vendredi 6 mai 2016

Au Bénin, la vie du grand roi Gbéhanzin en bande dessinée


L’ouvrage ravive la polémique sur les circonstances de la reddition au colon français du dernier grand roi de l’ancien Dahomey.

Le roi apparaît de dos, drapé d’un pagne tissé et l’épaule gauche découverte. A la cour d’Abomey, capitale du royaume du Dahomey, aujourd’hui le Bénin, nul n’avait le droit d’observer de face le monarque. Les auteurs de la bande dessinée Gbèhanzin se sont souvenus de cette subtilité pour choisir la couverture de leur ouvrage qui vient de paraître aux éditions Laha, spécialisées dans la conception des manuels scolaires. La bande dessinée a été présentée au public le 29 avril à l’Institut français de Cotonou.

Gbèhanzin, qui revient sur l’histoire du plus célèbre roi d’Abomey, est le fruit d’une collaboration artistique entre l’écrivain et scénariste béninois Florent Couao-Zotti, auteur du polar La Traque de la musaraigne (éd. Jigal), la scénariste Sonia Houénoudé Couao-Zotti et le jeune illustrateur Constantin Adadja, créateur graphiste.

« Cinq années de travail »

« Cet album est le fruit de cinq années de travail et de recherche historiques et iconographiques. Nous avons lu des thèses et l’essentiel des livres qu’il y avait sur le personnage. Nous nous sommes rendus à Abomey pour visiter les lieux », explique Sonia Houénoudé Couao-Zotti, par ailleurs attachée culturelle à l’ambassade d’Haïti au Bénin.

Les planches ont été faites à l’aquarelle. Une technique qui n’était pas familière au jeune illustrateur Constantin, qui dit « s’être exercé sur le projet ». Les auteurs ont aussi mis beaucoup de soin à bien représenter l’environnement et les paysages de façon fidèle. Tirée à 2 000 exemplaires, la bande dessinée a reçu le soutien de la fondation de l’opérateur mobile Moov et est disponible en librairie au prix de 8 000 francs CFA (environ 12 euros).


Gbèhanzin, dont le nom en langue fon signifie « le monde tient un œuf dont la terre seule sent le poids », est le plus célèbre roi du Dahomey ayant lutté, entre 1892 et 1894, contre l’occupation française, avec l’appui des célèbres guerrières amazones. Déporté en 1894 en Martinique, où il vécut douze années après sa reddition en janvier de la même année, puis mort en 1906 à Blida en Algérie, le roi Gbèhanzin a inspiré plusieurs œuvres littéraires, artistiques et cinématographiques.

Après la fiction L’Exil du roi Béhanzin du réalisateur martiniquais Guy Deslauriers en 1994 et l’essai Le Roi Béhanzin : du Dahomey à la Martinique (éd. Arléa) du journaliste français Patrice Louis en 2011, la vie de ce monarque d’Afrique fait pour la première fois l’objet d’une bande dessinée. « On y raconte les principaux axes de sa vie. De sa prise de pouvoir en 1890 à sa mort en 1906, l’idée est de restituer le personnage tel qu’il a existé », confie Florent Couao-Zotti.

Traditionnelle querelle

Cependant, cette dernière œuvre n’échappe pas à la traditionnelle querelle sur l’histoire du roi et l’authenticité des faits racontés. Notamment les circonstances de la désignation de son successeur après sa reddition et sa déportation pour la Martinique. A la page 71 de la BD, les auteurs affirment que le roi lui-même aurait désigné Gaou Goutchili, son ministre de la guerre, pour assurer l’intérim et l’aurait prié de se rendre aux Français. Nous sommes en novembre 1893. Le roi avait assuré qu’il reviendrait de son périple en France, une fois qu’il discuterait du traité de paix avec le président français d’alors, Sadi Carnot. Seulement, il ne verra jamais ce dernier et ne reviendra jamais de son exil.

La couverture de la BD "Gbèhanzin", par Florent Couao-Zotti, Sonia Houénoudé Couao-Zotti et Constantin Adadja (Laha Editions).

Ces faits ont été contestés lors du lancement officiel de l’œuvre par un descendant de la famille royale Gbéhanzin. « Ce n’est pas une querelle d’histoire. Mais le roi n’a pas désigné par intérim Gaou Goutchili. En sortant du maquis pour rencontrer le général Dodds, à Goho, en 1894, Gbèhanzin n’a jamais rencontré le prince Gaou Goutchili », avance Constant Agbidinikoun.

Une autre version de l’histoire voudrait que Gaou Goutchili, pressentant la défaite, se soit rendu lui-même, en même temps que certains obligés du roi, à l’occupant français, trahissant ainsi Gbèhanzin qui se trouvait dans le maquis. Les colons, en reconnaissance de son acte d’allégeance à la puissance coloniale, l’auraient fait introniser roi sous le nom d’Agoli-Agbo.

Trahison ?

« Nous avons rencontré toutes les parties prenantes. La famille royale Gbéhanzin promène la version de la trahison dans toutes les sources. Mais du côté des Agoli-Agbo, on dit que les deux étaient très proches malgré leur consanguinité. Et beaucoup de personnes les jalousaient. Comment se seraient-ils trahis ? », répond Florent Couao-Zotti.

Les auteurs affirment que les faits retracés dans l’œuvre sont très proches de la réalité. Mais, encore aujourd’hui, ce différend ancestral continue de diviser la grande famille royale d’Abomey où siègent deux rois : un descendant du roi Agoli-Agbo et un autre du roi Gbèhanzin, avec chacun son palais. La ville d’Abomey, à quelque 140 km de Cotonou, a été très prospère grâce au commerce d’esclaves puis au développement de la filière du palmier à huile, entre le XVIIe et le XIXe siècle. L’ensemble de ses palais royaux sont inscrits au patrimoine mondial de l’Unesco.

Par Hermann Boko - Source de l'article Le Monde Afrique

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