jeudi 1 mars 2007

L’histoire de la bande dessinée algérienne


La bande dessinée voit le jour en Algérie à travers la presse coloniale des années 1950 qui publie quelques caricatures, mais il faut attendre l’Indépendance de 1962 pour que son histoire débute vraiment.

En effet, le pays va utiliser ce moyen d’expression afin d’illustrer la fierté de sa libération. Plusieurs magazines de presse, comme Algérie-Actualité font alors appel à des dessinateurs tels que Haroun et Chid. C’est d’ailleurs à cette époque qu’apparaît un des personnages phares de la bande dessinée algérienne, crée par Slim : « Mimoun » qui deviendra plus tard « Bouzid » un pauvre habitant de Oued Besbes qui doit affronter Sid Sadik, le seul riche du douar aussi affairiste qu’intégriste qui essaie de lui ravir sa compagne, Zina.

En 1969 apparaît la première revue de bandes dessinées sous le nom de M’quidech (nom d’un personnage mythique des contes populaires algériens) créée par un groupe de « bédéistes », et publiée en français et en arabe par la SNED (Société Nationale d’Edition et de Diffusion) afin de concurrencer les nombreuses publications françaises de l’époque. Pour cela, ils décident de privilégier les héros de type algérien, les décors et les costumes nationaux et narrent de manière distrayante l’histoire de l’Algérie. Par exemple, une des rubriques, intitulée « De nos montagnes », retrace les hauts faits de la guerre de libération. Ce qui est le plus étonnant dans ce projet c’est que la moyenne d’âge des dessinateurs est alors de 16 ans !

Daiffa, L’Algérie des Femmes
Mais, en 1972 la SNED décide d’interrompre la publication de la revue. D’autres périodiques suivront avec un moindre succès. Pendant ce passage à vide, seul Slim continue de publier régulièrement dans différentes revues officielles.
Il faut attendre les années 80 pour voir un nouvel essor comme le prouve le premier festival de la bande dessinée et de la caricature de Bordj El Kiffan en 1986. L’Etat recommence alors à aider financièrement certaines publications. Les thématiques, elles, sont toujours très liées à l’actualité de la société algérienne notamment la question de la parité.

Daiffa, L’Algérie des Femmes
Après les manifestations de 1988 contre le parti unique, le président Chadli Ben Djedid qui désire une démocratisation du pays autorise la presse indépendante à critiquer librement le régime. Cela provoque un foisonnement de publications et favorise l’apparition de nouveaux talents. Parmi eux, la dessinatrice Daiffa qui est la première femme à s’être lancée en autodidacte dans le dessin de presse. Ses planches (regroupées dans le recueil L’Algérie des femmes) témoignent de la vitalité de la lutte des femmes algériennes et de leur humour féroce lors des situations difficiles.

Certains « bédéistes » décident de créer un nouveau périodique El Manchar(« la scie ») qui mélange textes et dessins satiriques. Cette revue tirée à 200 000 exemplaires connaît un franc succès et fait découvrir de futurs grands dessinateurs tel que Gyps même si sa ligne éditoriale, libre et rebelle, effraie certaines personnalités du pouvoir qui essaient de museler le magazine.

Gyps, Algé Rien

Malheureusement, tout cet élan créatif s’écroule lors du déclenchement de la guerre civile en 1991. Les premières cibles des islamistes sont les intellectuels, les journalistes et les dessinateurs de presse. Certains sont assassinés, d’autres contraints à s’exiler. C’est le cas du bédéiste Gypsqui autoéditera en France des albums sur la guerre civile (FIS and love), ou encore sur la vie sexuelle des Algériens (Algé rien).
L’installation en France de nombreux dessinateurs fait alors connaître la bande dessinée algérienne de l’autre côté de la Méditerranée. Parmi les plus célèbres, Jacques Ferrandez et ses Carnets d’Orient qui retracent, depuis les années 1830 jusqu’à la guerre de libération, l’histoire de l’Algérie à travers un kaléidoscope d’histoires fragmentées, de personnages divers qui n’exclut ni les préjugés ni les violences mais qui échappe brillamment aux caricatures (à noter que le 9ème tome doit paraître en mai 2007).

Ali Dilem, caricature de Bouteflika  
Citons également Farid Boudjellal. Né en 1953 à Toulon, il est à la fois humoriste, chroniqueur, scénariste et illustrateur de bandes dessinées. Son œuvre généreuse est à la fois humoristique et grave. Toujours innovant, il aborde divers sujets tels que les couples mixtes (Jambon-Beur), l’extrémisme religieux (Juifs-Arabes) ou encore l’histoire partiellement autobiographique d’un garçon atteint de la polio (Petit Polio et sa suite dont le dernier tome paraîtra prochainement et sera consacré à un cousin harki).

Pour en revenir à l’Algérie, depuis la fin de la guerre civile trop peu de choses ont changé concernant la liberté d’expression. Au niveau juridique, un amendement a même été adopté par le parlement en 2001 prévoyant des peines de deux à douze mois de prison ainsi que des amendes de 50 000 à 250 000 dinars (730 à 3 700 euros) pour toute « atteinte au président de la République en termes contenant l’injure, l’insulte ou la diffamation, soit par l’écrit, le dessin ou par voie de déclaration ». Ce genre de préjudices est également condamnable s’il concerne le Parlement, l’armée ou d’autres institutions publiques. Par exemple, Ali Dilem, dessinateur algérien du quotidien Liberté s’est vu assigner 24 procès réclamant des peines de prison ferme ou de lourdes amendes simplement pour avoir caricaturer le président Abdelaziz Bouteflika. Rien d’étonnant alors que l’organisation Reporters Sans Frontières place en 2006 l’Algérie dans son classement mondial de la liberté de la presse au 126ème rang sur 168.

En conclusion, bien qu’il ait été longtemps considéré comme le pays de la bande dessinée au Maghreb, l’Algérie produit actuellement un très faible taux de bandes dessinées, la plupart des planches apparaissant dans des revues et non dans des albums. Paradoxalement, son lien étroit avec l’actualité politique et sociale du pays lui permet de se renouveler et de rebondir constamment.

Par Jessica FALOT - Source de l'article La Plume Francophone

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