Sponsors, championnats, récompenses… le sport en ligne ne cesse de faire des émules aux 4 coins de la planète. Au Maroc, pour répondre aux demandes de plus en plus nombreuses et pallier le manque d’infrastructures, les joueurs ont décidé de s’organiser eux-mêmes. TelQuel est allé à leur rencontre lors d’un événement inédit: Legends of Morocco.
Le Maroc n’avait jamais vu ça. En ce premier week-end de juillet à Rabat, trente deux équipes s’affrontent au jeu en ligne League of Legends (LOL). Entassés dans la nouvelle salle de jeux Moroccan Gaming Arena, une cinquantaine de supporters s’enflamment pour ces compétiteurs 2.0. Ici, on pratique l'eSport. Une compétition en ligne, dans un concert de clics et de touches de clavier. Imperturbables, les joueurs enchaînent les matchs comme les canettes de Coca. Leur objectif, détruire le totem de l’équipe adverse. Leur terrain de jeu, une carte en ligne où l'on s'affronte à grand renfort de pouvoirs magiques.
Dans ce jeu de rôle multi-joueurs particulièrement addictif, chaque personnage a une fonction spécifique. Certains sont offensifs, d’autres doivent simplement encaisser les coups. Les combats durent de 20 à 50 minutes. A terme, le vainqueur remporte de l’or qui permet d’acquérir des tenues pour ses personnages, et augmenter ses statistiques. S’il le souhaite, il peut également dépenser de l’argent, réel cette fois, pour acheter de nouvelles tenues. Pour le reste, tout est gratuit. A commencer par le jeu lui même, téléchargeable sur son site éponyme. C'est le principe des "Free to play". LOL rassemble de vastes communautés sur la Toile, dans les salles de jeux, et même dans des stades, comme celui de Las Vegas.
Gamer auto-entrepreneur
Réuni dans une salle à part, le public scrute la partie sur grand écran. En guise de commentateur : Younes Lesfer, co-organisateur de l’événement. A 25 ans, le jeune homme dirige League of Morocco, une association de sport électronique qui organise le tournoi du jour, baptisé Legends of Morocco. Parti d’un groupe Facebook, ce collectif de passionnés rassemble aujourd’hui 132 joueurs venus de tout le pays. A la clé pour l’équipe gagnante, la coquette somme de 20 000 dirhams, en cash. Le reste du podium se partageant 10 000 dirhams. Confortablement assis dans son siège de gamer, le joueur auto-entrepreneur explique la genèse du projet : “Face à la demande grandissante des joueurs de League of Legends, nous avons commencé à organiser des tournois en ligne, puis dans des salles. Au Maroc, les compétitions d'eSport n’existaient pas. Nous avons donc créé League of Morocco pour combler ce manque”. Ambitieux, il contacte l’éditeur du jeu, Riot Games, qui accepte de financer une partie de l’événement. Les entreprises Lenovo et VeT Pro lui emboîtent le pas. Reste à trouver un lieu adéquat. Ce sera la Moroccan Gaming Arena, à Rabat.
Inaugurée il y a tout juste un mois, cette structure a été particulièrement pensée pour le e-gaming. “Le public est demandeur de ce genre d’endroits, notamment à cause de la lenteur des connections Internet au Maroc”, explique Reda, président de Moroccan Gaming Arena. Son objectif : “Ouvrir des salles dans la plupart des grandes villes. Cela devrait d’ailleurs se faire très prochainement à Tanger”, se réjouit-il. En 2014, Internet soufflait ses 25 bougies, et le Maroc son 138 milliardième e-mail. Aujourd’hui encore, avec ses presque 20 millions de citoyens connectés, le pays demeure l’un des plus connectés du continent. S’il n’existe pas de statistiques concernant l’eSport, la World Gaming Federation (WGF) estime cette communauté à plus d’un million de membres au Maroc. Cette start-up, rivale de League of Morocco, organise aussi des tournois de League of Legends. Son prochain événement : la finale de la Morocco LOL Cup qui se tiendra début septembre au Morocco Mall de Casablanca. Un événement majeur à l'occasion de l’Africa Games Show, l’un des plus importants salons de sports en ligne. Autant d’indices qui attestent d’une véritable tendance au royaume.
