Khalil Arafan : J'ai 33 ans, je suis Marocain et programmeur de formation, aspirant game designer avec mon premier projet de jeu en solo, en cours de production actuellement à Casablanca. J'ai fait des études supérieures en France après un bac de mathématiques obtenu au Maroc en 1998, une année de préparation, puis un IUT d'informatique et une Licence. L'envie de faire du jeu vidéo mon gagne-pain est un rêve d'enfant depuis que j'ai joué au premier Zelda sur NES,Metroid a confirmé ma certitude. J'ai eu l'occasion de réaliser cette ambition une première fois en 2001 à Paris sur Fahrenheit chez Quantic Dream après mon DUT en tant que scripteur de contenu. Pour des raisons de permis de travail entre autres (en tant qu'étudiant étranger, la démarche était devenue subitement plus compliquée au lendemain du 11 septembre), l'aventure a été brutalement interrompue.
De retour au Maroc en 2005 après quelques années en tant que développeur Web essentiellement et d'autres jobs en support technique (Dell, Free), j'ai pu décrocher un stage chez Ubisoft Casablanca, après y avoir été plus ou moins au culot en parlant directement au directeur de l'époque, Cyril Vermeil, lors d'une journée portes ouvertes. Mon CV n'ayant pas le Bac plus cinq années en général requis pour occuper le poste de programmeur (comprendre ingénieur reconnu par l'état...), j'ai enfin pu retenter l'aventure après un essai de six mois qui m'a rôdé sur la Nintendo DS et son kit de développement, et reprendre le C++. J'ai fait partie de l'équipe de
Prince of Persia : Forgotten Sands sur Nintendo DS, en tant que programmeur sur le moteur. Je me suis occupé de l'interface 2D depuis la pré-production jusqu'au debug et à la sortie un an plus tard.
Mon contrat n'a pas été renouvelé, malheureusement. C'était en 2010, à peu de choses près. J'ai donc décidé de reprendre les choses en mains en me formant moi-même sur le développement Android, vu que c'était le boum des indépendants et du mobile un peu partout, sans être sûr encore de ma capacité à pouvoir y arriver malgré l'énorme apprentissage qu'a été de travailler sur un projet dans un studio AAA. J'ai été recruté par une agence locale un an plus tard pour porter des projets iOS vers Android. Je suis parti au bout de trois mois pour me lancer en solo, étant intéressé par le jeu vidéo depuis toujours, la seule et unique raison qui m'a poussé à devenir informaticien, n'ayant aucun talent en dessin et/ou infographie.
Passé 30 ans, la perception du temps change radicalement, et je ne pouvais simplement plus perdre des années à attendre une autre opportunité. Je me suis lancé sans budget, sans équipe, sans projet concret. J'ai contacté d'anciens collègues qui ne sont plus en contrat ailleurs non plus pour la partie graphique. Sans succès. J'ai donc essayé de minimiser quelque peu le risque avec un premier projet qui pourrait être utile même si ce n'était pas un jeu vidéo pour commencer, et surtout parce que monter seulement en compétence purement technique n'est pas du tout suffisant. Je n'avais encore jamais géré de projet tout seul, il me fallait apprendre à être producer aussi. J'ai donc bataillé deux bonnes années pour produire le contenu, le design et le code en Java pour ma première application d'apprentissage de la langue arabe : Iqra (qui signifie : « lis » à l’impératif), et enchaîner avec l'apprentissage de la programmation Objective-C et l'univers iOS. D'un point de vue business, je me disais que dans le pire des cas c'est une vitrine pour des clients locaux et/ou étrangers potentiels, les demandes étant souvent pour du multi-plates-formes. J'ai également géré un projet de commande pour une application médicale desktop en C# pour un client à Casablanca qui m'a permis de tenir la première année.
