lundi 31 mars 2008

Jenny Rakotomamonjy

À longueur de journée, elle imagine des histoires à l'eau de rose. Normal : cette jeune dessinatrice née à Madagascar est la première Française auteure de mangas.


Elle a le visage doux et des yeux aussi ronds que ceux des personnages de bandes dessinées japonaises qu’elle croque. Jeans, baskets blanches et tee-shirt rose bonbon, Jenny vit dans un monde de midinettes. Presque de poupées Barbie. Pour comprendre son univers, direction le grand Orient. Pas la loge maçonnique, bien sûr, mais le pays des geishas, des samouraïs et des kogyarus, ces désormais célèbres lycéennes en minijupes. Et, surtout, le pays des mangas (« images dérisoires », en français), ces bandes dessinées en noir et blanc, sur papier recyclé, que les Japonais avalent goulûment au rythme d’une par semaine avant de les jeter à la poubelle.
Pas encore la trentaine, Jenny est déjà une pionnière, la première française auteure de mangas. Autrement dit, une « mangaka ». Une aventurière du monde de la BD qui a troqué Tintin, Spirou et autres Thorgal contre Candy, Nicky Larson et Dragon Ball, personnages bien connus du jeune public francophone depuis l’invasion des programmes télévisés, dès la fin des années 1980, par les dessins animés japonais.

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Pourtant, Jenny a une affection particulière pour Yota, Moemi et Takeshi, les héros d’un best-seller planétaire, Video Girl Ai, du Japonais Masakazu Katsura, publié en français au milieu des années 1990 par les éditions Tonkam. Garçon timide, Yota brûle de passion pour Moemi, qui n’a d’yeux que pour Takeshi, le meilleur ami de Yota Quoi de plus universel ! 
Cette histoire mêlant amour, action et science-fiction a illuminé l’adolescence difficile de la jeune femme. Et l’a profondément inspirée.

Dessiner pour se protéger 

Née en 1979 à Antananarivo, Jenny Rakotomamonjy débarque à l’âge de 3 ans – haute comme trois litchis – dans la grisaille francilienne. Son père musicien a fondé un groupe avec ses frères et se produit régulièrement à Paris, dans le très chic hôtel Meurice. Toute sa famille le rejoint bientôt. Jenny grandit avec ses trois surs dans un quartier pavillonnaire de banlieue.
« Nos parents ont fait le choix de nous éduquer à la française, raconte-t-elle. Ils ont eu raison. Nous n’avons jamais eu de mal à nous intégrer. Je suis née à Madagascar, mais j’ai grandi et vécu ici. Bien sûr, comme beaucoup, j’ai eu à subir les quolibets de certains dans la cour d’école : « Bamboula », « noire neige » Mais ça ne m’a pas empêchée d’aller de l’avant. » Pourtant, elle ne conserve pas un très bon souvenir de son adolescence. Jenny est bonne élève, mais mal dans sa peau. Elle n’a pas d’amis et devient vite le souffre-douleur de ses « camarades » de classe. L’âge ingrat 
« Aussi loin que je me souvienne, dit-elle, j’ai toujours dessiné. Avec passion et en autodidacte. Au départ, c’était un refuge. Dès l’âge de 14 ans, j’ai esquissé les planches de mon premier manga. » Cette marotte ne la quittera plus. Après le bac, c’est tout naturellement qu’elle s’oriente vers les cours d’arts plastiques du Centre Saint-Charles, à la Sorbonne, où elle est formée par Séra (L’Eau et la Terre, éd. Delcourt). Elle intègre ensuite l’école des Gobelins, spécialisée dans les métiers de l’image, où elle se forme au cinéma d’animation. 


Le Papillon - Antoine Antin & Jenny Rakotomamonjy (2002)

Son diplôme en poche, elle réalise en 2002, avec Antoine Antin, son premier court-métrage d’animation, Le Papillon, produit par les studios Bibo Films, auxquels l’on doit la récente série des humoristes Éric et Ramzy, Moot Moot, diffusée sur Canal+. Le Papillon reçoit le prix Canal J du jury junior du Festival international du film d’animation, à Annecy. Jenny rejoint alors les studios Marathon Animation, où elle travaille sur le story-board de Totally Spies, un dessin animé à succès diffusé sur le réseau Cartoon Network, aux États-Unis, et sur TF1, en France. 
À 25 ans, tout lui réussit, mais elle n’a pas oublié son premier hobby : le manga. Lors du festival BD de Bercy-Village, à Paris, elle rencontre Thierry Joor, le directeur littéraire des éditions Delcourt, à qui elle présente Pink Diary, le shojo (manga destiné aux jeunes filles) sur lequel elle travaille depuis plus de dix ans. Une histoire d’amours adolescentes. Immédiatement séduit, Thierry Joor accepte de l’éditer.
Jenny en est presque surprise. Certes, la France a découvert les mangas il y a déjà dix ans, mais essentiellement par le biais de traductions de best-sellers japonais. Les productions françaises sont encore inexistantes. « Je suis arrivée au bon moment », reconnaît-elle aujourd’hui. De fait, l’année précédente, en 2003, le Festival de la bande dessinée d’Angoulême a, pour la première fois, récompensé un manga, Quartier lointain, de Taniguchi (prix du scénario).

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Stakhanoviste à la japonaise

Premier shojo francophone, Pink Diary sort en 2005. Jenny s’y consacre corps et âme et abandonne le dessin animé. Elle installe son bureau dans sa chambre, dessine plus de dix heures par jour et produit plus de quinze planches par semaine. Bref, elle adopte le rythme de travail japonais. Tous les six mois, un nouveau tome paraît. À cette allure, pas question de sortir et de prendre un verre entre amis. Son mari, Alexis Coridum, l’assiste. À eux deux, il leur faut trois mois pour concevoir, écrire et dessiner un volume. 
En librairie, le succès est au rendez-vous, même si les fans de mangas se montrent plutôt critiques : trop classique, stéréotypé, manque de personnalité, sens de lecture occidental et non japonais (de droite à gauche) Mais lorsque l’on sait que les meilleures ventes de mangas avoisinent 50 000 exemplaires, exception faite de Naruto, de Masashi Kishimoto (130 000 exemplaires), les 20 000 exemplaires vendus du premier tome de Jenny sont plus qu’appréciables. Suffisamment, en tout cas, pour permettre au couple de vivre de ses uvres. Le huitième et dernier volume de cette série à l’eau de rose, qui a reçu le prix Anime et Manga de la meilleure BD, sortira en mai. 
Aujourd’hui, Jenny est de tous les grands rendez-vous mangas en France. Elle s’est fait un nom. « J’ai ouvert une voie et cela me rend fière. Finalement, le plus dur a été de m’imposer en tant que femme. La BD est encore un monde d’hommes. »
En revanche, jamais au grand jamais, jure-t-elle, ses origines malgaches ne lui ont été préjudiciables. « En France, on ne s’est jamais étonné que je sois mangaka. En revanche, les journalistes malgaches me renvoient toujours à mes origines et me demandent pourquoi je n’écris pas une histoire qui se déroulerait à Madagascar. Mais quand j’ai quitté l’île, j’étais encore toute petite. Je n’en ai guère de souvenirs. La dernière fois que j’y suis allée, c’était en 2004, pour présenter mon fiancé à ma famille. Cela faisait dix ans que je n’y avais pas remis les pieds. Aujourd’hui, je regrette simplement que mes parents ne m’aient pas appris le malgache pour me permettre de discuter avec ma grand-mère. Mais ma vie est ici, en France. »

Par Séverine Kodjo-Grandvaux -Source de l'article Jeune Afrique

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