Wesley Kirinya : Android est bien plus important, simplement parce que c’est moins cher. Un téléphone iOS coûte environ 1.000 dollars tandis qu’un téléphone Android revient à 100 dollars. Le calcul est vite fait !
jeuxvideo.com > Quels sont les genres de jeux les plus populaires en Afrique ? Vous disiez lors de votre présentation que les jeux à teneur éducative étaient très importants…
Wesley Kirinya : L’éducation est très estimée. Si vous réalisez un jeu et que vous y placez un élément éducatif, les gens donneront de l’importance à votre jeu, qu’importe si le jeu est amusant. Le fun d’un jeu tout seul n’est rien. Si vous ajoutez un aspect éducatif, c’est plus facile à vendre et cela donne envie aux joueurs de l’essayer. Une fois qu’ils l’auront essayé, ils pourront alors apprécier le côté amusant.
jeuxvideo.com > En parlant de faire essayer vos jeux, par quelles voies de communication parlez-vous aux joueurs afin de mettre vos titres en avant ? Y a-t-il une presse ou des sites Internet spécialisés pour relayer les informations jusqu’aux joueurs ?
Wesley Kirinya : Dans le cas d’un jeu réalisé en partenariat avec un constructeur mobile, ce dernier peut se charger de faire le buzz autour du jeu. Il y a aussi les portails de jeux mobiles et mettre votre titre sur un portail donne de la valeur au service de tel ou tel constructeur. Le meilleur moyen de faire parler de son jeu est à travers ces partenaires qui se chargent de la publicité.
jeuxvideo.com > Mais en dehors de la publicité, avez-vous des journalistes qui se consacrent à couvrir l’actualité jeu vidéo ?
Wesley Kirinya : Nous n’avons pas de presse spécialisée dans le jeu vidéo car il n’y a pas assez de jeux pour couvrir une actualité régulière. Il y a peut-être un nouveau jeu qui sort tous les six mois… Il y a des blogs ou même des joueurs en ligne qui parlent de ce genre d’informations. Il y a aussi quelques personnes que je connais qui écrivent de temps en temps dans des journaux ou parlent à la télé. Les jeux vidéo sont encore quelque chose de nouveau pour le continent. Il s’agit d’un nouveau type d’industrie qui existe ailleurs mais qui arrive sur le continent. C’est excitant.
jeuxvideo.com > Quelles sont les différences que l’on peut observer dans la production de jeux à travers le continent ?
Wesley Kirinya : Le nord est logiquement bien plus proche de l’Europe et du Moyen-Orient avec de grandes influences arabes. Et au sud, c’est essentiellement l’Afrique du Sud qui est plus occidentalisé … non pas vraiment … disons que l’Afrique du Sud est plus exposée aux courants modernes que le reste de l’Afrique. Avec les connexions européennes au nord et l’exposition de l’Afrique du Sud au reste du monde, ces deux zones de l’Afrique se retrouvent à créer des jeux pour les pays occidentaux. Ubisoft a par exemple un studio au Maroc, très proche de l’Europe. Développer en Afrique du Sud entraîne aussi probablement des avantages financiers. C’est peut-être moins cher de développer là-bas. En tant qu’ancienne colonie, l’influence hollandaise est aussi très importante en Afrique du Sud. Le pays a obtenu son indépendance bien plus tard et a logiquement eu une plus grande exposition à la culture occidentale. Il est donc naturellement davantage tourné vers l’Europe.
jeuxvideo.com > Cela veut-il dire que les studios à l’est et à l’ouest n’ont pas de contact avec l’Occident ? Travaillez-vous d’ailleurs avec des studios européens ou autres ? Que ce soit pour un partenariat ou du travail de commande ?
Wesley Kirinya : Le travail de commande à l’est et à l’ouest est principalement tourné vers d’autres studios africains. Il faut se rappeler que les pays à l’est et à l’ouest sont aussi d’anciennes colonies, mais des colonies qui ont obtenu leur indépendance bien avant l’Afrique du Sud. Les différents peuples ont alors tenté de retrouver leur propre culture. Dans notre cas, nous connaissons notre culture, et elle est comprise par l’ensemble de la population. Donc nous pouvons développer des jeux pour eux. Nous voyons le marché africain comme suffisamment grand pour nous. Même s’il n’est pas aussi vibrant qu’en Occident. Il est florissant et il nous suffit pour grandir. Donc nous souhaitons nous concentrer sur ce marché et continuer à le construire. Oui, nous pourrions travailler sur un produit de commande pour quelqu’un en dehors de l’Afrique, mais nous sommes si occupés à faire ce que nous faisons maintenant que nous n’avons même pas vraiment le temps d’essayer de mettre en place ce type de travail. Une autre raison est que nous n’avons pas les contacts pour être connectés avec le marché occidental. Le nord et le sud, parce qu’ils sont déjà connectés avec l’extérieur, ont probablement ce genre de contacts, donc c’est plus simple pour eux de travailler avec les studios occidentaux.
jeuxvideo.com > Comment se déroule la formation pour venir travailler dans le jeu vidéo ? Y a-t-il des écoles spécialisées ?