Le studio est fondé, géré par une seule personne. Mes business angels sont mes parents pour le gîte et le couvert. J'ai une adresse, un télécopieur et un téléphone loués en ville à peu de frais. Je peux donc fonctionner longtemps avec le minimum vital tant que mon Mac d'occasion et Internet ne lâchent pas. L'application n'est toujours pas finie, mais l'envie de faire du jeu vidéo a de nouveau repris le dessus. Ce premier projet m'a donné la confiance nécessaire pour poursuivre, et surtout les outils pour faire de la 2D tombaient à pic (Cocos2dx, Unity...). Maintenir la première application devenait relativement coûteux pour un seul homme : deux versions sur iOS(avec ou sans publicité), deux sur Android... A chaque modification, le travail était dupliqué quatre fois - on n'arrête pas d'apprendre... Et, plus que jamais, il me fallait me frotter à la réalité sans pitié de la discipline qu'est le game design. Ce qui nous amène au projet actuel, un jeu minimaliste à l'extrême, à agrandir idéalement au fur et à mesure.
Pockett.net : Nous allons revenir à ce projet tout à l'heure. D'abord, pouvez-vous nous décrire un peu le marché marocain du jeu vidéo ?
K. A. : Le marché est très vivace dans les villes principales du pays. De manière plus globale dans les pays arabes, la demande est très forte. Le principal frein reste évidemment le prix des consoles, comme partout. Surtout avec le niveau de vie ici (le revenu minimal est d'à peu près 200 euros, une PlayStation 4 vaut le double), il s'agit donc encore relativement d'une activité de privilégiés, au moins de classe moyenne relativement aisée. Dans les années 1980, je devais attendre qu'un cousin ou autre membre de la famille vienne de France pour avoir des jeux. Les années 1990 ont connu un boum avec la Super NES, le début du piratage sur CD-Rom et l'avènement des premiers PC avec Pentium à Casablanca. Aujourd'hui toutes les consoles sont aisément disponibles dans la distribution officielle (FNAC et autres franchises) comme informelle.
Ce qui amène forcément à la question du piratage. La vaste majorité des joueurs est, en effet, contrainte à en passer encore par là, malheureusement, pour peu qu'on soit un peu gourmand en jeux... Et quand on est gamer, on n'y va pas de main morte en général. Force est de constater que le choix est vite fait : entre payer 60 euros un original et 3 euros le même jeu piraté... Pour schématiser : les plus hauts revenus achètent de l'original et/ou préfèrent accéder au multijoueurs sans risque d'être banni sur Xbox Live par exemple, mais la majorité « flashe » les consoles pour consommer le maximum de jeux en solo, sans forcément les terminer, mais préfère ne pas être à la traîne par rapport aux sorties. Les revenus les plus faibles se tournent de plus en plus vers le mobile qui offre une alternative de plus en plus intéressante pour beaucoup. Tendance observable dans tous les pays en développement en général, en Afrique en particulier. Mais, là aussi, avant qu'Apple n'intervienne sévèrement les dernières années, les applications payantes suriOS étaient largement piratées dans tous les pays émergents. D'où la part de marché grandissante des appareils Android, notamment les tablettes low cost de plus en plus populaires. Les gamins les moins chanceux ont toujours la possibilité ceci dit de jouer à Pro Evolution Soccer à tour de rôle dans un cybercafé de quartier et/ou à Dofus en ligne. Ou encore de croiser des bornes d'arcade d'un autre âge encore fonctionnelles.
A titre personnel, j'ai malheureusement moins le temps de jouer ces dernières années, mais on a une Wii U à la maison avec le petit frère (qui a vendu ses Xbox 360 et PlayStation 3 pour cela), qui joue également sur Steam (certains importent et vendent des codes Steam ici, les moyens de paiement électronique vers l'étranger n'étant malheureusement pas encore opérationnels partout). Ces dernières semaines, je rattrape le retard sur les jeux indépendants dont je suis très friand grâce à des amis en France et au Steam Family Sharing : Kentucky Route Zero, Luftrausers, Hotline Miami pour n'en citer que quelques-uns.
