Cet écrivain graphique syrien contraint de fuir son pays publie un ouvrage original où il concentre les contradictions de l’opposition syrienne dans les personnages d’un hôpital de fortune.
Dans Freedom Hospital, Hamid Sulaiman
met en scène un hôpital clandestin en Syrie
où se croisent une douzaine de personnages :
médecins, patients,
insurgés,… / J. Lortic/Arte Éditions
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Réfugié depuis à peine trois ans à Paris, Hamid Sulaiman, né à Damas en 1986, signe déjà son premier roman en France : Freedom Hospital (1), un récit graphique mettant en scène un hôpital clandestin en Syrie où se retrouvent malades et soignants, militants de tous bords. Bref, un condensé de la Syrie en guerre.i Pourquoi lire La Croix ?
Son départ précipité un jour de 2012, alors qu’il défilait avec ses amis damascènes aux cris de plus de liberté et de démocratie, ne l’a pas empêché de suivre sa trajectoire de dessinateur. Tout au long de sa migration, son projet a mûri.
Comme beaucoup d’artistes syriens, le parcours de l’exil est passé d’abord par Le Caire, « le centre des médias de l’art » du monde arabe, précise-t-il. Mais, quelques mois plus tard, l’arrivée au pouvoir des Frères musulmans et de Mohamed Morsi modifie ses projets. « Je m’étais lancé dans la bande dessinée, j’exposais mes planches de dessins dans des centres culturels du Caire. Mais les Frères musulmans, qui en ont pris le contrôle, ont commencé à imposer leurs choix. » Hamid Sulaiman doit changer ses plans.
À Paris, il fait la tournée des éditeurs
Un visa allemand lui permet de rejoindre sa mère outre-Rhin. Mais le destin en décide autrement. Il profite d’un passage à Paris pour faire la tournée des éditeurs, dessins et planches sous le bras. Devant leur intérêt manifeste, il s’imagine un avenir en France. Sauf que la législation européenne ne l’autorise à rester dans la capitale française que provisoirement, avant de continuer son périple jusqu’en Allemagne. Sentant que son sort se joue à Paris, il choisit la clandestinité, le temps d’obtenir le sésame : son titre de séjour.
Depuis, aux côtés d’Aurélie, comédienne avec qui il partage sa vie, il perfectionne son français. À l’image de sa personnalité ouverte et généreuse, son parler est un joyeux mélange d’« européanismes » franco-germano-britanniques. « Je fais beaucoup d’erreurs, surtout des “faux amis” », dit-il.
De son expérience de réfugié, il retire un enseignement : « L’adaptation dans le pays d’arrivée dépend de l’envie qu’on a d’y rester. Si c’est un choix, c’est plus facile. » Arrivé célibataire à l’âge de 26 ans, sans responsabilité familiale, « ça aide », dit-il encore.
Art de la débrouille et mental d’acier
À peine avait-il posé le pied à Paris qu’il prenait contact sur Facebook avec un groupe de Syriens. « Sur le Web, on partage nos expériences, on se donne des tuyaux, des professeurs posent des annonces pour donner des cours gratuits de français. Et il y a plein d’adresses de fast-foods syriens qui se sont ouverts à Paris, dans lesquels on se retrouve. » Comme à Damas, pourrait-il ajouter.
Art de la débrouille et mental d’acier sont le cocktail qui caractérise ce colosse à la voix si douce. « L’avantage que j’ai sur d’autres réfugiés, c’est que, pour dessiner, je n’ai pas besoin de la langue. Avec le dessin, tout le monde me comprend. »
« Dans toutes les villes de Syrie engagées en 2011 dans la résistance au régime de Bachar Al Assad, il y avait des ”freedom hospitals” (hôpitaux de la liberté), raconte-t-il. Les activistes venaient y installer leurs connexions Internet. L’hôpital était un îlot de militants, de médecins, de blessés, d’activistes. » Un lieu pour rassembler les douze personnages de son roman où, malgré la tragédie, l’humour est constamment présent. « C’est la vie qui continue, même dans la guerre. »
La bande dessinée, un art récent en Syrie
Assis sur le canapé d’une pièce baignée de lumière, Hamid Sulaiman roule avec application ses cigarettes. Il prend le temps de préparer un café, différent de celui qu’il aurait bu en Syrie, avec de la cardamome et le marc au fond de la tasse. Des « petits riens » qui font partie de sa culture, comme la musique, la langue ou la religion que « l’on n’oublie pas ».
Il affirme qu’il n’a pas le mal du pays, ce serait « un frein à l’intégration », lance-t-il. Mais il se retrouve avec ses amis syriens de Paris dans les bars : « Je dessine, on y joue de la musique. »
Il a mis quatre ans pour achever Freedom Hospital. La bande dessinée est un art récent en Syrie. Il n’existait pas avant la guerre. « C’est un formidable outil d’expression, qui se situe entre le visuel et le texte, et davantage dans l’imagination. C’est aussi moins contraignant que le cinéma, qui demande des financements, des sociétés de production, des techniciens, des acteurs,… » Mais pourquoi tant de noir dans ses dessins ? « Beaucoup de dessinateurs arabes utilisent le contraste noir/blanc, qui exprime symboliquement pour nous la dualité bourreau/victime, obscurité/lumière. »
Sans jamais y mettre les pieds, faute de visa alors qu’il était invité, Hamid a même exposé avec d’autres dessinateurs étrangers au British Museum, à Londres. L’an prochain, il sera en tournée en Allemagne mais, cette fois, en toute légalité et sans crainte de ne pouvoir retourner en France.
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Son inspiration : les romans arabes
Hamid ne peut se départir de son héritage culturel. « Comme dans la littérature arabe, où il y a le plus souvent de multiples personnages, par exemple dans les romans de Naguib Mahfouz ou, plus récemment, dans L’Immeuble Yacoubiand’Alaa El Aswany, moi aussi je mets en scène douze personnages dans Freedom Hospital. Alors que dans la littérature européenne les écrivains mettent souvent en scène un personnage principal, le héros, du début à la fin du roman. » Outre les auteurs classiques, Hamid a été bercé par ses maîtres de la BD comme Alan Moore, dessinateur britannique qui travaille aux États-Unis. « J’adore son style d’écriture. C’est aussi un militant, il y a toujours des symboles dans chacun de ses dialogues. » Il voue aussi une admiration sans borne pour l’artiste éclectique Alejandro Jodorowsky, Chilien d’origine russe.
Par Agnès Rotivel - Source de l'article La Croix
(1) Arte Éditions, 288 p., 23 €.
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