Il y a deux semaines, je vous présentais le Festival International de la Bande Dessinée d'Alger (FIBDA), qui s'est déroulé du 4 au 8 octobre.
Je vous propose ici un aperçu de la création et la diffusion de la bande dessinée en Algérie et dans la région, présenté à travers les différentes conférences qui ont eu lieu à ce sujet et des discussions avec quelques éditeurs et auteurs présents sur le site du festival.
Le rôle des festivals reste clé dans l'avènement de la création et de la publication de bandes dessinées, et le monde arabe en a vu fleurir quelques-uns dans les années quatre-vingt, notamment à Tunis à partir de 1983, à Alger entre 1986 et 1989 ainsi qu'à Beyrouth en 1987 et 1988. Après une absence de quelques années due notamment à la guerre civile, l'Algérie renoue des liens professionnels avec la bande dessinée à travers le FIBDA, dès sa création en 2008. Un des buts majeurs du FIBDA est, dans le long terme, d'attirer l'attention du milieu éditorial sur les jeunes talents, et de développer un marché local pour la bande dessinée. Lors de sa première édition, il n'y avait que deux maisons d'édition algériennes publiant de la bande dessinée présentes au festival, quatre ans plus tard, il y en a sept, dont Dalimen, Lazhari Labter Editions, l'ENAG (Entreprise Nationale des Arts Graphiques) et Z-Link.
Seance de dedicace au stand Dalimen, ici Gyps |
La bande dessinée algérienne
Lazhari Labter, éditeur et grand passionné de la bande dessinée, a compilé un excellent ouvrage retraçant quarante ans de la bande dessinée algérienne: Panorama de la Bande Dessinée Algérienne 1969-2009, qu'il a d'ailleurs édité dans sa toute jeune maison d'édition Lazhari Labter Editions. Dans cette célébration du neuvième art en Algérie, Labter retrace le chemin qu'a parcouru la BD algérienne, partant de la toute première revue éditée dans le pays en 1969 : M'Quidèch. Initiée dès 1968 par Abderrahmane Madoui (directeur de la société nationale d'édition et de diffusion, SNED, éditeur de la revue), M'Quidèch a malheureusement cessé sa publication à la fin 1973. Mais il existe aujourd'hui une volonté de la rééditer.
Rym Mokhtari au FIBDA |
Des bandes dessinées sont publiées sous forme de strips ou d'albums dès 1967 dans les journauxAlgérie Actualité et El Moudjahid, avec notamment des oeuvres comme Naâr, une sirène à Sidi Ferruchde Mohamed Aram, Commando en mission de NourEddine Hiahemzizou, Le Pont de Rachid Aït Kaci etMoustache et les Belgacem de Menouar Merabtene dit Slim. Dans les années 80, la BD algérienne voit un nouvel essor, notamment avec la création du premier Festival de la bande dessinée et de la caricature de Bordj El Kiffan à Alger, en 1986, et l'apparition de jeunes talents, dont Gyps -présent au FIBDA, dans des publications comme la revue El Manchar (La scie). Tout cet élan créatif se voit malheureusement disparaître avec le début de la guerre civile en 1991.
Beaucoup d'auteurs et dessinateurs, comme Gyps et Jacques Ferrandez, s'exilent en France. Cet arrêt brutal, la jeune auteure et dessinatrice Rym Mokhtari l'a également évoqué lors d'une conférence au FIBDA (voir article précédent), attirant néanmoins l'attention sur une renaissance non négligeable de la BD algérienne depuis quelques années.
L'édition
Etienne Schreder au FIBDA |
Il a donc été question de l'édition dans de nombreuses conférences, comme celle du journaliste et auteur belge Thierry Bellefroid, tout simplement intitulée « L'édition, comment ça marche ? » modérée par Rachid Alik, directeur de la communication du FIBDA. Un titre qui promet des informations et conseils pratiques sur les fonctionnements de l'édition, qui cependant commence par un constat décourageant pour les auteurs et illustrateurs de BD algériens et africains : « 4500 albums sont publiés chaque année en Belgique francophone, France et en Suisse, cela fait cent par jour » dit Bellefroid, et il ajoute, citant l'auteur et dessinateur belge Étienne Schréder, qui anime les ateliers jeunes talents à Alger, « Mieux vaut donc être le premier en Algérie que le dernier en Europe ».
Bellefroid est tout de même parti de l'expérience francophone européenne afin de partager des exemples qui pourraient servir au contexte algérien. Bien qu'elle ne l'était pas auparavant, la France est à présent le pôle culturel en ce qui concerne la bande dessinée, et il existe une culture BD très répandue dans ces pays, ce qui est essentiel au développement d'un modèle économique. Il existe tout un système, grâce à l'existence de magazines, d'éditeurs, d'écoles… qui participe à l'éclosion centrifuge, contaminant l'ensemble des secteurs : économie, apprentissage et aujourd'hui subventions.
Au niveau des pouvoirs publics en France, Belgique et en Suisse, Bellefroid explique qu'il existe des enveloppes annuelles d'aides à la création et à la diffusion, décidées par les services des lettres des différents pays et confiées à des commissions de spécialistes. En Algérie, il existe un système d'aide à l'édition, sous forme de pré achat, mais la seule aide aux jeunes auteurs est celle du FIBDA, avec le Prix Jeune Talent. « Il faut que des collectifs d'auteurs, de fanzines, et autres se groupent et aillent trouver les pouvoirs publics » conseille Bellefroid, ajoutant que la BD publiée par les journaux reste aussi un bon modèle. L'idée n'étant pas de publier tout de suite des albums, mais de commencer par assurer une diffusion de la bande dessinée via d'autres médiums, comme les magazines et les fanzines.
La question de la lecture se pose aussi, bien que le Salon International du Livre d'Alger (SILA) a vu défiler un très grand nombre de visiteurs cette année, ça reste une foire annuelle où les lecteurs viennent faire leurs achats de livres pour l'année, et le lecteur de BD reste minoritaire.
Il y a également le problème des librairies, de la distribution mais aussi d'éducation du lecteur à la bande dessinée. « Il faut aussi éduquer à lire la BD, qui nécessite une autre forme de lecture » explique Bellefroid, « un public qui n'est pas éduqué à la BD n'achète pas de la BD. »
Hilaire Mbiye au FIBDA |
Il y a donc une nécessité de développer une génération de lecteurs et de donner la possibilité à ceux en marge du modèle économique de survivre. Ceci nécessite parfois une aide gouvernementale, notamment à travers les bibliothèques, les municipalités ou les commissions. La bande dessinée est un média qui peut passer mieux que le livre, Bellefroid attire cependant l'attention sur les potentiels risques d'usages gouvernementaux, mais ajoute que « la BD éducative doit exister, surtout sur ce continent où le livre ne passe pas ou passe moins bien ». Il existe des mangas algériens et des BD éducatives, et commission ou non, les créateurs réfléchissent, créent différentes formes d'oeuvres et « font ce qu'ils ont dans les tripes » dit Bellefroid, « dès que des auteurs émergent, qu'une génération émerge, tout le monde raconte une histoire différente. » Le cas de Slim, père de la bande dessinée algérienne, illustre bien ce propos : « c'est une star absolue dans ce pays » raconte Rachid Alik, « Les gens mettaient des autocollants Slim sur leurs voitures. Et cet artiste a donné ce qu'il voulait donner. »
Par Canan Marasligil - Source de l'article Actualitte
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