Un business prometteur
“Le potentiel du Maroc en matière d'eSport est énorme. Aujourd’hui, nous devons multiplier les événements et pousser les sponsors à investir. Notre objectif : créer un écosystème qui regroupe joueurs, organisateurs et investisseurs. Il faut donc créer tout un business qui permette à chacun d’évoluer”, ambitionne Younes. Conscient des belles perspectives qu’offre le sport électronique, les sponsors commencent à se mobiliser au Maroc. Dans le reste du monde, ce business a déjà séduit Orange, HTC, Coca-Cola, Red Bull, ou encore Amazon qui a dépensé 970 millions de dollars dans l’acquisition de Twitch, principale plateforme de streaming pour l’eSport.
Certaines marques, comme Samsung, créent même leurs propres équipes. Lorsque le géant coréen dépense entre 300 000 et 500 000 dollars pour racheter trois des meilleures équipes mondiales, il rebaptise la plus célèbre de son nom : Samsung Galaxy Ozone. Loin de ces sommes astronomiques, le phénomène des sponsors reste encore marginal au royaume. Parmi ceux qui en bénéficient, l’équipe féminine Pink Wards, sponsorisée par Lenovo, est un modeste précurseur. “Nous ne sommes pas rémunérées pour notre activité, mais nous avons reçu quelques goodies de la part de la marque, qui a payé notre inscription au tournoi (200 dirhams par équipe). Nous sommes parmi les premières équipes sponsorisées au Maroc. C’est un privilège, nous allons travailler dur pour le mériter”, explique Imane, une jeune joueuse de Pink Wards pré- sente au tournoi Legends of Morocco.
Bien que récent au Maroc, le business du eSport, comme dans le reste du monde, est indiscutablement prometteur. Selon l'agence d'études dédiée aux jeux vidéo Newzoo, l’audience du sport électronique en 2017 représenterait près de 200 millions d’individus dans le monde. “Aux Etats-Unis, cette audience dépasse même celle de la NBA”, s’enthousiasme Younes. Symbole du succès de cette discipline : les World Cyber Games. En 2016, cet événement rassemblait, au Brésil, 10 000 athlètes du clavier venus de plus de 200 pays. De quoi s’assurer une solide réputation de “Jeux Olympiques du eSport”. Chaque année, le développeur Riot Game organise aussi ses propres championnats du monde de League of Legends. Lors de sa première édition en Suède en 2011, le premier prix était de 1 million d’euros. On est loin des 30 000 dirhams de Legends of Morocco… “Mais ça viendra”, promet le jeune président de League of Morocco.
Des olympiades aux arènes virtuelles
Difficile de passer outre la percée des jeux vidéo dans le monde du sport. En 2013, le gouvernement américain délivrait son premier visa d’athlète pour un joueur de sport électronique, permettant ainsi au gamer canadien Shiphtur IG de rejoindre l’équipe américaine Team Coast. La même année, Washington reconnaissait officiellement League of Legends comme un sport à part entière. Un moyen idéal pour concurrencer le leadership coréen dans le domaine du sport en ligne. Mais le Maroc pourrait aussi s’imposer dans cette compétition, notamment à travers l’équipe The Black Lotus, championne du tournoi Legends of Morocco.
Formée il y a six mois, l’équipe travaille quotidiennement pour améliorer ses statistiques. “Pour Legends of Morocco, nous avons commencé l’entraînement le 10 juin. Pendant le mois de ramadan, nous jouions de 10h à 19h. Le soir nous regardions nos replay pour pointer nos erreurs et éviter de les reproduire”, se souvient Mohamed Lagharissi, coach de l’équipe. Un entraînement presque olympique qui pousse les joueurs à considérer cette discipline comme un véritable sport. “Certes, on ne se dépense pas autant qu’un footballeur, mais l'eSport reste une compétition éprouvante sur le plan physique. Rien que pour ce championnat, l’équipe enchaîne jusqu’à sept parties d’affilée qui peuvent durer une heure. Cela génère beaucoup de stress et de fatigue”, poursuit-il, le logo de son équipe floqué sur son tee-shirt. Un constat partagé par Younes, qui a abandonné l’idée de devenir joueur professionnel à cause du temps que cette activité requiert. “Compétition, récompenses, activité physique… tous les éléments du sport sont présents dans le e-game”, insiste-t-il. Fort de son succès auprès d’une jeunesse hyper-connectée, ces sportifs d’un nouveau genre ont encore de beaux jours au Maroc, comme dans la région. Preuve de cet intérêt au Maghreb : l’organisation le 25 août prochain d’un championnat de League of Legends à Alger. Une compétition dans laquelle les Black Lotus comptent bien défendre les couleurs nationales, après leur victoire aux Legends of Morocco. Question “légende”, pas de doute que celle des gamers marocains s'écrit doucement mais sûrement.
Par Cyril Castelliti - Source de l'article
TelQuel