Pour un bédéiste comme toi qui est quand même une référence pour la nouvelle génération à Oran, y a-t-il réellement un marché éditorial pour le 9e art ?
Il y a un problème d'édition de BD, notamment à Oran où, à ma connaissance, aucun éditeur n'accepte de nous publier. Il y a une certaine réticence de ce côté-là. Les rares exceptions concernent le mouvement associatif comme le Petit lecteur qui publie les illustrations des contes pour enfants mais, là aussi, dès qu'on parle de BD on tire le frein à main. Je ne comprends pas pourquoi. A Alger, il y en a quelques-uns, pas beaucoup, mais ça existe. Ça commence à bouger. Il y a Dalimen et Zlink, même si ce dernier est plutôt orienté vers le manga et les jeux vidéo, mais sa revue Laabstore est assez régulière.
On peut dire qu'il n'y a pas d'édition spécifique, pas de critiques, pas de presse spécialisée, pas de librairies spécialisées. Mais en revanche, contrairement à une idée reçue, je trouve qu'il y a quand même un public car les Algériens aiment la BD, pourvu qu'on leur propose des produits de qualité. Sinon il y a Internet. C'est un excellent support de publication car, en plus d'être gratuit, il permet un retour d'écoute, des commentaires. On peut voir ce qui marche, ce qui plaît aux gens et on peut expérimenter des choses. On a aussi les statistiques des pages consultées et surtout une diffusion internationale.
- Que penses-tu du festival de la BD d'Alger (FIBDA) ?
J'ai participé aux toutes premières éditions à partir de 2008. Une chose est sûre, depuis que le Fibda existe, beaucoup de bédéistes ont émergé et d'autres pointent encore du nez dans l'espoir de bénéficier d'une publication. Seulement à mon avis, aujourd'hui, comme il n'avait aucune dynamique auparavant, on commence à publier un peu tout et n'importe quoi. Pour moi, parmi tous ces jeunes qui arrivent, il y en a qui font du très bon travail, mais d'autres ne font que du remplissage. Je dis cela parce que le festival est tenu d'assurer un certain nombre de publications, un quota à remplir pour justifier le budget alloué à cet aspect de l'organisation. Le vide aidant, on a été amené à faire dans le quantitatif.
- As-tu participé à des événements internationaux ?
J'ai été à Angoulême la première fois par le biais du FIBDA car j'étais parmi les primés. C'était extraordinaire. Ensuite, j'ai entendu parler de la maison des auteurs, une aide aux créateurs en mettant à leur disposition un atelier et un studio d'hébergement. A mon retour à Oran, je leur ai écrit et soumis mon projet d'album qui a été retenu. J'ai passé six mois grâce aussi à une aide de l'Institut français qui m'a permis de couvrir les frais du séjour (factures et charges diverses). Le projet est actuellement au stade de finalisation et est appelé à être édité. Je l'ai intitulé Anecdote et ce n'est pas moins de 200 planches représentant un recueil de petites histoires élaborées autour de thèmes variés.
- Quelles sont tes influences et comment peut-on caractériser ton style ?
Comme tout le monde, j'étais bercé dans ma jeunesse par Tintin, Astérix, etc., mais après j'ai découvert des auteurs comme Gilles Roussel, Marion Montaigne ou Black Frog. Tous ces gens qui ne sont pas scénaristes à la base mais, et c'est le style que j'ai adopté, s'inspirent de leur vécu pour élaborer des histoires ou des situations, de l'autofiction en somme. Mais cela reste un tremplin pour dénoncer ce qui ne va pas dans notre société. Etre scénariste de bande dessinée, c'est un métier à part entière mais moi je fais tout, d'autant plus que chez moi, paradoxalement, c'est le texte qui m'attire. A la limite, mes dessins peuvent être ennuyeux mais c'est la construction de l'histoire qui m'emballe.
Des auteurs algériens comme Sofiane Belaskri, Amine Benali ont des scénaristes avec qui ils travaillent. Ils sont souvent dans l'ombre, mais ils font des choses très intéressantes. Moi j'ai un personnage qui est censé être moi et que j'utilise comme un noyau autour duquel tourne ce que j'ai envie d'exprimer. Je ne cherche pas vraiment à acquérir un style. J'essaye de m'amuser graphiquement au maximum.
Le style n'est pas forcément dans le dessin, car il peut se révéler aussi dans la façon de raconter une histoire. Dans mon projet, j'ai privilégié les deux. Avant d'aller à la maison des auteurs, j'ai préparé plein de thèmes et, une fois là-bas, j'ai essayé de voir un peu ce qui se faisait ailleurs par les autres résidents, voir comment ils abordaient les choses. Ensuite, je me suis remis dans ma bulle pour travailler.
- Y a-t-il des débouchés dans la presse pour les bédéistes de la nouvelle génération, comme cela se faisait dans le temps ?
Quand j'ai commencé à alimenter mon blog mettant en avant la vision que j'ai de la société, j'ai été contacté par El watan Week-end qui m'a proposé de faire des strips une fois par semaine. Tout de suite je leur ai dit que je ne faisais pas de la politique, mais ils m'ont rassuré en me disant que j'étais totalement libre de faire ce que je voulais.
Une totale liberté d'expression et c'est comme ça que j'ai eu ma tribune. J'étais un peu réticent au départ car, souvent, je me disais que si je touchais à tel sujet, peut-être qu'ils allaient me censurer. Mais, à chaque fois j'étais agréablement surpris de constater que tout passait. Je n'ai pas continué avec eux parce que j'étais appelé à faire un autre projet ailleurs. Sinon, c'était une excellente expérience. Bien sûr, j'ai conscience que cela reste limité comme possibilités pour les bédéistes en général.
Source de l'article Djazairess et Elwatan