La BD togolaise fait peu parler d’elle : des auteurs peu connus, une production limitée aux frontières du pays et un faible impact médiatique. Pourtant, le pays abrite depuis quelques années une belle aventure qui est celle d’Ago média, l’une des rares maisons d’éditions du continent spécialisée dans le 9ème art. Une étonnante et rafraichissante surprise qui pousse à se pencher sur l’histoire de la BD dans le pays.
Création de la première maison d’édition spécialisée dans la bande dessinée
En 2011, les éditions AGO spécialisées dans la BD et les livres pour enfants voient le jour. En 2012, trois albums sortent dont Flore à tout prix (Fabrice Alawoè et AKM) déjà diffusé dans AGO Feuilleton, mais aussi Haïti, mon amour (de Koffivi Assem et KanAd)(1) et Le bon, la bourse et le corrompu (avec KanAd, Alawoè et Koffivi Assem). Cette même année, ils ont également publié un album pour enfants : Ziguidi et les animaux. En décembre 2012 a lieu un stage, soutenu par AfriBD, projet de l’OIF mis en œuvre par Africultures. A cette occasion, Alain Brezault, scénariste et l’un des animateurs de ce projet, est venu encadrer un atelier(2) auquel ont participé huit membres du groupe AGO média : Adotevi, Dod-zi, Sambiani, Donald Donisen, KanAD et Kossi Kpadenou, Assem….
Cela a débouché sur un ouvrage sur l’histoire de Lomé, Chroniques de Lomé. Ce projet avait été présenté dans un premier temps en novembre 2013 sous forme d’exposition au Goethe Institut lors de TogoBD, premier festival de BD du pays dans l’organisation duquel les artistes d’Ago média jouent un rôle important. Par la suite, Chroniques de Loméest sorti en album et diffusé à l’occasion de salons et festivals auxquels les auteurs participent. Ce fut le cas au salon de la BD africaine de Tourcoing (mars 2014) ou au salon du livre de Paris, le même mois.
A l’étranger, les membres d’Ago média sont très présents et participent régulièrement à des évènements à l’étranger : Salon du livre de jeunesse de Montreuil, Festival de BD d’Alger, Salon des auteurs africains de bande dessinée à Paris…
L’émergence d’un milieu du 9ème art dans le pays
Dans la foulée, d’autres auteurs font également parler d’eux.
Kossi Kpadenou (né en 1982) est illustrateur, technicien en film d’animation et professeur de dessin. En parallèle, il publie régulièrement des planches de BD, dont la série BCBG dans le magazine Tam-Tam. Kpadenou a participé à l’atelier BD piloté par Alain Brezault en 2012 et à l’album collectif, Chroniques de Lomé.
Les frères Accoh, Anani (Anani André Pierre Accoh – né en 1980) et Accoh Mensah (Mensah Marc Accoh – né en 1978) ont commencé à publier en 2000, lorsqu’ils éditent, en collaboration avec la Banque mondiale, Lomé une si courte vie tout en continuant à fréquenter les bancs de l’école. L’année suivante, avec leur bac scientifique en poche, ils participent à la Journée internationale de lutte contre le Sida au lycée français de Lomé avec trois planches intitulées La cible c’est moi. Par la suite, grâce à l’appui d’un sponsor, ils sortent un cahier touristique : Vie quotidienne à Lomé. En 2006, ils sont lauréats du concours Vues d’Afrique organisé par le ministère français des Affaires étrangères, qui donnera lieu à une exposition au Festival international de la bande dessinée d’Angoulême la même année. En 2006, toujours, ils remportent le concours organisé par l’ONG italienne Africa e Mediterraneo dans la catégorie Album inédit et participent à des expositions à Harlem (New York) et à Bruxelles. L’année suivante, ils publient Africavi en italien chez Lai-momo et en néerlandais chez Oxfam Novib. Cet album sera réédité en français en 2010 sous le titre Ils sont partis chercher de la glace aux éditions L’Harmattan. En 2009, ils sont présents dans le collectif La bande dessinée conte l’Afrique publié à Alger par Dalimen Éditions à l’occasion du Festival Panafricain d’Alger. En 2013, ils participent avec Le pic d’Atakora, une histoire courte de sept pages, au collectif, Sommets d’Afrique publié dans la collection L’Harmattan BD. En parallèle, depuis 2004, ils mènent une carrière d’illustrateurs et travaillent pour différentes ONG comme IFDC, World Vision, FNUAP-Togo, INADESS-Togo pour lesquelles ils produisent livrets et affiches. Anani Accoh fait partie des huit dessinateurs qui participent à l’atelier encadré par Alain Brezault en décembre 2012 dans le cadre du projet AfriBD et qui a donné lieu au collectif Chroniques de Lomé. Depuis l’année 2013, l’abbé Marc Abassima publie une planche de Bd en dernière page de chaque numéro du journal catholique Le gong.
