donc fortement marqués dans un premier temps par les épisodes de la persécution et ensuite par le sort qui leur a été réservé durant la Seconde Guerre mondiale, d’où la vision manichéenne du combat contre le mal. Dès les années 1960, les illustrés, comme Akim, Zembla, Blek, etc., appelés aussi «Fumettis» franco-italiens, ont eu un grand succès populaire en Algérie.
La conférencière insiste particulièrement sur Blek le Roc, ce trappeur engagé dans la guerre d’indépendance des Etats-Unis pour s’affranchir de la mainmise britannique symbolisée par ses «Tuniques rouges». Pour elle, le lien avec le combat pour l’indépendance de l’Algérie est évident. Mais très vite, la naissance de M’kidech en 1969, une revue spécialisée algérienne faite par des Algériens et à laquelle ont collaboré plusieurs auteurs, dont Haroun, Maz, etc., allait marquer un tournant important dans la promotion de cet art diffusé auparavant par la presse généraliste. L’aventure n’a pas duré longtemps mais son impact a été réel.
Par Djamel Benachour - Source de l'article El Watan
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