Pockett.net : Pouvez-vous nous parler un peu de la création de jeux vidéo au Maroc ?
K. A. : A ma connaissance, en terme de création pure AAA, il n'y a qu'Ubisoft Casablanca, qui a agrandi puis réduit les effectifs assez brutalement ces dernières années. Ceci dit, cela reste des projets moins ambitieux comme d'autres studios de la maison en Roumanie, Amérique Latine... Il ne reste en dehors de cela que quelques indépendants passionnés qui essaient de prendre les choses en main, mais on en est encore bien loin. Deux de mes anciens collègues Marocains également programmeurs/designersont sorti leurs jeux sur iOS/Android également il y a un an ou deux : Cheeseman de Hicham Allaoui (parti en Allemagne depuis), unplatformer dans la lignée de Super Meat Boy, et VLAD Heavy Strike de Amine Rehioui (au Canada), un shoot'em up oldschool pour mobiles. D'autres projets dont j'ai connaissance sont Monkey Monk, ceux de RYM Games et une équipe composée en partie d'anciens d'Ubisoft également qui vient de sortir un premier jeu, Trombiya, inspiré de notre culture et du jeu de toupie de notre enfance, sur mobile (un projet de commande pour un des trois opérateurs téléphoniques du pays). D'autres équipes font du serious gaming, mais le tissu n'est pas plus étendu que ça à ma connaissance en création typiquement orientée jeu vidéo. La majorité des talents en développement comme en graphisme vont essentiellement vers les agences plus classiques : publicité, marketing, applications de commande, le mobile et le Web en tête.
Pockett.net : Vous confirmez notre impression : la production indépendante de jeux vidéo est plutôt faible au Maroc comparée à d'autres pays de taille similaire. Quelles sont les raisons à cela, selon vous ?
K. A. : La « scène » en est encore à ses balbutiements. Les raisons sont multiples. La principale me paraît, à titre personnel, déjà le manque de passion absolue pour le médium. J'ai été choqué par le fait qu'une bonne partie de mes ex-collègues d'Ubisoft Casablanca ne soient pas joueurs eux-mêmes. Tous corps de métier confondus.
L'espoir est donc définitivement du côté des indépendants. Ce qui amène au deuxième obstacle : les indépendants, même dans les pays où l'infrastructure est déjà établie quelque peu depuis quelques années, ne réussissent pas forcément non plus. Créer un jeu vidéo original, c'est déjà très difficile en soi, quelles qu'en soient la taille et l'ambition. A équipe réduite c'est encore plus dur. Dans un pays en développement, il faut multiplier par dix la difficulté. A un seul homme, je vous laisse faire le calcul... Même en y allant avec un budget confortable, avec une équipe expérimentée, le marché reste quand même sans pitié. Surtout en période critique où rien n'est stable pour personne, des modèles économiques qui s'affrontent entre distribution classique qui cherche à survivre et distribution digitale qui gagne de plus en plus de terrain, des marchés gigantesques comme la Chine qui changent complètement la donne, des habitudes de consommation comme le free-to-play qui font débat au niveau éthique parmi les développeurs du monde entier...
Pour le moment, ici, c'est encore quelques équipes éparpillées avec ce noyau dur d'anciens passés par Ubisoft. On essaie de se fédérer mais, comme partout, je suppose que chacun essaie de gérer l'urgence de son côté. Sans budget ni une vision solide à long terme, surtout sans grande expérience encore, difficile de tenir un projet ambitieux sur des années avec une équipe de taille moyenne. Mais cela viendra bien à un moment ou à un autre, je l'espère. Grâce aux efforts notamment d'associations de retro gamers, d'artistes, de game devs, on essaie d'assembler cette masse critique nécessaire à un essor véritable. Le marché local n'est pas forcément consommateur de productions locales donc il faut viser l'international comme tous les indépendants ailleurs. Il y a eu également des participations à des Game Jam grâce aux efforts notamment de Yassine Arif et Osama Hussein (game designer et programmeur respectivement, encore tous deux chez Ubisoft).
