mardi 2 juillet 2013

Algérie : générations BD

Écrire un livre sur la bande dessinée algérienne, j’y avais pensé plusieurs fois. Il a fallu qu’une éditrice, Dalila Nadjem, également commissaire du Festival international de la bande dessinée d’Alger, me le propose pour que cette velléité se transforme en projet, puis en rêve et en cauchemar à la fois. 

COUVERTURE PANORAMA
Rêve de transmettre ma vieille passion pour le 9e art et de rendre hommage à ces merveilleux et courageux créateurs que j’ai parfois accompagnés dans leurs aventures individuelles ou collectives. Cauchemar de ne pas disposer de véritables archives culturelles, si ce n’est quelques références, tel l’ouvrage de mon confrère Lazhari Labter (Panorama de la bande dessinée algérienne 1969-2009, Lazhari Labter Éditions, 2008), et de devoir faire un travail de reconstitution parfois fastidieux. Mais ce qui m’a passionné dans cette entreprise c’est de proposer un parcours de la bande dessinée qui s’intègre dans l’histoire culturelle du pays et d’établir des passerelles avec les autres disciplines.

Pour qui contemple l’histoire de notre BD, deux constats sautent aux yeux. Le premier est qu’elle est la seule à être née après l’indépendance, si l’on considère que les premières planches publiées furent celles de Mohamed Zebda, dit Aram, Naar, une sirène à Sidi Ferruch, dans les pages de l’hebdomadaire Algérie Actualités, en 1967, et le premier album paru celui de Slim, Moustache et les frères Belkacem, en 1968. Avant ces deux créations fondatrices, on peut citer quelques précurseurs, surtout dessinateurs de presse, Ismaïl Aït Djafer et Saïd Zanoun, et l’enlumineur Omar Racim, au début du XXe siècle, dans une publication de l’émir Khaled. 
Naar by Mohamed Aram
Mohamed Aram
La deuxième particularité de notre BD, dans ses contenus et ses formes, est d’être intimement liée à l’histoire postindépendance du pays et à son évolution sociopolitique. Une sorte de miroir, évidemment déformant, mais tellement représentatif.

La génération des pionniers mérite une reconnaissance appuyée tant son engagement et sa persévérance furent admirables face aux adversités, souvent cruelles, parfois tragiques, comme la décennie noire, au cours de laquelle certains perdirent la vie et où la plupart des autres durent soit s’exiler soit cesser de publier.

Dessin de presse

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Pour créer une bande dessinée nationale, ils disposèrent du soutien de certains titres de presse, puis de celui, décisif, de la revue M’Quidech (1969-1974), formidable tremplin de diffusion mais aussi école et pépinière. L’arrêt brutal de cette revue, même si ces pionniers ne renoncèrent pas, ouvrit une première période de désespoir.

Dans les années 1980, le Festival de BD de Bordj el-Kiffan, près d’Alger, prit le relais, organisant les premiers échanges internationaux, ce qui valut aux auteurs algériens une reconnaissance internationale. La fin de ce festival et le début d’une ère d’instabilité et de violence amenèrent les bédéistes à s’engager dans la lutte contre l’intégrisme, notamment à travers les journaux satiriques comme El Manchar (« La Scie »). D’autres, exilés, se manifestèrent dans les journaux et revues à l’étranger, tandis que le dessin de presse prenait son essor avec la naissance des journaux indépendants.

Les années 2000 marquent l’arrivée d’une nouvelle génération, née et élevée durant la tragédie nationale, entrée en BD via les dessins animés, essentiellement asiatiques, diffusés par la télévision algérienne et dont l’audience a été amplifiée par l’arrivée massive des paraboles. Il n’est donc pas étonnant que les premiers jeunes auteurs à se manifester furent les ­ « ­dz-mangas », créant une maison d’édition et une revue, Laabstore.

Mais c’est avec la création du Festival international de la BD d’Alger, en 2007, que cette dynamique a pris de l’ampleur, rendant hommage aux pionniers (dont plusieurs demeurent créatifs) et accompagnant l’éclosion de jeunes talents à travers des cycles de formation menés par des bédéistes européens. Deux promotions ont ainsi vu le jour et une troisième est en formation, préparant, comme les précédentes, ses premières publications. Par leur audace et leur fraîcheur, les nouveaux bédéistes, dont beaucoup de jeunes femmes (proportionnellement plus nombreuses que leurs consoeurs européennes), ont inspiré le sous-titre de mon ouvrage : « Et l’aventure continue »… Une aventure qui incarne l’immense potentiel artistique qui couve en Algérie et commence à se montrer.

Par Ameziane Ferhani, responsable des pages Arts & Lettres au quotidien El Watan. - Source de l'article Jeune Afrique

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