samedi 1 octobre 2011

« Tunisie - Nadia Rais » Réalisatrice de dessins animés mais pas que cela !L’mrayet, le dernier film de Nadia Rais, en cours de montage... Image : Aimablement prêtée par Nadia Rais

Nadia Rais, soutenue par le Fonds francophone pour le cinéma termine son dernier film, à quelques jours de l’élection de la Constituante tunisienne... Constats, doutes et surtout l’espoir !

Nadia Rais, vous êtes bénéficiaire du Fonds francophone pour un dessin animé, court métrage, L’mrayet, comment s’obtient cette aide mise en place par l’Organisation Internationale de la Francophonie ?
JPEG - 48.5 koAvant le Fonds francophone, mon nouveau court métrage d’animation L’mrayet , a bénéficié de l’aide du ministère Tunisien de la culture et de la sauvegarde du patrimoine. Mon producteur, Imed Marzouk*, a envoyé un dossier contenant un synopsis, un scénario, une note d’intention et une charte de l’univers graphique et des personnages… Ça été la grande surprise lors de la délibération car malgré le langage symbolique que j’avais utilisé, la réponse était positive. On était fin mars 2010, à l’époque on était encore sous le régime de Ben Ali, le scénario du film parle clairement d’un renversement de la dictature et est plus ou moins annonciateur de la révolution... Les dernières lignes du synopsis sont : «  Boum quitte son bureau, il court dans le couloir, frappant sur toutes les portes des collègues. Les portes s’ouvrent les unes après les autres, il réussit à les avertir. Les fonctionnaires enlèvent à leur tour leurs lunettes. D’un regard effrayé… L’alarme se déclenche… Ils quittent leurs bureaux et déclenchent le renversement de tout le système… » Une fois le projet accepté par le ministère c’est au producteur du film de faire la demande de subvention au Fonds francophone. Il faut nécessairement avoir un producteur car le réalisateur ne touche pas d’argent directement. Tant mieux, mon producteur fait très bien ce travail. Il investit lui-même...
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L’mrayet, le dernier film de Nadia Rais, en cours de montage...
Image : Aimablement prêtée par Nadia Rais
Où en est le dessin animé tunisien ?
Il est un peu marginal dans la production cinématographique tunisienne. Je ne suis pas la seule réalisatrice mais nous sommes très peu nombreux ! Moi-même, j’ai commencé par le long métrage d’animation « Le Sous Marin de Carthage » de Zouhaier Mahjoub. J’avais bénéficié d’une formation de six mois et j’avais occupé un poste dans l’animation et la réalisation des décors pendant 18 mois. En Tunisie, aucune école ne forme au dessin animé. Il n’existe pas encore de festival d’animation ou de structure qui rassemblerait le savoir-faire, car on ne manque pas de créativité dans ce domaine. Mais je reste confiante, les choses sont en train de bouger. Je suis souvent invitée à présenter mon film dans des festivals à l’étranger et ici dès que l’occasion se présente les programmateurs projettent des films d’animation, les journalistes abordent de plus en plus le thème de l’animation. Avec la révolution et les nouvelles perspectives qui s’ouvrent, il est temps que le petit monde du dessin animé se structure, c’est pourquoi avec des amis nous sommes en train de créer une association...
Vous parlez de la révolution... aujourd’hui comment se porte la Tunisie ? Certains ont-ils des doutes ?
La révolution appelle à l’égalité, la liberté et la dignité. Nous sommes entrés dans une période où enfin on va pouvoir écrire notre histoire. Malheureusement, il faut être très vigilant car depuis le 14 Janvier*, il y a beaucoup de manipulation à tous les niveaux. D’une part les microbes de l’ancien régime qui reviennent sous un nouveau visage, oubliant qu’ils ne peuvent pas cacher leurs tics, d’autre part certains partis et, pour être directe, je citerais le parti islamiste Ennahdha qui achète des misérables personnes pour gagner le maximum de voix… Mais il faut lutter pour ne pas tomber dans le négatif. Actuellement, les Tunisiens ont souvent un doute, cela provient certainement de la peur et du manque d’information. Les chaines de télévision locales et étrangères, manquent de transparence, elles diffusent beaucoup de clichés et très peu d’analyse. Méfions-nous, la peur ne doit pas gâcher ce que nous avons déjà fait ! Nous devons revenir aux paroles de notre hymne national qui engagent les Tunisiens à vivre sur leur sol dans la dignité. Elles disent aussi qu’un jour le peuple qui veut vivre et prendre son destin en main doit dissiper les ténèbres et briser ses chaines... C’est un appel à la résistance et au libre arbitre, c’est tout le contraire de la dictature et de l’orientation religieuse qui mettent le destin des Hommes dans les mains d’un chef ou celles de la volonté divine. L’hymne tunisien a fortement rassemblé les gens sur les réseaux sociaux avant et pendant la révolution. Et certainement après !
