Dalila Nadjem, commissaire du FIBDA. © DR |
Comment s'organise le Festival de la bande dessinée d'Alger (FIBDA), ce grand rendez-vous des passionnés et des professionnels du 9e art ? Sa commissaire s'est confiée au Point Afrique.
Pour sa dixième édition, qui se déroulera à Alger du 3 au 7 octobre, c'est la France qui est invitée d'honneur. « Une terre de la BD avec laquelle le FIBDA a beaucoup travaillé », annonce Dalila Nadjem, directrice des éditions Dalimen et commissaire du FIBDA, lors de la conférence de presse tenue mardi 19 septembre sous le chapiteau du festival sur les hauteurs d'Alger. L'organisatrice reconnaît que cette année, l'événement « accueillera moins d'auteurs pour raison de budget restreint ».
Selon le ministre de la Culture, Azzedine Mihoubi, « seuls 10 % des 176 festivals ont été maintenus ». « Nous n'avons plus les moyens financiers d'il y a quatre ou cinq ans. Le budget destiné aux activités culturelles a été réduit. Le secteur de la culture subit la réduction du budget comme les autres secteurs, à part l'éducation et la santé », a précisé le ministre. Mais l'équipe du FIBDA ne se résout pas à l'austérité et compte sur le soutien des partenaires étrangers : le Canada, l'Italie, l'Union européenne, les États-Unis, et la France, invité d'honneur, ont dépêché leurs représentants diplomates à Alger à la conférence de presse pour témoigner de ce soutien.
Le programme, même moins dense que les éditions des années fastes, tente de maintenir le bon niveau du festival le plus en vue en Afrique et dans le monde arabe. Conférences d'auteurs venus de France (Farid Boudjellal, Jacques Ferrandez, Régis Hautière, Catel Muller, Nicolas Grivel, Richard Marazano, etc.), de Belgique (François Schuiten, Étienne Schréder, etc.), ateliers (notamment pour les enfants hospitalisés), concours de Cosplay (120 candidats !), rencontre autour du projet BD Alger-Bruxelles-La Havane, expos, résidence d'auteur pour deux auteurs algérien et italien, projections de films (Valérian et la cité des Mille Planètes et Macadam Popcorn)…
Et s'il y a de moins en moins d'argent public en Algérie, « On actionnera la "planche à BD" », lâche avec malice le plasticien Djaoudet Guessouma, membre de l'équipe FIBDA, en faisant allusion au projet du gouvernement de recourir à la création monétaire via la planche à billets.
Affiche du 10e FIBDA. © Slim |
Le Point Afrique : le FIBDA fête ses dix ans cette année, quelle a été la plus importante de ses réalisations et quels ont été les chantiers restés sans lendemain ?
Dalila Nadjem : D'abord, nous avons pu réhabiliter l'ancienne génération de bédéistes algériens, nous avons sorti de l'ombre les pionniers de la BD dont l'aventure date des années 1960. Ceci est notre premier acquis. Ensuite, nous avons favorisé l'émergence d'une nouvelle génération : il y a eu un engouement formidable dès que nous avons organisé nos premiers concours il y a dix ans. Et puis il y a eu une belle production de BD, une avancée éditoriale et surtout, nous avons acquis un public passionné qui ne rate jamais ce rendez-vous. Des gens viennent de l'intérieur du pays et programment des mois à l'avance leur virée à Alger pour assister au festival. Nous avons aussi fidélisé beaucoup d'artistes étrangers à travers le monde, l'Afrique, l'Europe et d'ailleurs, certains participant à notre festival depuis des années.
Nous avons aussi réuni tout le fonds documentaire de la BD algérienne depuis les années 1960, que nous pouvons exposer. Maintenant je regrette qu'il n'y ait pas eu d'implication des éditeurs. En 2012, avec les aides publiques pour l'édition, nous avons vu émerger quand même neuf maisons d'édition qui se sont lancées dans la BD. Mais, aujourd'hui en 2017, certaines ont carrément fermé car éditer la bande dessinée reste financièrement très lourd. Ce qui reste à réaliser aussi, c'est un musée dédié à la bande dessinée, un projet qui attend toujours une dotation de terrain.
Comment le FIBDA a-t-il réussi à se classer premier festival de la bande dessinée en Afrique et dans l'ensemble des pays arabes ?
Parce que depuis dix ans, nous avons toujours réuni l'Afrique et l'Occident. Le festival est une plateforme d'échanges et de rencontres qui a révélé de nombreux auteurs et dessinateurs africains, surtout durant le Festival panafricain, 2009 à Alger (PANAF) où nous avions invité 64 auteurs de tout le continent qui ont réalisé un superbe album collectif, La bande dessinée conte l'Afrique, après une résidence de 25 jours à Alger. Et certains de ces auteurs sont aujourd'hui publiés en France. Nous avons aussi permis à des auteurs venus des États-Unis, de France, du Canada, d'Italie, de Belgique, etc., de rencontrer leurs collègues arabes ou africains : des liens se sont tissés et, surtout, des projets sont nés grâce à ces rencontres : un Cubain a pu être édité en France, un Chinois publie en Belgique après son passage chez nous, etc. On a même des gens qui se sont mariés grâce au FIBDA : une Cubaine avec un Belge par exemple !
Le budget alloué au FIBDA par le ministère de la Culture ne cesse de baisser année après année. Dans ce contexte de rigueur, comment voyez-vous l'avenir du festival ?
Cette année, les restrictions budgétaires ont été drastiques, nous n'avons pas pu, par exemple, lancer des formations (ici à Alger ou à l'étranger), or ce sont justement ces formations qui ont permis des avancées dans le domaine de la BD et qui ont fédéré autour du FIBDA de jeunes talents. Mais nous comptons aussi sur les rencontres entre le public et les auteurs, ou entre les auteurs eux-mêmes pour pallier ce manque en termes de formation. Du côté des sponsors, nous n'avons pas eu beaucoup de chance, eux aussi sont frappés par la crise. Nous devons trouver de nouvelles sources de financement comme l'entrée payante (entre 150 et 600 dinars, de 1 à 5 euros).
Par Adlène Meddi - Source de l'article Le Point Afrique