Ajoutez à cela le problème de la formation. Vers 2007/2008, Ubisoft avait crée un campus pour répondre aux besoin futurs en effectifs. J'avais moi-même postulé pour continuer ma formation d'ingénieur. Le cursus en ingénierie a été abandonné. Chez ceux formés en animation/level design, très peu sont restés finalement du fait du manque de projets actuels... Donc chacun fait de son mieux, notamment la génération montante. Plein de petits projets à droite et à gauche se montent. Désolé pour ceux que je n'ai pas cités, si vous lisez ceci, faites signe !
Il y a aussi les problèmes structurels encore inhérents au pays en terme de monnaie électronique d'une part, et des décisions des principaux géants de l'industrie vis-à-vis des pays hors Europe, Amérique du Nord ou Asie d'autre part. Je peux parler de mon expérience personnelle en la matière vu que j'ai crée une structure officielle pour éviter ce genre d'obstacles au maximum. Avec Apple, cela a été sans problème après avoir faxé mon document de registre du commerce et payé les frais d'abonnement de 100 dollars l'année grâce à un ami à l'étranger (les achats en ligne au Maroc sont encore limités aux entreprises validées localement ou alors à l'étranger avec une limite annuelle, mais cela reste pour les grandes enseignes négociées au cas par cas d'après le peu d'informations que j'ai pu avoir ici ou là par la banque où mon entreprise est domiciliée). Google Play, malheureusement, limite encore les applications payantes depuis le Maroc. J'ai donc eu recours à lui pour la version gratuite de ma première application, et à Amazon pour la version payante car la société envoient des chèques.
Je suis tombé amoureux de la Wii U il y a quelques mois après avoir joué à Super Mario 3D World, et j'aurais adoré porter mon jeu actuel sur ce pad magnifique, surtout depuis que j'ai vu que beaucoup d'indépendants étaient devenus développeurs agréés récemment. Malheureusement, le Maroc n'est toujours pas éligible pour Nintendo non plus...
Historiquement, nos latitudes sont connues pour le problème du piratage essentiellement. Les infrastructures rattrapent le temps perdu mais pas assez vite, on doit donc trouver le sentier d'or parmi toutes les voies possibles en tant que développeur solo. C'est ce que j'ai essayé d'accomplir au mieux avec #HangThere !
Pockett.net : Justement, comment en né #HangThere ?
K. A. : La veille de l'an 2013, j'ai mis à jour Iqra, puis j'ai passé le mois de janvier suivant à me poser cette simple question en apparence : j'ai décidé de tout donner à mon premier jeu, cela fait plus de 20 ans que j'essaie de faire ça, je commence où ? J'ai beaucoup travaillé sur le game design, regardé toutes les conférences gratuites que je pouvais trouver sur Internet, notamment l'excellent GDC Vault, essentiellement Will Wright, Jonathan Blow, Chris Crawford et d'autres vétérans... Je n'avais plus aucune excuse : j'allais, enfin, me confronter à la difficulté monstrueuse de la discipline qu'est le game design. Monstre élusif qui plus est, surtout pour un programmeur/joueur... J'ai passé ma vie à me dire ce n'est pas si difficile que cela en arrière-plan et qu'une fois décidé cela allait rouler tout seul... C'était sans compter en plus sur mes ambitions démesurées. Je suis également passionné de musique (ancien percussionniste amateur avec un groupe d'amis quand j'étais en France,les frères Smith qui sortent bientôt leur deuxième album d'ailleurs, si vous aimez le funk/afrobeat) et je voulais initialement jouer avec une idée autour du son (car j'ai adoréRhythm Heaven sur Nintendo DS à l'époque), mélangée avec du story telling avec ne m'aurait pas déplu... Il me fallait donc un moteur, un ensemble de technologies déjà prêtes pour commencer, si possible gratuits et compatibles avec les mobiles.
