Invitée du 40e Festival International de la BD d’Angoulême, la bande dessinée algérienne s’expose pour la première fois dans toute sa diversité. Nous avons rencontré la personne qui en est à son initiative : la directrice du Festival International de la BD d’Alger, Madame Dalila Nadjem.
- L’affiche de l’exposition sur la BD algérienne aux ateliers Magelis à Angoulême 2013.
Comment en êtes-vous venue à faire une expo de la bande dessinée algérienne à Angoulême ?
Vous savez, depuis la naissance en 2008 du Festival international de la BD d’Alger, les contacts et les échanges se sont multipliés. Nous avons invité beaucoup de monde ici, et du beau monde : Peeters et Schuiten, Jacques Ferrandez, Cosey, Baru, Thierry Bellefroid, Munoz, Barly Baruti, etc. On a eu comme ça quatre Grands Prix d’Angoulême qui sont venus à Alger. Les contacts avec le Festival d’Angoulême sont passés d’abord par ces relais humains. C’est toujours comme ça dans le monde de la culture et c’est tant mieux.
Par la suite, en 2009 il y a eu cette invitation du Maire de la ville d’Angoulême que nous avons bien sûr honorée. Nous avons eu droit à une belle réception à l’Hôtel de Ville où nous avons pu présenter notre festival ainsi que le 9e art en Algérie. Et, l’année suivante, nous avons invité au FIBDA, le maire Monsieur Philippe Lavaud ainsi que le président d’honneur du festival d’Angoulême, M. Francis Groux. C’était rendre la politesse mais aussi, nous voulions qu’ils puissent voir de leurs yeux la dynamique qui s’était enclenchée ici. Ils ont été curieux, attentifs et assez ravis, assez pour envisager des échanges entre notre festival « gamin » - il n’a que 5 ans, bientôt 6 - et son aîné quadragénaire. Le maire a émis l’idée d’une exposition de BD algérienne à Angoulême et nous a invités à cet effet. Par la suite, ce projet a été travaillé avec Benoit Mouchart, le directeur artistique de la société 9e art +, la société qui gère le festival, et qui avait à cœur d’intégrer harmonieusement cette exposition au programme officiel.
Il se trouve que notre projet correspondait à cette vision puisque déjà, cette année, nous partageons avec le Festival d’Angoulême la coïncidence de deux célébrations : les 40 ans du FIBD et les 50 ans d’histoire de la BD algérienne. En plus, des deux côtés, nous ne voyons pas ce rappel historique comme quelque chose d’austère et de figé, voire stérile. Nous sommes plutôt dans l’évocation respectueuse de ce passé mais en nous projetant sur l’avenir, de nouvelles perspectives.
- Le Festival International de la BD d’Alger en 2012
- Photo : Canan Marasligil
Qu’allez-vous y montrer ?
Notre exposition sera un voyage dans le 9e art algérien à travers un demi-siècle d’existence et, parfois, hélas, d’inexistence ! On y verra les œuvres d’auteurs anciens, de cette génération qui a construit la BD algérienne avec des expériences uniques dans le monde arabe et musulman. De véritables pionniers qui ont bravé la bureaucratie, formé un lectorat, créé des personnages populaires, et qui, durant la décennie noire, en ont payé le prix fort, se sont retrouvés assassinés ou exilés ou privés de toute manifestation publique. Ils ont quand même poursuivi leurs créations, dans le silence culturel qui régnait alors.
Et il y aura aussi la nouvelle génération, remuante, terriblement prometteuse, qui, elle, est née ou a grandi durant la décennie noire, avec des sources très diverses : le manga, la BD européenne, les films d’animation mais aussi l’art contemporain, Internet et ce monde nouveau dans le sillage de la mondialisation. Attendez-vous à quelque chose de frais, de pertinent et d’impertinent, à l’image de la dynamique qui se déroule en ce moment chez nous. Le tout sur plus de 200 m² de surface dans un lieu magnifique, L’Atelier Magelis. Il y aura des planches originales, une librairie, des projections vidéo, des rencontres multiples. Une conférence d’Ameziane Ferhani, journaliste culturel, sur son ouvrage sur les 50 ans de BD, intitulé « L’aventure continue », un débat libre avec les auteurs présents, et d’autres animations encore. Il y aura onze personnes dans ce lieu que nous comptons inonder de soleil et d’idées.
- Une planche de Mahfoud Aider
- DR
Vous êtes la directrice du Festival International de la bande dessinée d’Alger, comment est né ce festival ?
