Les aliens sont de retour. Mais cette fois, ils ont caché leur arme de destruction interstellaire dans un endroit inattendu : sous la coupole du Centre de Conférence International Kenyatta de Nairobi.
Le bâtiment, à la forme de soucoupe volante, est pris d’assaut par les extraterrestres, patibulaires et agressifs, débarqués en nombre d’un vortex verdâtre trouant le ciel africain. Leur but : récupérer l’arme fabuleuse et (on s’en doute) détruire la terre en commençant (ça, c’est moins classique) par le Kenya.
Cette histoire, pas banale, est en réalité celle d’un jeu-vidéo, lancé au mois de juin dernier, Nairobi X, catapulté « premier jeu-vidéo africain » par la presse du continent. Elle est aussi le fruit de l’imagination d’un jeune homme de 27 ans, Andrew Kaggia.
« Pourquoi les aliens ne se posent-ils jamais en Afrique ? ! »
Le jeune développeur, natif de Nairobi, le rappelle de sa voix grave et posée : les meilleures idées sont souvent les plus simples. « Depuis des années, je jouais sur ma console à tuer des aliens dans les rues et sur les toits de Los Angeles et New York. Et puis un jour, je me suis dit : pourquoi est-ce que les aliens débarquent toujours aux États-Unis ? ! Pourquoi est-ce que leurs vaisseaux ne se posent jamais en Afrique ? C’est bizarre, tout de même, vous ne trouvez pas ? »
Bizarre, oui : le continent africain occupe un cinquième des terres immergées et est donc difficile à rater pour des êtres venus de l’espace. Mais, sur terre, l’Afrique reste pourtant à l’écart de l’industrie du jeu-vidéo. « Nairobi X est le premier jeu-vidéo africain, au sens professionnel du terme, rappelle Andrew Kaggia. C’est le tout premier jeu de shooting et de gunning à la première personne et disponible en réseau, le premier jeu-vidéo en 3D, disponible sur portable et ordinateur. »
« Soldat, votre mission est simple : défendez Nairobi…»
Andrew Kaggia, chemise stricte et lunettes à grosse monture, branche son ordinateur, lance le jeu. Le jeune développeur connaît son Nairobi X par cœur, tirant sur les ennemis débarqués nombre dans la capitale kényane, dirigeant son personnage du clavier et de la souris malgré son unique doigt de la main droite, « une difformité de naissance », explique-t-il.
« Soldat, votre mission est simple : défendez Nairobi… avant qu’il ne soit trop tard », annonce le générique. Le joueur devient subitement Otero (« héros » en sheng, l’argot des jeunes de la capitale), membre de l’unité kényane d’élite du RECCE squad, équipé d’un AK-47 et de quelques armes futuristes. Le jeu est un croisement des inspirations de son développeur, amateur de boxe thaï, d’action à l’américaine et de robotique japonaise.
Dès le lancement, au mois de juin, le succès est immédiat. À la mi-juillet, on dénombrait déjà plus de 21 000 téléchargements sur mobile. En juin, le hashtag #defendkenya est devenu viral. « Ça touche tout l’Est Africain, dépasse les frontières du Kenya : Tanzanie, Ouganda, Éthiopie… et même Soudan du Sud ! », s’étonne Andrew Kaggia.
Le jeu-vidéo au Kenya, « un passe-temps » plus qu’une activité économique
Le nouveau champion des nouvelles technologies kényanes est pourtant issu d’une famille de fermiers, loin des gratte-ciel du Central Business District. Son premier jeu-vidéo, Space Invaders est arrivé sur le tard. Le « choc émotionnel » viendra à l’adolescence, avec le jeu de combat en 3D Tekken 2 : « C’était la plus belle chose que j’avais jamais vue, la plus intense. Ce jour-là, j’ai compris ce que je voulais faire dans la vie », raconte Andrew Kaggia.
Mais les combats du jeune gamer ne se limitent pas à la console de jeu. Dans le Kenya du début des années 2000, on compte peu d’ordinateurs et encore moins de connections Internet. « Je passais mes week-ends et mes vacances à apprendre le code et l’animation sur des tutoriels, raconte Andrew Kaggia. Mes amis et mes parents ne me comprenaient pas, ils voyaient ça comme un passe-temps et pas comme un métier, comme une lubie occidentale et pas comme un produit africain. On disait : « Andrew, il s’est trompé de continent » Je me suis senti exclu. »
L’idée de créer son premier jeu germe à partir de 2013, après plusieurs années à travailler dans la publicité. En l’absence d’école d’animation et de financement disponible, Andrew Kaggia doit mettre de sa poche. « J’ai créé Nairobi X tout seul. J’ai investi 5 000 dollars et perdu 15 kilos pour faire ces 6 heures de jeux », rappelle Andrew Kaggia.
Un marché prometteur
Le jeune homme a aussi le sens des affaires. « Aujourd’hui, le jeu est rentable… », sourit le jeune développeur. Dans Nairobi X, la publicité est omniprésente. Des cannettes de Red Bull géantes flottent en l’air, et permettent au personnage de recharger ses batteries. Le joueur monte dans des Land Rover rutilantes et slalome entre des panneaux publicitaires pour la Commercial Bank of Africa CBA.
Les efforts ont payé, et l’industrie du jeu-vidéo pourrait vite devenir un business très rentable sur le continent africain. Près de 80 % des 800 millions d’habitants d’Afrique subsaharienne devraient avoir accès à un portable d’ici 2020. Le quotidien sud-africain Mail and Guardian chiffre le marché du jeu-vidéo en Afrique du Sud à 163 millions de dollars : une goutte d’eau dans une industrie qui valait 66 milliards d’euros en 2013, selon le think tank IDATE.
Le marché est prometteur, et Andrew Kaggia l’a bien compris. « Nairobi X n’est qu’une introduction », insiste-t-il. Vers une franchise, d’abord : « On pourrait faire débarquer des aliens partout en Afrique ! Ça deviendrait Lagos X, Johannesburg X, Cairo X ! » Vers un message social, ensuite : « Il est important que les jeux vidéos africains portent un message social sur l’Afrique : un message positif. Par exemple, j’aimerais développer un jeu sur la protection de l’environnement et des grands éléphants d’Afrique »
En quête d’une reconnaissance officielle
Mais les officiels kényans, à la différence des gamers et des internautes, se tiennent encore à distance de Nairobi X et de son succès. Si l’équipe de Barack Obama, lors du passage du président américain au Kenya fin juillet, a pris contact Andrew Kaggia et sa boîte de production Black Division, le ministère de la culture, lui, n’a pas donné signe de vie.
« Le gouvernement devrait au contraire investir dans les jeux-vidéos, insister sur le fait que c’est une filière économique d’avenir », estime Andrew Kaggia. « On devrait même créer une école pour former les jeunes développeurs, ici, au Kenya », enchaîne-t-il.
Une école au nom d’Andrew Kaggia, pionnier en son continent ? Le jeune développeur joue les modestes : « Vous savez, nous avons déjà des concurrents : les Nigérians ! Ils ont même développé un jeu de course sur les matatus, les bus de Nairobi ! » La guerre est donc déclarée, et pas qu’avec les aliens.
Par Bruno Meyerfeld - Source de l'article Le Monde Afrique
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