En cherchant une librairie Midi qui simulerait des sons NES vintage, je suis tombé sur openFrameworks qui fonctionne avec du C++, langage auquel je suis le plus habitué et le plus compatible au niveau multi-plates-formes. Mais, même là, cela restait beaucoup de travail, openFrameworks étant plus orienté média interactif en général que jeu vidéo en particulier. Donc il fallait réécrire à la main beaucoup de code pour les besoins du moteur avant de commencer quoi que ce soit en game design. Je me suis tourné versCocos2dx à ce moment-là. Il a plus de librairies déjà très bien faites pour tous les besoins de base en 2D : animation, sprites, éditeurs de maps facilement compatibles... J'ai à ce moment écarté la piste sonore pour me focaliser sur la partie story telling. J'ai lu un livre de référence sur l'intelligence artificielle de Dave Mark (AI engineer sur Everquest Next entre autres) vu que le projet en impliquait un usage intensif.
On était déjà en mai 2013 ou pas loin. Je commençais à être à bout de souffle avant même d'avoir commencé un prototype concret. J'ai eu le réflexe de survie à ce moment-là (je renvoie aux conseils vraiment excellents de Derek Yu sur ce
blog pour les lecteurs intéressés, ainsi que
celui-là). J'ai donc changé d'état d'esprit : qu'est-ce qui serait fun et plus court à réaliser dans des délais raisonnables ? Depuis Metroid pour SNES en particulier, Earthworm Jim un peu plus tard toujours sur cette même console, la mécanique du grappin m'a toujours amusé comme joueur. Je me suis dit pourquoi ne pas jouer avec ça... J'ai passé une semaine sur un
tutoriel pour faire des jeux de plates-formes.
J'avais le carré de #HangThere (qui était plus un rectangle à vrai dire) qui sautillait sur le sol au bout de cette semaine passée à coder mon premier mini-moteur de collisions, et qui lançait un grappin animé en direction du bloc. La démonstration tournait sur mon iPhone 3GS (d'occasion également) et même si ce n'était pas encore grand-chose, j'ai souri en voyant quelque chose de concret et d'interactif sur l'écran tactile. Ces petites victoires n'ont pas de prix pour reprendre la motivation, mais j'étais encore en territoire dangereux... Cocos2dx est un très bon moteur, mais ses versions successives manquent de stabilité, ma machine avait du mal par moments, je perdais énormément de temps avec Box2D, le moteur physique intégré dans son pipeline (utilisé dans Angry Birds entre autres). Bref, cela devenait vite inutilement complexe à cause de la technologie.
Travailler sur une autre idée de grappin n'était pas nécessairement une décision facile pour moi. J'ai commencé à douter de nouveau quand j'ai commencé à creuser ce que je pouvais faire avec ce grappin. Unity a sorti, à peu près au même moment, sa version pour faire de la 2D sans les complications d'un pipeline en 3D et, surtout, la possibilité de publier sur mobiles sans payer la licence. Je me suis donc jeté de nouveau corps et âme sur mon idée initiale et j'ai produit quelques assets moi-même avec Pixen. J'étais très surpris de constater que j'étais capable de faire du pixel art de programmeur pour l'utiliser en mode prototypage. Plus je gagnais en compétence dans les autres disciplines et me rôdais avec Unity, plus j'avais de l'élan pour poursuivre. Avec Unity, je n'avais pas à coder la physique en 2D : ce que vous voyez à l'écran quand vous jouez n'est pas du tout animé par exemple : c'est le moteur 2D, mes paramétrages et mon code qui font que cela se balance comme ça... Une bénédiction quand je compte le temps passé seulement à animer mon personnage du projet intial (animation sous forme de squelette pour minimiser les assets, mais cela restait beaucoup de boulot).