Wesley Kirinya : Nous avons des universités et des lycées qui enseignent l’informatique et le développement. En général, et je ne pense pas qu’il s’agisse d’un problème uniquement africain, la plupart des élèves qui terminent un cursus possèdent les bases mais pas l’expérience lorsqu’il s’agit de développer des jeux ou d’utiliser des programmes compliqués. Il nous faut trouver des gens qui ont une spécialité, comme les graphismes par exemple, mais qui comprennent aussi comment les ressources du système sont utilisées. Vous savez, parfois il vaut mieux laisser quelqu’un essayer quelque chose sur la durée. La plupart des personnes que nous avons engagées sont des personnes que nous avons formées nous-mêmes. Le cofondateur de Leti Games et moi-même nous sommes formés tout seuls sur une longue période de temps. Les gars de l’équipe, nous travaillons avec eux sur des projets, nous leur laissons voir notre code, nous les laissons jouer un peu avec et nous leur assignons des tâches spécifiques pour développer des jeux.
jeuxvideo.com > En mettant de côté les grosses structures, quelle est la taille moyenne d’un studio de développement en Afrique ?
Wesley Kirinya : De cinq à huit personnes environ.
jeuxvideo.com > Travaillez-vous parfois avec d’autres studios ?
Wesley Kirinya : Ah oui. Nous réalisons différentes parties d’un même jeu. L’avantage de notre compagnie est que nous sommes vraiment avancés techniquement et cela ne nous dérange pas de nous occuper de parties techniques. A l’inverse, nous ne sommes pas aussi doués dans certains domaines, le développement conceptuel, un peu le business, et il y a des compagnies qui sont bien meilleures à ce niveau. Oui, nous travaillons tous ensemble.
jeuxvideo.com > Vous parliez avant l’interview d’une Game Developers Conference en Afrique…
Wesley Kirinya : Oui, c’est quelque chose que nous pensons faire. Nous en sommes encore à la phase de préparation. Il y a plusieurs types de conférences qui commencent à se former, comme pour les comics. Nous pensons que si nous nous rassemblons tous, nous pourrions faire quelque chose.
jeuxvideo.com > Quand avez-vous commencé à travailler dans le milieu ? Quel jeu vous a donné envie de concevoir des jeux vidéo ?
Wesley Kirinya : Le premier jeu auquel j’ai joué… J’avais 10 ans. C’était Super Mario.
jeuxvideo.com > Sur la NES ?
Wesley Kirinya : Oui. A l’époque, il y avait quelques consoles par-ci par-là. Des copains en avaient et nous étions invités à la maison pour tous jouer à leurs jeux.
jeuxvideo.com > Y a-t-il une différence de prix en Afrique qui rend les machines encore plus chères qu’elles ne le sont déjà à la base ?
Wesley Kirinya : Les personnes qui vivent en ville peuvent s’offrir un PC car les prix ont vraiment baissé mais ils ne le font simplement pas. Moi-même, je n’ai pas de PC à la maison. Je n’ai pas de console non plus. J’ai le sentiment qu’il s’agit d’un gadget de plus à ajouter à la liste de choses à avoir. Le mobile est avec moi, il est toujours avec moi où que j’aille et vous savez, la plupart des jeux joués sont des jeux casual. Je ne passe pas du temps à brancher une machine, à l’allumer, à planifier une session de jeu… La plupart des jeux sur consoles exigent de passer une heure ou deux avant de pouvoir réellement être appréciés. La majorité des personnes n’ont pas ce temps à disposition. Les gens veulent juste jouer à quelque chose qui soit fun, rapide, pratique et qu’il est possible de continuer plus tard à sa propre convenance. Les gens ne choisissent pas de consacrer quelques heures à un jeu, c’est plutôt lorsqu’ils sont dans une file d’attente, ou dans le bus qu’ils se disent qu’ils n’ont qu’à s’occuper à faire autre chose, en l’occurrence jouer.
jeuxvideo.com > Le continent est divisé en plusieurs blocs de langues avec principalement deux gros blocs anglais et français, et de multiples autres langues moins répandues. Comment se déroule la localisation des jeux en Afrique ?