Le 9e art algérien est passé par des étapes contrastées, de belles envolées alternant avec des périodes dures ou sèches. Depuis le début des années 2000, on assiste à un véritable regain de la vie culturelle. Plusieurs disciplines ont rejailli de leurs cendres mais la BD n’avait pas de cadre d’expression, de point de ralliement, de repère. L’attente des auteurs a coïncidé avec la volonté de la ministre de la culture, Khalida Toumi, de relancer cet art. Ainsi le festival international de la BD d’Alger a été créé et institutionnalisé et on m’a proposé de le prendre en charge, ce que j’ai accepté avec enthousiasme mais aussi appréhension, car le chantier était immense. Il le reste encore mais nous avons réussi à avancer de manière significative. Je n’en tire aucun mérite particulier car c’est avant tout aux auteurs, anciens et nouveaux, qu’on le doit, aux lecteurs et lectrices aussi qui ont formé le public grandissant du FIBDA, au soutien de la presse qui a toujours été solidaire du 9e art et a même porté sa naissance en Algérie… Bref, ceux qui avaient semé des bulles pendant des décennies se sont rendu compte que ce n’était pas en vain.
On a conçu le FIBDA comme un festival bien sûr : expositions, animations, etc. Mais aussi comme un levier de la relance du 9e art, une pépinière de nouveaux talents… Nous avons monté des formations-actions de jeunes créateurs que nous avons confiées à l’auteur belge Étienne Schreder. Deux collectifs en sont nés, les Monstres en 2011 et les Waratha (Les héritiers) en 2012. Leurs œuvres ont été publiées collectivement et certains ont déjà commencé à publier leurs albums personnels. C’est ça le FIBDA. On montre mais on agit pour avoir plus de choses à montrer. Quelle est la situation de la bande dessinée en Algérie ? Pour vous donner une idée des changements en cours, il n’y a pas si longtemps, il n’y avait qu’une maison d’édition publique qui éditait de la BD et souvent d’ailleurs des rééditions. Aujourd’hui, il y en a au moins une demi-douzaine, dont certaines se sont spécialisées dans le 9e art, ce qui est totalement nouveau ici.
C’est plus qu’un frémissement mais ce n’est encore qu’un début. Les albums de BD algériennes sont réapparus sur le marché, elles sont achetées et c’est formidable. Nous avons aujourd’hui trois revues de BD : « Laabstore » édité par Z-Link qui a lancé le DZ-manga en Algérie et amorcé la reprise du 9e art, « Bendir » édité par Dalimen, que je dirige par ailleurs, et « Carré d’art » des éditions Kaza. C’est très encourageant, mais la diffusion du livre en général demeure insuffisante. Il n’y a pas encore de véritable marché de la BD qui me permettrait par exemple de vous donner le chiffre d’affaires du 9e art en Algérie. Les choses bougent et avancent. De jeunes auteurs, qui se sont épanouis ou ont trouvé une visibilité à travers le festival, commencent à être invités personnellement dans le monde. Il y a une reconnaissance du 9e art algérien à l’étranger mais d’abord en Algérie. Les anciens, eux, reprennent et plusieurs d’entre eux développent de nouveaux projets, certains n’ayant jamais arrêté de le faire.
- Une planche de Kamel Khelif, l’un des précurseurs de la BD algérienne
- DR
La bande dessinée francophone y a-t-elle sa place ?
Oui, il existe de nombreuses bandes dessinées en langue française, au point que nous espérons développer les BD en langue arabe ou en tamazight. Mais nous n’avons aucun complexe à ce sujet. Pour la plupart des Algériens, la langue française est un atout, un vecteur de communication. Il existe de nombreux journaux en français, une chaîne de télévision aussi, des chaines de radio, des livres qui paraissent tous les jours en français.
Peut-on tout publier dans votre pays ? Y-a-t-il une censure ?
Est-ce qu’il existe au monde un pays où l’on peut tout publier ? Je ne le pense pas, y compris dans des pays de vieille démocratie. Mais s’agissant de la censure, vous serez étonné sans doute quand vous viendrez à l’exposition d’Angoulême et que vous verrez les tabous qui sont tombés, comme par exemple cette bande dessinée d’une jeune auteure, Rym Mokhtari dont le titre, Épine, est très évocateur sur l’inceste de l’auteur FEZ, sans compter qu’elles sont magnifiquement imaginées et créées. Bien sûr, il y a des limites connues comme l’interdiction de blasphémer qui concerne d’ailleurs non seulement l’Islam, mais les autres religions. Ce n’est pas en Algérie que vous verrez une BD ou des caricatures de Moïse ou Jésus, d’autant que le Coran les reconnaît en tant que Prophètes de son message. Sinon quoi ? La politique ? Jetez un œil sur les dessins de presse dans les journaux algériens indépendants. Personne n’est épargné à quelque niveau que ce soit. Le monde de l’édition a beaucoup évolué. La littérature paraît aujourd’hui avec des audaces que je vous invite à découvrir et qui touchent à quasiment tout.
Propos recueillis par Didier Pasamonik - Source de l'article Actuabd
- La Planète Faruzi de Redouane Assari
- Djazaïr News