Confrontées à une violente polémique et des accusations de racisme, les éditions De Varly ne vont vraisemblablement pas publier des planches mettant en scène le petit héros noir créé en 1951 par le dessinateur Mat.
En s’attelant à la réédition en France de « Bamboula », George Fernandes, responsable des éditions De Varly, ne s’attendait pas à affronter un ouragan d’indignations. Derrière « Bamboula » se cache un personnage atypique de la BD franco-belge d’après-guerre, et qui a eu peu de succès en son temps. « Bamboula », imaginé par l’illustrateur français Marcel Turlin, alias « Mat », est un petit garçon « venu d’un pays d’Afrique noire » qui débarque en France où il joue les Candide. Ce qui en fait l’un des très rares héros de couleur à avoir ses propres aventures mises en cases à l’époque. Il y a bien eu quelques précédents, comme Razibus Zouzou, l’ami noir de Bibi Fricotin, mais c’était un comparse, relégué au second plan.
L’éditeur évoque le contexte historique
L’éditeur, qui avoue aujourd’hui « ne plus dormir », tant les réactions au projet l’ont « bouleversé », savait que la réédition des œuvres de Mat, et donc également des aventures de Bamboula était un projet compliqué. Dans l’ouvrage qui doit théoriquement paraître le 1er février prochain et que nous avons pu consulter, il se fend d’une longue introduction pour se défendre.
Il reconnaît d’abord que le terme de « Bamboula » est une insulte. Mais il évoque les bonnes intentions de l’auteur : « Mat (1895-1982), était un homme de cœur. Il aimait faire rire les enfants et il détestait l’injustice. Il souhaitait la fraternité entre les hommes (…) l’auteur a toujours mis en valeur la fraternité et pointé du doigt l’idéologie des extrêmes. »
De plus, pour Georges Fernandes, le petit garçon fait preuve de nombreuses qualités : honnêteté, courage, intelligence, qui en font un personnage positif, à une époque, comme il nous l’a expliqué « où la censure avait du mal à admettre un héros noir. »
Enfin, l’ouvrage reste pour lui un document historique important qui témoigne des représentations de l’époque. « Si nous effaçons tout ce qui nous dérange dans le passé, nous n’aurons plus d’Histoire », explique-t-il.
Il s’étonne de la violence des attaques alors qu’en France, les pamphlets antisémites de Céline, « qui contiennent des appels au meurtres » vont être réédités par Gallimard, avec l’assentiment du Premier ministre Edouard Philippe.
La parution – en papier – annulée
Reste que, lue aujourd’hui, la bande dessinée peut choquer. D’abord le terme de « bamboula », rappelons-le, était déjà chargé de mépris à l’époque de la publication. Ensuite, le « négrillon » de l’histoire s’exprime dans un français très approximatif (« Toi y en a pouvoir m’y donner un pitit renseignement ? ») qui le ridiculise.
Sa méconnaissance du monde « civilisé » est prétexte à des gags le mettant dans des situations grotesques… jusqu’à le faire coucher dans la niche d’un chien, plutôt que dans le lit étouffant que sa famille d’adoption lui propose.
Bien sûr, certains personnages blancs violents, égoïstes, sont aussi caricaturés. Mais à longueur de cases, c’est plutôt l’inadéquation de Bamboula au monde moderne qui crée l’effet comique et peut être jugée insupportable aujourd’hui.
Les réactions outrées au projet de réédition n’ont pas tardé, d’abord sur les réseaux sociaux, puis sur le site de nos confrères d’ActuaLitté. Plus récemment, l’animateur et militant Claudy Siar s’est violemment indigné sur Facebook : « Si cette maison d’édition ose aller au bout de son projet, je débarque dans leurs locaux et ça va chauffer !! »
L’éditeur, très affecté par la polémique, et qui ne « souhaite blesser personne », avait déjà pris la décision de ne pas publier un tome 2 regroupant le reste des aventures de Bamboula. Au vu des développements récents de l’affaire, et après avoir reçu des menaces de mort par téléphone le visant lui et sa famille, il réfléchit à annuler également la parution du premier tome. La bande-dessinée reste de toute façon disponible online sur le site de la Cité BD d’Angoulême.
Par Léo Pajon - Source de l'article Jeune Afrique
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