Pour la première fois à Paris, le « Sundance du jeu vidéo » a été l’occasion de s’essayer à des projets aussi ludiques qu’atypiques – et ce malgré quelques couacs.
« Poséidon » est un jeu qui se contrôle avec de l’eau. |
La foule est compacte mais joyeuse. L’ambiance, bon enfant. Chacun papillonne de table en table, où attendent ordinateurs, manettes et développeurs pressés de montrer le fruit de mois, voire d’années de travail.
Et toutes les deux heures, on repart de zéro : les démonstrateurs prennent leur PC sous le bras, tandis qu’une nouvelle vague de jeux, expériences étranges et prototypes étudiants leur succède. On pourrait parler de speed gaming, comme il existe des speed dating, et c’est l’un des aspects les plus passionnants de l’IndieCade, prestigieux festival du jeu vidéo indépendant américain, qui a posé pour la première fois ses valises en France, au Conservatoire national des arts et métiers les 18 et 19 novembre.
Fabien Delpiano, président de l’association de développeurs franciliens Capital Games et coorganisateur de l’IndieCade Europe, le reconnaît lui-même : il y a eu quelques couacs. L’annulation au dernier moment de certaines des vedettes annoncées en conférence, telles que la critique Cara Ellison ou la développeuse Zoe Quinn. Ou la quasi-absence d’un grand public auquel l’événement était pourtant ouvert. Mais ce qu’ont regretté les participants, c’est surtout la dispersion des divers jeux, conférences et ateliers dans huit salles et plusieurs bâtiments .
Saladiers remplis d’eau
Tant pis. Ces aléas mis à part, l’IndieCade Europe est l’occasion unique de rencontrer à Paris des créateurs internationaux. Comme Matt Nava, directeur artistique de Flower et Journey, deux des plus beaux jeux de l’histoire. Comme Rami Ismail, développeur néerlando-égyptien venu parler de la diversité des jeux polonais, iraniens ou palestiniens. Comme Fakhra Al-Mansouri, première développeuse d’un pays, les Emirats Arabes Unis, où vivre du jeu vidéo paraît encore bien utopique. Ou encore le Français Michel Ancel, créateur de Rayman, figure historique d’Ubisoft et « légende locale », comme l’a décrit avec un sens consommé de l’euphémisme un des organisateurs américains.
« Lieve Oma ». Florian Veltman |
Mais pour le public, souvent professionnel ou étudiant, l’IndieCade Europe est surtout un moyen de découvrir le travail de ses semblables. Pour s’amuser d’abord, mais pour trouver l’inspiration aussi. Des jeux déjà sortis ont ainsi pu s’offrir un peu de visibilité, comme Commedia dell’arte, jeu d’aventure et de théâtre, ou Lieve Oma, conte néerlandais touchant et nostalgique. L’histoire simple d’un petit garçon qui se promène dans les bois avec sa grand-mère, et qui ne raconte presque rien mais émeut beaucoup. Son développeur, le Néerlandais Florian Veltman, semble lui-même un peu ému de voir son jeu rencontrer autant de succès.
Mais l’IndieCade, c’est surtout l’occasion de découvrir des jeux visibles seulement en festival. A l’image de Line Wobbler, installation expérimentale, sans écran ni manette, où le joueur contrôle du bout du joystick une lumière qui grimpe et descend sur une guirlande de plusieurs mètres de haut.
Un jeu étonnant et conceptuel, où, à la façon d’un Super Mario en une seule dimension, on élimine des ennemis (des points rouges) ou on évite des flaques de lave (des étendues brillantes).
Plus loin, Poseidon, lui, se joue avec deux saladiers remplis d’eau et deux gobelets en plastique en guise de contrôleurs. Au joueur d’en vider un pour remplir l’autre, afin de faire varier le niveau de la mer sur son écran et d’éviter les obstacles qui se jettent sur son frêle esquif.
Fun et expérimental
Mais si on se presse à l’IndieCade, c’est surtout pour s’essayer en avant-première à des titres encore en développement. Les développeurs et aspirants créateurs discutent ainsi autant qu’ils jouent, s’échangeant tuyaux et expériences, une carte de visite dans une main, une manette dans l’autre.
On a ainsi pu jouer à AER (sorte de relecture aérienne de Zelda), à Black the Fall (jeu de plate-forme roumain et orwellien) ou à 2Dark, qui marque le retour de Frédérick Raynal au jeu de survie horrifique, vingt-cinq ans après avoir inventé le genre.
Point commun d’un certain nombre des titres présents ce week-end : beaucoup poussent les joueurs à la réflexion, comme l’adorable jeu d’énigme Winter et ses décors minuscules, ou encore Fresco, dans lequel le joueur peut modifier son environnement en superposant des tableaux. La palme revenant sans doute au très malin God is a Cube, titre improbable capable d’initier au b.a.-ba de la programmation et d’amuser – en même temps.
Mais, à en croire les attroupements ici et là, rien ne draine autant l’attention des visiteurs que les expériences conviviales. C’est le cas de Panoptic, jeu de cache-cache pour deux joueurs en réalité virtuelle qui provoque l’enthousiasme et une file d’attente interminable ; de l’imprononçable SIHEYU4N, déclinaison casse-tête et maligne de Tetris pour quatre joueurs ; de Chalo Chalo, jeu de course minimaliste jusqu’à l’abstraction mais irrésistible jusqu’à huit joueurs ; de Hacktag enfin, titre français pas évident dans lequel un aspirant Arsène Lupin se fait aider à distance par une hackeuse de génie.
« Old Man’s Journey ». Broken Rules |
Ce dernier a d’ailleurs reçu le prix du choix du public à l’issue de la cérémonie de clôture. Ont aussi été récompensés le délicieux et autrichien Old Man’s Journey (choix des médias), le jeu danois Shrug Island (choix des développeurs), ainsi que le français Event [0] (choix du jury).
La cérémonie a d’ailleurs été transformée par un collectif danois en jeu interactif, pour lequel le public a été mis à contribution : quoi de plus logique, pour conclure un événement consacré autant à l’amusement qu’à l’expérimentation ?
Par Corentin Lamy - Source de l'article Le Monde
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