Collé sur les voitures des natifs de l’émirat, on voit se multiplier dans les rues d’Abou Dhabi (Abou Dabi) le visage souriant de Hamdoon (حمدون), le nouveau héros créé par Abdullah Mohammad Al-Sharhan (عبدالله محمد الشرهان), un dessinateur émirien de 28 ans, désormais à la tête d’un projet ambitieux.
Le nom du personnage ne doit rien au hasard : Hamdoon est en effet le diminutif affectueux de Hamdane, un prénom très local. Le mot évoque également, comme l’explique cet article du Hayat, la manière propre aux Emiriens de nouer au sommet de leur tête la tarha locale (si possible en voile de coton importé du Japon, c’est le must !)
Du haut de ses 8 ans, Hamdoon – un petit garçon qui, du fait de la profession de son père, a été élevé en Europe et qui fait donc la découverte de son propre pays en séjournant dans la maison de ses grands-parents – a la lourde tâche de devenir dans les années qui viennent le symbole de l’identité locale. C’est bien pour cette raison que ce projet, soutenu par le Khalifa Fund to Support and Develop Small & Medium Enterprises, a été officiellement adopté par la très importante Abu Dhabi Authority for Culture and Heritage (ADACH), sorte de ministère de la Culture chargé de la promotion du patrimoine et de la culture dans l’Emirat d’Abu Dhabi (et non pas dans la fédération des Emirats arabes unis).
Les lecteurs fidèles de ces chroniques ne s’étonneront pas de constater que les Emiriens n’hésitent pas à regarder ailleurs qu’en Méditerranée et que la société Socoool, montée autour de ce projet, a passé contrat avec des studios d’animation coréens. Et ils se souviendront également de précédents billets où l’on a pu évoquer, à l’occasion de concours poétiques, les traditionnelles rivalités entre les Emirats et les autres pays de la région, mais plus encore celles qui opposent Abu Dhabi, la capitale politique, à Dubaï, la capitale économique.
Avec Hamdoon, on constate que la concurrence locale, présente déjà dans le domaine de l’art et des grands projets culturels, se joue désormais sur un autre registre, celui des dessins animés. Le lancement du petit garçonnet fait en effet fortement penser à celui de Ajaaj, un personnage de bande-dessinée cette fois (mais il y a également des épisodes en dessins animés), lancé durant l’été 2007, dans l’émirat de Dubaï. Un projet qui, lui aussi, avait bénéficié de l’aide d’une institution officielle afin de faire la promotion, auprès de la jeunesse, de l’identité locale…
Hamdoon et Ajaaj sont loin d’être les seules initiatives locales. Dans quelques semaines, à l’occasion du prochain ramadan, les téléspectateurs pourront ainsi suivre la quatrième saison d’une série qui a remporté de nombreux prix. Créé par un autre jeune artiste local, Haydar Muhammad (حيدر محمد), Shaabiyat al-cartoon (شعبية الكرتون : « le dessin-animé popu » pourrait-on essayer de traduire) se donne clairement pour objectif de traiter des questions sociales en évitant toutefois les questions politiques ou religieuses trop brûlantes (voir cet article en arabe dans Al-Khaleej). Les enfants sont donc loin de constituer le seul public de cette série qui élargit sa cible à tout l’éventail (arabophone) de la société locale en introduisant de savoureux dialogues qui jouent sur tous les accents qu’on peut entendre sur place : ceux du Golfe, mais également ceux du Soudan, de l’Egypte, du Liban et de Palestine, et même de locuteurs non arabophones à l’origine tels les Indiens ou les Iraniens des Emirats (article en arabe dans Al-Bayan.
Comme le signalait cet article publié dans Al-Akhbar à l’occasion du dernier ramadan (traduction en anglais sur le site Menassat), l’heure est aux dessins animés qui ne sont plus réservés aux seuls enfants mais qui touchent l’ensemble de la cellule familiale, voire même un public adulte.
Les Egyptiens avaient ouvert la voie il y a quelques années avec Super Henedi, une série inspirée par un acteur à la mode que la télévision nationale. Mais ils ont eu la mauvaise idée de ne pas programmer au meilleur moment de la soirée, ce qui avait provoqué l’agacement des producteurs très vite récupérés par Abu Dhabi TV.
Toutefois, dans ce domaine également, les Emiriens et les habitants du Golfe ne se satisfont plus d’un simple rôle de consommateurs et passent de plus en plus à la production. Et le meilleur dessin animé, le plus audacieux aussi, est sans conteste la série Freej (فريج : le « quartier » dans le parler local ; site – bien fait – en anglais et en arabe), créée en 1998 par Mohammed Harib (محمد حارب). Ce jeune graphiste et photographe aux multiples talents (il fait également dans la littérature et le webdesign) est retourné aux Emirats après ses études aux USA depuis que son projet, soutenu par Sheikh Mohammed Establishment for Young Businesss Leaders à partir de 2003, s’est développé dans la Media City de Dubaï.
Freej, un des grands succès du « festin d’images » lors du dernier ramadan, déroule sans doute ses épisodes autour de la thématique classique de l’identité, et de la confrontation entre tradition et modernité, entre local et global, mais la touche morale, assez inévitable dans ce genre de produits à consommation familiale et « ramadanesque », est assez décalée par le choix des personnages : quatre grand-mères craquantes (bien que dûment voilées), aux prises avec une Dubaï secouée par la modernité.
Aux antipodes du bien trop sage Hamdoon, le traitement graphique de Freej est assez révélateur d’une certaine audace de ton qui a valu à ses auteurs quelques soucis (article en anglais) lorsqu’ils ont abordé le thème de la religion, et l’hypocrisie de certaines pratiques, à l’occasion d’un de leurs épisodes.
A l’évidence, le dessin à destination de la jeunesse est, aux Emirats, un secteur qui se porte bien, et qui porte bien les messages…
Et pour finir, une petite vidéo de Freej…
Source de l'article CPA