C'est vers février/avril 2014 que j'ai eu l'idée d'enlever complètement le sol. Ma version initiale à l'issue de ces trois mois était un mini-donjon avec six salles/maps faites avec Tiled (un excellent outil open source pour les maps en 2D), mais il restait beaucoup de travail. Cela faisait déjà un an que j'étais dans cet enfer, sans avoir mis à jour ma première application, Iqra, non plus. Il me fallait donc encore simplifier jusqu'à arriver au minimum syndical...
J'ai contacté des graphistes qui m'ont permis d'avoir des assets façon 8 bits, pareil pour les sons, tous les artistes étant crédités dans le générique. Le phénomène
Flappy Bird et le succès de jeux simples plus généralement m'a donné le reste de conviction qu'il valait mieux sortir #HangThere même petit et l'agrandir autant que possible, plutôt que rester plusieurs mois voire une autre année sans source de revenu alternative aussi petite soit-elle, et embrasser l'approche « performative development » propre à des équipes comme Vlambeer et ce qu'elle fait avec Nuclear Throne.
C'est dans mes plans de rendre le développement plus transparent avec des mise-à-jours régulières. J'attends juste d'avoir les moyens pour une machine plus puissante, car j'ai assez de mal à compiler les versions iOS.
Pour le financement, j'ai préféré ne pas faire de campagne KickStarter simplement parce que je me connais, je travaille mal sous pression inutile et, quand je vois le peu de copies vendue pour ma première application et l'obligation morale que j'ai encore de livrer les updates, je me suis dit qu'avec du tout gratuit, quoi qu'il arrive, j'en fais ce que je veux à terme. Après tout si on n'est pas indépendant pour cette liberté en particulier, autant retourner en studio AAA !
Pockett.net : Comment se déroule la carrière commerciale de #HangThere jusqu'ici ?
K. A. : Il est difficile de répondre à cette question en l'état actuel des choses pour être honnête. Globalement de mieux en mieux d'un point de vue purement technique. J'ai gagné en compétence ces trois dernières années (Palm Grove Software aura bientôt trois ans...), Unity continue d'être l'outil idéal surtout depuis qu'a été réglé le dernier problème d'interface qui était compliquée inutilement avant la version 4.6 qui sort bientôt. Je continue d'apprendre et tant que j'ai encore des idées pour ce petit projet et que cela m'amuse, je continue à travailler dessus. Même si à l'origine j'ai mis de côté mon projet initial pour me re-motiver avec un projet plus court, je me surprends à en tomber amoureux de jour en jour un peu plus.
Je ne voulais rien sortir initialement avant d'avoir avancé au maximum sur la vision globale que j'ai pour la bête, mais cela faisait un an que je me torturais à prototyper une idée qui allait prendre des années de travail. J'ai donc appris par la force des choses la compétence qui me faisait encore défaut : producer... Le plus dur, c'est de se « manager » soi-même quand on travaille en solo pendant des mois et des mois coupé de presque tout contact humain à part la famille proche (beaucoup d'indépendants souffrent de la chose, même sans les problèmes d'ici). J'ai donc fait du design par contrainte, ce qui m'a permis de quand même créer un premier petit jouet interactif, avec en tête un résultat concret jouable comme objectif. J'ai utilisé des assets sonores et graphiques disponibles dans le domaine public (sur opengameart.org principalement) pour les parties que je ne pouvais pas décemment faire moi-même en un temps raisonnable avec cette qualité.
La réponse initiale des amis proches est positive globalement. Celle des indépendants de la scène mondiale que je respecte et que je suis sur Twitter à qui j'ai envoyé le lien de la démonstration Web lors de la sortie, également.
