Le Maroc peut aussi se targuer d’avoir l’unique filière de BD sur le continent africain, au sein de l’Institut national des beaux arts de Tétouan. Les rares productions marocaines de BD sont sociales, historiques ou même politiques.
Ainsi, en 1993, Ahmed Nouaiti, Wajdi et Mohamed Maazouzi publient la trilogie «Histoire du Maroc en bande dessinée», pour relater l’histoire nationale de la préhistoire à 1961. En 2000, Abdelaziz Mouride sort «On affame bien les rats !», témoignage de sa longue détention en tant que prisonnier politique. En 2004, il récidive avec «Le coiffeur», chronique douce amère d’un salon de coiffure pour hommes dans un quartier populaire casablancais dans les années 70. Les institutions s’y mettent aussi, puisqu’en 2004 l’Institut royal de la culture amazighe publie la première BD en langue berbère «Tagellit nayt ufella» (la Reine des hauteurs), l’histoire d’une reine luttant contre les forces du mal pour protéger son peuple.
Même le nouveau code de la famille avait fait l’objet d’une adaptation BD en arabe dialectal et en français nommée «Raconte-moi la nouvelle Moudawana». Le but était de vulgariser la loi aussi bien pour la population résidente qu’immigrée. D’autres productions sont aussi à remarquer comme «L’Hadj Belaïd» de Larbi Babahadi, racontant l’histoire du chanteur marocain du même nom, ou encore «Tempête sur le Bouregreg», publié par l’agence pour l’aménagement de la vallée du Bouregreg et visant à expliquer aux jeunes les travaux de ce chantier et leur impact sur Rabat et Salé. Signalons aussi qu’au début des années 2000, les étudiants de l’Institut national des beaux-arts de Tétouan avaient créé un magazine, «Chouf» (qui ne paraît plus) pour y publier leurs travaux.
La bande dessinée engagée
La bande dessinée engagée est utilisée de tout temps, selon les cultures et les besoins. Au départ, dessin caricaturiste ou satirique, l’utilisation de la bande dessinée s’est avérée très vite une arme des plus efficaces, surtout auprès des peuples analphabètes. L’usage du grotesque, de la caricature, du satyre ou du pamphlet sont autant de techniques qui sont à l’origine de la bande dessinée engagée. Cette dernière sera utilisée pour échapper à la censure. Depuis de La Fontaine, le genre animalier est usuel : les oppresseurs et les dictateurs sont représentés par des animaux antipathiques, carnassiers ou charognards, et leurs victimes par des animaux dociles, des brebis ou des souris. L’utilisation de la politique-fiction, où l’action se situe dans un futur éloigné, permet de représenter la société, mais sous une forme métaphorique. Tous les récits au second degré ou à clé, les paraboles, les fables ou les «mondes imaginaires» sont dans ce cas d’habiles travestissements de la réalité contemporaine. À chaque fois, l’auteur se voit forcé de se cacher pour exprimer ses idées et protester contre le pouvoir en place.
Politique et propagande
La bande dessinée a aussi bien été utilisée comme arme de persuasion par les différents courants politiques ou idéologiques. Et le plus souvent de manière grossière, comique, voire raciste. Les premières propagandes avaient pour but d’exploiter l’ignorance et la peur, et de les caricaturer. En temps de guerre, ce moyen de communication a été largement utilisé : Superman ou Captain America ont été créés pour protéger l’Amérique en s’attaquant aux Allemands et aux Japonais.
La bande dessinée à but pédagogique
Il n’y a pas si longtemps, la bande dessinée avait mauvaise réputation auprès des parents et des professeurs : c’était le genre littéraire des paresseux et des mauvais élèves. Mais maintenant que la BD a acquis ses lettres de noblesse, en devenant le neuvième art, éditeurs, parents et pédagogues ont compris tout l’intérêt de la BD comme outil pédagogique.
Apprendre avec des images
Que ce soit dans un cadre informatif ou éducatif, la bande dessinée est très souvent sollicitée. Les images, les textes présentés dans des bulles, font passer le message plus facilement. La population ciblée est souvent jeune, réceptrice d’images et de couleurs. Au début, même sans savoir lire, l’enfant est attiré par le dessin, qui capte son attention et développe son imagination. Il «entre » dans le monde des personnages et s’identifie à eux, et cela sans l’aide d’un adulte.
Apprendre avec des mots
Il est plus simple de commencer à apprendre à lire avec des bandes dessinées. Aux yeux d’un enfant, il n’y a rien de plus rébarbatif qu’un livre plein de mots et de textes, sans images pour égayer et illustrer l’histoire ! Une fois que l’enfant sait lire, il a une meilleure compréhension du sujet grâce aux images. Les thèmes abordés sont larges : apprendre la vie, l’environnement, la société, la science.
Quelques exemples d’albums ont marqué les esprits, parmi lesquels :
• Adaptation de la fameuse série «Il était une fois la vie» qui permet aux enfants de mieux comprendre comment fonctionne leur corps.
• Une manière humoristique d’aborder des sujets graves comme le racisme, la mort, etc. «Ainsi va la vie».
• Sur l’acné juvénile «L’affaire des boutons» de Anne Pruzkowski, Michel Durand, Jean-Louis Fonteneau.
• Sur l’écologie «Boule et Bill – SOS Planète».
• Pour répondre aux questions sur l’accouchement, la puberté, etc. «Titeuf - Le guide du zizi» de Pef.
• «Otto et la journée orange / Otto’s orange day» : une partie en français et une en anglais pour apprendre les deux langues.
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Avis du spécialiste: Saïd Bouftass, directeur du Festival de la bande dessinée de Casablanca
«Une bande dessinée, c’est avant tout un très bon scénario»
La bande dessinée peut-elle être utilisée comme outil pédagogique ?
L’apport pédagogique de la bande dessinée est indéniable. Elle a la particularité de toucher à plusieurs domaines (cinéma, écriture, dessin, sociologie, psychologie, sémiologie…) ce qui la rend très précieuse et même irremplaçable.
Pourriez-vous nous dresser un état des lieux de la bande dessinée au Maroc ?
Hormis quelques protagonistes comme Nouiga, Aziz Mourid, nous pouvons dire et avec tristesse que la production de la bande dessinée au Maroc est quasi inexistante…
Pourquoi la bande dessinée n’est-elle pas plus développée au Maroc ?
Je pense que nous pouvons parler de deux points essentiels. Le premier, c’est l’absence de scénaristes en matière de bande dessinée. Pire encore, nous ne sommes pas encore conscients de l’importance de l’écriture scénaristique. Un bon dessinateur continue à penser que le fait qu’il dessine bien lui donne la possibilité de réaliser une bande dessinée. Mais une bande dessinée, c’est avant tout un très bon scénario ! Il faut donc mener un travail qui concilie entre dessinateur et scénariste. Le deuxième point concerne le processus de création. Le geste créatif fait toujours défaut. Un long et sérieux travail de réflexion reste à mener dans les universités et les grandes écoles d’art, aussi bien auprès artistes que des écrivains, pour trouver une solution à cette faiblesse.