mardi 13 août 2013

Comment va la BD made in Kin ?

Malgré des initiatives personnelles et l´existence du collectif Kin Label, le neuvième art congolais demeure balbutiant. Loin de l´âge d´or des années 1970.

« Dans les aventures de Tintin, chaque fois qu´Hergé dessinait un Noir, la tête était représentée par une boule noire, avec des lèvres comme des boudins. » Depuis son enfance, le créateur du magazine Chaleur tropicale, Asimba Bathy, est « choqué » par cette image. Il a dû attendre la parution des premiers albums « made in Kinshasa » en 1968 pour voir « enfin » les Noirs dessinés « autrement et bien ». 
Ce qui déclencha d´ailleurs sa passion. « C´est à cette époque que j´ai eu vraiment envie de m´y mettre moi aussi », se souvient-il. Et aujourd´hui, cinquantenaire, il se retrouve à la tête de Kin Label, une association qui regroupe une trentaine de dessinateurs congolais, principalement ceux de la capitale. Objectif : « Tenter de faire renaître la bande dessinée congolaise de ses cendres. » 
Le collectif existe depuis plus de cinq ans, mais le résultat escompté peine à se réaliser. Le secteur demeure balbutiant, loin des années de gloire de ses débuts. Quand la célèbre revue en noir et blanc Jeunes pour jeunes, créée par le journaliste Achille Ngoie et le dessinateur Denis Boyau, un des pionniers du ­neuvième art en RD Congo, débarquait sur le marché avec « des dessins loufoques » sur le quotidien des Congolais, bien avant l´arrivée fracassante de Kouakou et de Calao, du scénariste français Serge Saint-Michel.

La BD, victime de la crise

À l´époque, l´engouement était au rendez-vous à la sortie de chaque numéro de ce premier magazine de BD. « Avec des récits puisés dans leur vécu quotidien, les jeunes se reconnaissaient dans les personnages de Jeunes pour jeunes [Apolosa, Kikwata, Molok, Coco, Mama Sakina, NDRL] », relève Berry Malundamene, enseignant à l´Académie des beaux-arts de Kinshasa. « C´était quelque chose de différent : rien à voir avec les histoires des super-héros à l´américaine », ajoute-t-il, rappelant également qu´« à l´époque, les écoliers kinois étaient friands de BD, et la conjoncture économique leur permettait encore de s´en procurer ».

Au bout d´une bonne dizaine d´années de succès, tout s´est arrêté. « La crise sociopolitique est passée par là, commente Asimba Bathy. La BD n´existait plus, la caricature politique était à la mode dans les journaux. » Et pour éviter de disparaître complètement, certains dessinateurs ont tenté de rebondir à travers des initiatives individuelles. Mais souvent sans succès ; le réseau de distribution classique faisant défaut. Même les aventures populaires de Djo Ef de Lepa ont dû emprunter d´autres voies pour s´assurer une certaine pérennité : le magazine était créé par le dessinateur, puis financé par les revendeurs de journaux du Marché central de Kinshasa. Le schéma a fonctionné un temps, mais n´a pu résister à l´inflation récurrente de la monnaie nationale à la veille de la chute de Mobutu, en 1997.

Seize ans plus tard, les bédéistes kinois éprouvent toujours de sérieuses difficultés pour publier leurs planches. Autour d´Asimba Bathy, 35 dessinateurs ont choisi d´unir leurs efforts pour tenter de « réintroduire la BD dans le marché kinois et redonner aux jeunes le goût de la lecture ». La démarche est soutenue depuis 2009 par Africalia. Grâce à l´appui financier de l´ONG de développement culturel belge, les auteurs regroupés au sein de la plateforme Kin Label parviennent à produire un fanzine en noir et blanc, quatre fois par an. Impossible de faire mieux avec les 4 100 dollars (un peu plus de 3 000 euros) qui leur sont versés pour produire les 2 000 exemplaires de chaque numéro. Mais le magazine n´arrive pas à se vendre. « Le pouvoir d´achat de la population congolaise est très faible, avance Jason Kibiswa, jeune bédéiste kinois de 29 ans. Les écoliers préfèrent s´acheter un petit pain et du coca que de se procurer un livre qui coûte 1 000 francs congolais [environ 80 centimes d´euros]. » Une situation qui oblige les dessinateurs à imaginer d´autres stratégies pour écouler leurs productions. « Nous allons nous-mêmes sur le terrain pour la promotion de nos publications. Le deal consiste à proposer aux écoles une journée d´animation pendant laquelle nous expliquons quelques notions de dessin aux élèves. Entre-temps, nous en profitons pour vendre notre magazine. Et en bonus, chaque acheteur a droit à un portrait », détaille Jason Kibiswa. Une façon de contourner les difficultés liées à l´absence de librairies dans la capitale congolaise.