Entre début juillet pour la version iOS, j'ai eu, avec l'aide initiale des amis (surtout en France), un petit élan qui a été jusqu'à 50/60 téléchargements par jour jusqu'au 17 août. Un peu plus de 2 000 en tout. A mon grand dam, je n'ai pas réussi à payer Apple à temps, mes applications sont donc sorties de l'App Store pendant une semaine... Cela n'a pas loupé, je n'ai pas du tout repris ce peu de visibilité que j'avais acquis à grande peine avec la promotion à zéro budget : essentiellement sur les réseaux sociaux, le buzz initial avec la fonctionnalité de score sharing. La version Android n'a pas dépassée les 70 téléchargements en tout jusque-là.
Heureusement que ma première application a établi une base d'utilisateurs suffisante en deux ans pour reprendre aussitôt à son rythme quotidien de 40 téléchargements par jour en moyenne, seule source de revenu depuis avec 90 euros/mois en moyenne.
Donc, à part la frustration d'une erreur aussi grossière de ma part (j'avais oublié depuis le temps que, non, les cartes de paiement ne passaient pas toujours avec Apple depuis ici...), tout va relativement comme prévu : lancer une version minimale, complètement gratuite, ajouter du contenu intéressant pour en faire une oeuvre plus ambitieuse avec le temps. Ne pas avoir de version payante, ne pas utiliser d'in-app purchase, ne pas financer avec un modéle à la Kickstarter ou équivalent, entre autres choix, sont des principes parfaitement conscients.
Chaque projet/équipe à ses contraintes, j'ai par la force des choses établi petit à petit un mode de fonctionnement qui m'est propre. Je ne m'attendais pas à un succès du jour au lendemain de toute façon. C'est le travail de plusieurs mois, sans garantie de succès quoi qu'il en soit, mais tant que j'apprends, et que j'arrive à en établir une source de revenu additionnelle pour financer les projets futurs en restant indépendant pour travailler sur ce que je veux, à mon rythme, quand je veux, tout va bien.
Pockett.net : Quelles sont les évolutions prévues pour #HangThere ?
K. A. : A court terme, il est prévu de rendre le jeu plus intéressant. Je travaille actuellement sur un système de sauvegarde, decheckpoints et de challenges qui augmentent tous les dix points. J'intègre également le système Everyplay qui permettra aux joueurs d'enregistrer leurs sessions de jeu et de les poster en ligne de façon privée ou publique. L'idéal serait de proposer à long terme aux joueurs une experience complètement gratuite qui saura les ramener à l'époque bénie des aventures en retro pixels qui demandent un minimum de réflexes sur mobile. Peut être que le jeu sera porté sur d'autres plates-formes si la pertinence s'en fait sentir à un moment ou un autre.
Pockett.net : Travaillez-vous sur un autre jeu déjà ? K. A. : Pas pour le moment. Je dois également pouvoir trouver le temps de porter Iqra vers Unity pour ne plus avoir à dupliquer le travail pour les mises-à-jour. Capitaliser d'une façon ou d'une autre sur l'audience que j'ai acquise grâce à ce premier projet. J'attends seulement le bon moment, peut être la prochaine mise-à-jour qui sera relativement conséquente, en espérant qu'elle saura intéresser les joueurs un peu plus.
Mais dans tous les cas, oui, avant de commencer à travailler sur #HangThere, mon projet initial était beaucoup plus ambitieux, personnel, risqué en terme de sujets abordés (ils sont relativement adultes). J’ai travaillé sept mois dessus avant de le mettre de côté pour des périodes plus stables si tout va bien. Pas plus tard que la semaine dernière, la tentation était de nouveau très grande de m'y remettre... Mais comme je vous disais, la casquette de producer finit par avoir le dernier mot sur le game designer et le programmeur qui sont intenables certains jours. Et la casquette de patron commence à leur dire à tous qu'il va falloir trouver une issue d'une façon ou d'une autre vu que les factures s'accumulent dangereusement et que deux projets sont encore à finir.