A force de trop ressasser le cliché de l’ennemi terroriste arabo-musulman dans les jeux vidéo, l’industrie du wargame (jeu de guerre) à l’occidentale a vu naître au Moyen-Orient une nouvelle forme de résistance : celle des jeux vidéo made in Arabia. Le concept est le même, seulement les rôles sont inversés : l’ennemi est désormais américain.
Extrait du jeu vidéo Tahta al-Hisar (2005, Afkar Media) |
Vous êtes parachuté sur Bagdad, fusil automatique entre les mains, trousseau de grenades à la ceinture, et lance-roquettes – au cas où – sanglé au dos. Votre mission : dégommer autant de barbus que possible pour le salut de la bannière étoilée.
C’est caricatural, certes, mais c’est pourtant le créneau – à quelques détails près – de bien des jeux vidéo libellés “wargame”. Parmi ceux-ci, des best-sellers qui ont révolutionné le genre par leur réalisme. Pêle-mêle : Battlefield, Call of Duty, Counter Strike, pour les plus notoires. Et leur succès mondial est tel que ces jeux se vendent comme des petits pains dans le monde arabe, là-même où le joueur ira virtuellement fusiller ses “frères” ou ses “cousins” pileux au nom de la “démocratie”. Une tendance qui, à force, a pu générer du scrupule chez certains, une vindicte chez d’autres, contre cette Amérique qui insuffle chez les jeunes esprits arabo-musulmans une haine contre les siens. Au point aujourd’hui, que certains studios de développement arabes ont lancé leurs propres jeux vidéo, en inversant les rôles.
Si la production de jeux vidéo dans le Moyen-Orient en est encore à ces balbutiements, il existe néanmoins une une réelle volonté parmi les concepteurs de jeux de la région de modifier l’image “faussée” que renvoient les productions occidentales des Arabes et des musulmans. “La plupart des jeux vidéo sur le marché sont anti-arabe et anti-islam, fait remarquer Radwan Kasmiya , directeur exécutif de la société syrienne Afkar Media. Les gamers arabes jouent à des jeux qui attaquent leur culture, leurs croyances, et leur mode de vie.”
Même son de cloche du côté du Central Bureau of Internet du Hezbollah libanais – la branche “connectée” du mouvement chiite – un poil plus véhément, forcément. “Le problème derrière les jeux vidéo est que la plupart d’entre eux sont de fabrication étrangère, surtout américaine. Par conséquent, ils portent d’énormes incompréhensions et habituent les adolescents à la violence, la haine et la rancune, peut-on ainsi lire sur le site Internet de la filière “digitale” du Hezbollah. En outre, certains humilient ouvertement plusieurs de nos pays arabes et islamiques. (…) Dans ces jeux, les ennemis sont des soldats arabes, tandis que le héros qui les tue – le joueur lui-même – est un Américain”.
Une autre perspective
Ainsi, pour contrer le modèle américain du jeu vidéo de guerre, certains développeurs arabes ont, à leur tour, proposé des alternatives locales telles que le jeu Al-Quwwat al-Khasa (Les forces spéciales), développé en 2003 par le studio Solution, et présenté comme un outil de promotion du Hezbollah face à l’occupation israélienne du sud du Liban. Le joueur y incarne ce qui se veut être l’archétype du héros arabe et musulman : un guerrier sans peur, un “vrai combattant du Hezbollah”, un “shahid” (martyr), massacrant des hordes de forces sionistes. Du reste, le concept du jeu n’est pas différent des First person shooter (jeux de tir à la première personne) édités dans l’Ouest : il inverse simplement les polarités de la narration et les stéréotypes iconographiques en remplaçant le soldat américain par le héros arabo-musulman, tout en insistant sur l’identité musulmane du joueur et ses obligations vis-à-vis du Hezbollah.
Jaquette du jeu Tahta al-Hisar (2005, Afkar Media) |
Une autre approche de la question de la représentation arabe peut être trouvée dans le jeuTahta al-Ramad (Sous les Cendres), développé en 2002 par le studio Dar al-Fikr, et qui traite de la première Intifada. A la différence d’un Al-Quwwat al-Khasa propagandaire, Tahta al-Ramad se présente comme une œuvre neutre à forte valeur émotionnelle, du moins dans la façon dont ses personnages sont dépeints. La première mission, par exemple, met en scène le héros principal, Ahmad, à une manifestation où des Palestiniens jettent des pierres sur des soldats israéliens qui répondent à coups de feu, le tout dans une ambiance sonores mêlant cris, pleurs, gémissements et explosions, la tâche du joueur étant de sortir indemne de la manifestation. L’histoire bascule ensuite dans le schéma classique des jeux d’action, le héros rejoignant la résistance palestinienne. Selon ses auteurs, Sous les Cendres est un “appel à la justice et à la réalisation de la vérité , la prévention contre le mal et l’agression“. Malgré sa faible qualité technique – et c’est un euphémisme – plus de 50 000 exemplaires ont été vendus. Dans un marché où la plupart des joueurs disposent de copies piratées de jeux vidéo, il s’agit d’une prouesse. Le jeu aura même une suite bien plus élaborée, Tahta al-Hisar (Assiégés), sortie en 2005 et développée par Afkar Media.
Al-Quwwat al-Khasa et Tahta al-Ramad peuvent être considérés comme les pionniers de l’auto-déterminisme arabo-musulman dans les jeux vidéo. Bien que le premier soit ouvertement idéologique, et le second à des années lumières des prouesses techniques de gros blockbusters occidentaux comme Call of Duty, les deux initiatives offrent, pour la première fois au Moyen Orient, une autre perspective de la réalité politique et sociale locale.
Par Kayes LAHOUEJ - Source de l'article Mena-post
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