Wesley Kirinya : Quand vous prévoyez de développer un jeu, vous regardez à qui vous allez le vendre. Dans le cas d’une commande, on nous dit où il sera vendu. Généralement, les jeux sont simplement en anglais ou en français. Parfois, il y a d’autres langues, comme par exemple au Kenya où il y a l’anglais mais aussi le kiswahili. Le cœur du marché détermine quelles langues seront utilisées. Si le jeu vise des jeunes joueurs, l’anglais fonctionne très bien. Vous savez, de nombreuses personnes ne savent pas déchiffrer leur langue maternelle à l’écrit. Et si par bonheur ils y arrivent, ce n’est pas aussi simple à lire que l’anglais. Dès l’école, vous êtes habitué à lire en anglais et vous emmagasinez des mots assez rapidement. Même si le jeu cible une zone connue pour suivre sa culture traditionnelle, les gens connaissent l’anglais. Nous développerons donc le jeu en anglais. C’est aussi cette langue qu’ils lisent dans le journal. En revanche, si le jeu a besoin d’être réalisé dans leur langue maternelle, il sera alors probablement uniquement parlé. Moins de textes et plus de voix.
jeuxvideo.com > Vous parlez beaucoup de différents marchés visés pour tel ou tel jeu et vous mentionniez plus tôt les partenariats avec les constructeurs. Je suis curieux de connaître le processus initial de création d’un jeu. Avez-vous l’idée d’un jeu et vous cherchez alors un partenaire pour le financer ou est-ce l’inverse, une compagnie vous démarche pour développer un jeu ?
Wesley Kirinya : C’est un peu des deux en fait. Nous avons nos propres concepts que nous tentons de réaliser seuls mais nous cherchons aussi des partenaires pour nous aider à distribuer et à vendre le jeu. Lorsque quelqu’un nous contacte pour développer un titre, c’est généralement dans un but éducatif, un jeu pour enseigner quelque chose.
jeuxvideo.com > Quels genres d’enseignements ?
Wesley Kirinya : Nous en avons fait un pour une compagnie qui souhaitait que ses employés apprennent plus sur ses produits. Ils avaient beaucoup de produits et ils cherchaient un moyen de motiver leurs employés à mieux connaître leurs articles. Vous jouez au jeu, vous en apprenez plus sur les produits et vous êtes récompensé pour cela. Un autre jeu visait à apprendre à choisir de bons leaders en rassemblant des données sur les gens mais en gamifiant le processus. Vous deviez comprendre ce que les gens pensaient, et savoir si untel ferait un bon leader. Ce genre de choses. Lorsque les contrats viennent de compagnies externes, c’est principalement pour réaliser un jeu sérieux et éducatif.
jeuxvideo.com > Vous nous avez montré des concepts de Pharaon, d’Ananse et d’autres figures emblématiques de l’Histoire ou du folklore africain. Que comptez-vous faire avec ces personnages ? Quels types de jeux sont prévus ?
Wesley Kirinya : Il s’agit de jeux réalisés en interne chez Leti Games. Pour ceux-là nous voulons développer des jeux de plates-formes action. Nous voulons qu’une gamme de comics sorte en parallèle des jeux. Les jeux et les comics seront distribués séparément mais suivront la même histoire.
jeuxvideo.com > Les jeux sont-ils prévus pour rester sur le sol africain ? Y a-t-il une chance de les voir arriver en Occident ?
Wesley Kirinya : Il y a bien une chance. Mais encore une fois nous voulons d’abord faire grandir le marché africain. Et exporter le jeu en Occident exige bien plus de ressources. Nous sommes une petite compagnie et nous avons le temps de grandir. Nous avons des personnes de talent. J’ajoute que les compagnies en dehors du continent ne comprennent pas aussi bien la culture africaine que nous pour réaliser ce que nous voulons faire. Donc avec tous ces avantages, nous ne nous sentons pas particulièrement menacés. Si nous nous sentons menacés un jour, alors il sera peut-être temps de chercher un bon et grand partenaire. Ceci dit, nous pensons que si nous réussissons bien en Afrique, les jeux commenceront à s’exporter d’eux-mêmes en dehors du continent.
jeuxvideo.com > C’est tout ce que l’on vous souhaite. Merci Wesley Kirinya.