Des artistes reconnus mais en difficulté

Bana Boule

Dans un local de 15 m2, derrière le bâtiment administratif de la commune de Bandalugwa, dans la partie nord de la ville de Kinshasa, les bédéistes de Kin Label ont installé le siège de leur association. C´est là qu´ils se retrouvent pour parler des problèmes auxquels ils sont confrontés. Parfois, des « visiteurs de marque » viennent tendre l´oreille. « Nous avons reçu ici l´ancienne ministre de la Culture Jeannette Kavira Mapera. Des promesses ont été faites, mais, comme d´habitude, elles sont restées lettre morte », regrette Asimba Bathy, qui espère que le ministre actuel s´intéressera à leur sort.

En attendant, les bédéistes comptent sur l´« effo perso » (« effort personnel » en parler kinois) et tentent de se professionnaliser davantage. Quelques noms sortent du lot, à l´instar de Fati Kabuika, formé à l´Académie des beaux-arts de Kinshasa, qui a réalisé en 2012, avec le scénariste franco-camerounais Christophe N´Galle Edimo, La Chiva colombiana (éd. Les Enfants rouges), un roman graphique en couleur sur la situation sécuritaire en Colombie. Ou d´Alain Mata Mamengi, alias Al´Mata, bédéiste de Kin Label, 43 ans, qui a décroché le premier prix de la BD africaine lors du quatrième Festival de la bande dessinée d´Alger en 2011, avec son album Le Retour au pays d´Alphonse Madiba dit Daudet (éd. L´Harmattan), le récit d´un éternel étudiant africain expulsé dans son pays d´origine, après avoir raté sa scolarité en Europe, ne sachant pas « comment avouer son échec à tout un clan, toute une famille, qui a placé ses espoirs sur [lui] ».

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Autre figure incontournable de la BD congolaise, Thembo Muhindo, dit Kash, a exposé en 2013 ses deux derniers albums, Vanity et Jungle urbaine (éd. L´Harmattan), au Festival d´Angoulême. Et depuis son Bukavu natal, dans l´est du pays, Séraphin Kajibwami, 34 ans, met, lui, ses bulles au service de la lutte contre le sida. Avec l´appui du fonds de dotation African Artists for Development (AAD), il travaille actuellement sur le deuxième tome de sa BD à succès Les Diamants de Kamituga (éd. AAD) dont le premier fut tiré à plus de 100 000 exemplaires. Une première dans l´histoire de la BD en Afrique subsaharienne, selon son éditeur. « C´est un thriller doublé des messages de sensibilisation et de prévention contre le VIH », explique le bédéiste. Les fonds récoltés à la vente du premier tome – vendu en France mais distribué gratuitement à Bukavu – ont été versés à une ONG locale, SOS Sida, qui « a pu ainsi soutenir, à son tour, les personnes séropositives du Sud-Kivu et ouvrir des centres de dépistage à travers la province ». Autant de signes qui attestent que la BD congolaise respire encore. Mais non sans difficulté.

Koko NtiriNtiri ne nourrit pas son homme 

On en redemande, encore et encore. En RD Congo, chaque soir, à la fin du Journal en lingala facile, les Congolais restent scotchés devant leur petit écran pour suivre les histoires de Koko NtiriNtiri. « C´est un moralisateur qui s´évertue à enseigner les règles de bonne conduite dans la société », explique Djemba Isumo, dit Djeis, 50 ans, l´auteur du célèbre personnage, qui dit s´être « inspiré des faits sociaux pour dénoncer, à travers [ses] planches, certains comportements inacceptables de [ses] concitoyens ». Mais malgré le succès de ses dessins, le caricaturiste le plus populaire de Kinshasa peine à joindre les deux bouts en fin de mois. « Ainsi va le Congo », se résigne-t-il.

Par Trésor Kibangula - Source de l'article Jeune Afrique

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