dimanche 3 février 2013

Une nouvelle BD naît en Algérie et s’expose au festival d'Angoulême

La bande dessinée algérienne était morte dans les années 1990. Aujourd'hui, elle renaît et voit apparaître de jeunes auteurs audacieux. Une exposition au festival d’Angoulême retrace 50 ans d’histoire mouvementée de la BD dans ce pays.

Cela fait presque six ans qu’une nouvelle bande dessinée algérienne recommence à s’épanouir, retrouvant presque son faste des années 1980. De jeunes auteurs ont émergé, une demi-douzaine de maisons d’édition se sont créées, un festival est né… Une vaste exposition lui est même consacrée au Festival international d’Angoulême qui fête ses 40 ans cette année (du 31 janvier au 3 février).

La BD algérienne renaît d’un passé dense et tumultueux. Elle avait engendré dès l’indépendance du pays en 1962 ses pionniers, notamment Slim et Ahmed Haroun, qui avaient fait de l’Algérie le phare du neuvième art au Maghreb. Les auteurs cumulaient édition d’albums, publication dans des revues de BD et travail de caricaturiste dans la presse.
Mais les années noires du terrorisme, à partir de 1992, ont saccagé toute la créativité algérienne. "Les librairies et les bibliothèques ont été brûlées, des auteurs assassinés", rappelle Dalila Nadjem, commissaire du festival de BD en Algérie, qui se tient tous les ans depuis 2008 au mois d’octobre. Le caricaturiste et journaliste Saïd Mekbel a été abattu de deux balles dans la tête en 1994 ; le dessinateur et scénariste Brahim Guerroui jeté au pied de son immeuble, les mains ligotées et la gorge tranchée, le 4 septembre 1995 ; le dessinateur Dorbane tué dans l’explosion d’une voiture piégée en 1996. Le seul moyen de survivre était de s’exiler. Ce fut le choix de Slim, notamment.

Nouvelle pousse
Réduite à néant, la BD algérienne renaît lentement de ses cendres à la fin des années 2000. Dalila Nadjem se souvient comment, lorsqu’elle a fondé une maison d’édition en 2001 puis deux librairies en 2004, le seul créneau possible de livres algériens était le patrimoine et la littérature jeunesse. "Il y avait sûrement une demande de la part des lecteurs de lire de la nouvelle BD algérienne, mais on ne savait pas encore l’entendre." Des auteurs poussent le ministère de la Culture à recréer un festival de la bande dessinée en Algérie qui, petit à petit, redonne des ailes aux auteurs en mal de visibilité et ouvre des perspectives aux étudiants. Il finit par nouer un partenariat avec le "grand frère", le Festival international d’Angoulême, qui décide cette année de consacrer une vaste rétrospective sur 50 années d’histoire de la BD algérienne.
Le partenariat profite également aux lecteurs algériens. "On fait venir 6 000 albums européens et américains et on les vend à bas prix, sans marge financière pour le festival, on invite des auteurs français, belges, américains, égyptiens, tunisiens, camerounais ou encore sénégalais", raconte Dalila Nadjem. "L’événement a un succès fou. L’année dernière, alors que le pays était en deuil en raison du décès de l’ancien président de la République Chadli Bendjedid et qu’on hésitait à fermer le festival, on n’a pas pu refuser la foule qui se pressait à nos portes."

De jeunes auteurs femmes
Des ateliers, proposés aux jeunes Algériens, ont fait surgir de nouvelles idées et de nouvelles signatures, rassemblées dans des albums collectifs : "Monstres" en 2011 et "Waratha" (les héritiers) l’an passé. Soumeya Ouarezki, jeune illustratrice de 22 ans, s’est découverte une passion pour la BD à l’occasion d’un atelier animé par le Belge Étienne Schréder. Auparavant, cette étudiante aux Beaux-Arts d’Alger avoue ne rien connaître du neuvième art. "J’avais lu des BD pour enfants quand j’habitais à Londres avec mes parents. Mais je n’avais aucune culture BD pour adultes, et aucune connaissance technique." Avec sa sœur jumelle Safia, qui écrit les scénarios, elles ont co-signé des planches dans l’album collectif "Waratha", et concoctent un album pour cette année.
Soumeya Ouarezki dit avoir un pied dans l’héritage de la BD algérienne et un pied dans les nouvelles écritures qui s’épanouissent en Europe, en Asie et aux États-Unis. "Je suis attentive aux scénarios des vieux albums algériens et au dessin de la nouvelle BD occidentale", explique-t-elle.
Impertinente et avide de créativité, la nouvelle génération d’auteurs algériens - majoritairement constituée de femmes - se laisse tenter par le manga ou les récits autobiographiques pour se révéler autrement que ses mentors des années 1980. Une jeune auteure, Nawel Louerrad, a ainsi osé écrire une histoire sur les abus incestueux qu’a subi sa voisine. Un autre attaque frontalement la question de l’islamisme. Un autre encore manie habilement l’ironie et l’auto-dérision. Tous évoquent le passé traumatique des années noires du terrorisme, qui pèse durablement sur leur enfance et sur leur imaginaire. "Ils ont une colère, une déchirure, qui ne s’est pas encore extériorisée", analyse Dalila Nadjem. Dans dix ans, estime la commissaire du festival algérien et de l’exposition à Angoulême, les auteurs et le marché seront arrivés à maturité.
Par Priscille LAFITTE - Source de l'article France 24

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