Dans ces conditions, le vote pour la Constituante du 23 octobre arrive-t-il au bon moment ?
... C’est le flou total concernant ce jour. J’aimerais bien que la Tunisie puisse guider son destin d’une manière autonome, de la même manière que lorsqu’elle a chassé son dictateur. Les Tunisiens craignent souvent l’ambiguïté de l’intervention étrangère, une ambiguïté toujours présente... regardez la Libye ! En plus, les islamistes jouent en leur faveur avec cette ambiguïté et la peur qu’elle génère. Pour revenir précisément à votre question, oui, le vote pour la Constituante arrive au bon moment, j’ai déjà ma petite idée et je serai au rendez-vous !
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L’mrayet, le dernier film de Nadia Rais
Image : Aimablement prêtée par Nadia Rais
Comment se traduit la présence du clan Ben Ali - Trabelsi ?
La famille Trabelsi était une vraie mafia, ils sont sans foi ni loi. Pour eux, tout était permis. Ils seront certainement jugés, mais ce qui me fait peur est comment le pays va-il gérer les problèmes qu’ils ont générés ? Par exemple la construction immobilière sur le site archéologique de Carthage, classé par l’UNESCO, ou sur des terrains classés en zones vertes. Il existe des centaines de problèmes dans ce genre. Là comme ailleurs c’est une lutte de chaque instant pour que l’intérêt privé ne reprenne pas le dessus sur l’intérêt général. Nous sommes à deux pas du chaos si les Tunisiens ne parviennent pas à gérer la liberté naissante, ils sont submergés par le stress, à la limite de l’hystérie. Moi-même j’ai pris quelques jours de vacances pour reprendre mes esprits. Il nous faut garder l’espoir malgré les doute... il le faut...
A quel avenir aimeriez-vous contribuer pour la Tunisie ?
Nous sommes bien conscients que la Tunisie entrera dans l’Histoire si elle va au bout de cette révolution. Comme je l’ai expliqué au début, la révolution arabe appelle à l’égalité, la liberté et la dignité, celle de nos pays, du monde arabe et de la Palestine. L’idéal, ça serait d’atteindre nos objectifs en restant pacifique, diplomate et démocrate. L’avenir pour la Tunisie est de garder son point fort, c’est à dire être un pays stratégique, marquée par une longue histoire de l’époque phénicienne jusqu’à nos jours. La Tunisie fait partie du Maghreb, de l’Afrique, de la Méditerranée et du monde Arabo-musulman. Chacun doit porter des initiatives en ce sens, avec des amis cinéastes ou différents artistes nous essayons de réfléchir en ce sens.
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L’mrayet, le dernier film de Nadia Rais
Image : Aimablement prêtée par Nadia Rais
Et la notion de laïcité ?
Pour la liberté de tous les citoyens tunisiens, croyants ou non croyants, pratiquants ou non pratiquants, appartenant à la majorité musulmane ou aux minorités juives ou chrétiennes, la laïcité est le seul garant de la démocratie et de la justice pour tous, mais comment ? Depuis 1956 après l’indépendance de la Tunisie, Bourguiba avait le recul pour comprendre qu’une laïcité à la manière d’Atatürk ne pouvait pas marcher en Tunisie. Bourguiba a eu le génie d’écrire une constituante d’avant-garde par rapport à son époque, notamment au sujet du rapport entre les hommes et les femmes ! Aujourd’hui, ça serait bien de suivre ses pas et d’approfondir un peu plus la question de l’héritage. Est-il normal que la femme tunisienne participe au développement de l’économie tunisienne, qu’elle paye ses impôts et ses taxes, qu’elle participe à payer les charges familiales et, lorsqu’il s’agit d’héritage, que sa part ne représente que 50% de celle des hommes ?
Revenons à vous ! Comment s’articule votre francophonie et votre arabophonie ? En quoi travaille votre cerveau quand vous dessinez ou cogitez ?
J’ai fait mes études primaires et secondaires, jusqu’au BAC lettres, en langue arabe où j’ai étudié des auteurs arabes tesl que El Maari, Taoufik Al Hakim, Omar Khayyem… puis j’ai continué mes études supérieures, une année préparatoire à l’IHEC et une maitrise aux Beaux-Arts, en langue française. J’ai étudié les techniques, l’histoire de l’art et l’esthétique, j’ai découvert des philosophes tels que Michel Foucault, Deleuze… Mon conjoint est français mes deux filles sont franco-tunisiennes. J’adore cette double culture, je la vis très bien. Je ne cherche pas à dissocier les deux, c’est une richesse ! La diversité culturelle façonne le Tunisien d’aujourd’hui. On ne résiste pas à des millénaires de mélange des cultures... Carthaginois, Phéniciens, Espagnols, Arabes, Turcs ou Français ont tous apporté une pierre à l’édifice tunisien. C’est notre réalité et ça m’inspire !
* Imed Marzouk : Propaganda Production. Tunis.* 14 janvier : date du départ du président Zine El-Abidine Ben Ali pour l’Arabie Saoudite, après 23 ans de pouvoir.


Par la Rédaction de Zig-Zag  - Source de l'article Zig Zag


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