Déclarant en douane depuis 2002, scénariste et dessinateur amateur, Messan Agbedor (né en 1976) a publié les deux tomes de son premier album, La fille du gouverneur, aux éditions Ponts de lianes, en 2011 et 2012. Son second, Zoumfa et les chrétiens de dimanche, est paru en octobre 2012.
Illustrateur et peintre, Massi Bambani a travaillé comme graphiste formateur à la Direction nationale de la formation pédagogique de l’université de Lomé. Il publie avec Samah Tinkah en 2003 aux éditions L’Harmattan, un album bilingue (kabye-français) pour enfants, intitulé Un cadeau du ciel. Il a également publié une plaquette de BD de sensibilisation : Malibda n’a pas le Sida.
Lawadan (Sassou dit lawa sass – né le 12 Février 1974) a lancé avec quelques amis le premier magazine pour la jeunesse du pays contenant de la bande dessinée (4 pages sur 16) : Koffi, en novembre 1999. ‘Koffi’ se veux un magazine d’informations de Bande dessinée et de jeux. En Décembre 2002 avec un ami, Azaglo Djiffa, il lance Tremplin au format A5, revue contenant en moyenne six pages de BD. Aujourd’hui, Lawadan travaille avec une dizaine d’ONG de développement communautaire pour laquelle il signe illustrations et planches de BD.
Des talents visibles à l’étranger
Autodidacte, Patrick Kpatchama (né en 1981) s’initie au dessin en intégrant une formation d’arts plastiques au Centre culturel français de Lomé. De 2002 à 2006, il travaille en tant que dessinateur-caricaturiste pour l’agence de presse Golf Infos au Togo. Après son arrivée en France en 2007 avec le groupe de musique Wezepé dont il est membre, il suit une formation d’infographie à l’AFPA d’Issoudun et effectue son stage de professionnalisation au sein de l’agence de communication IDEPAC. Il fait également l’École des beaux-arts de Châteauroux, ce qui lui permet de réaliser des documents illustrés ainsi que des planches de BD colorisées à destination de différents prestataires. Il réalise une première BD pour la Ville de Tremblay-en-France (2010-2011) sous le nom de Patrick Kpema : Bus (sur un scénario de Laurent Ducastel). Une deuxième la suit, avec pour sujet l’histoire de la ville de Chateauroux : Châteauroux 1914-2014, l’histoire continue (sur un scénario d’Alexis Rousseau-Jouhennet), éditée par la Jeune chambre économique de la Ville.
Julien Batandéo (Julien Batandéo Kossi Bayela – né en 1979) quitte son pays d’origine en 2002 pour s’installer au Mali, pays où il démarre sa carrière à 23 ans. Cette même année, il fait son premier stage de bande dessinée à l’Institut français de Bamako. C’est au sein de cette structure que Julien Batandéo travaille en atelier avec un groupe de dessinateurs. Ceux-ci créent l’atelier BDB (Bande des dessinateurs de Bamako) qui devient par la suite l’association ESQUISSE puis le Centre de la bande dessinée de Bamako. L’association produit un fanzine nommé Ébullition qui comptera plusieurs numéros. En 2002 toujours, l’atelier BDB propose une exposition intitulée Mali, les cases de la bande dessinée, lors du Festival de BD d’Amiens (France) à l’occasion de laquelle Julien Batandéo effectue un séjour avec Massiré Tounkara et Papa Nambala. Batandéo. L’un d’entre eux donne lieu à un album de 28 pages, Tchecoroba, autoédité en 2004 et dont le tome 2 est également dans ses tiroirs. Tchecoroba présente une succession de gags en une planche, centrée sur la vie de famille et les difficultés d’un homme à rester fidèle à son épouse. Après d’autres expositions dans différents festivals en France, ces travaux sont exposés aux trois éditions du Salon international de BD de Bamako. Julien Batandéo a également illustré plusieurs manuels scolaires, des guides pédagogiques, des BD de sensibilisations comme Samba découvre le diabète (2009) et a aussi collaboré à Planète jeunes en dessinant dans le supplément 100 % Mali la rubrique Mon gars / Ma gô – Les aventures de Aya et Ali. Au Bénin, on peut citer le cas de Jo Palmer (Joseph Akligo). Celui-ci arrive à Cotonou au début des années 1990, après avoir démarré sa carrière de dessinateur dans des journaux tel Forum hebdo, Atopani expresss, Tribune des démocrates dès 1989 et avoir été primé lors du concours Calao. C’est au Bénin que sa carrière démarre réellement avec La biche, le supplément satirique de La gazette du Golfe ainsi qu’une collaboration régulière à des journaux comme La gazette du Golfe. En 1998, Jo Palmer publie pour les éditions Le flamboyant, l’album Soukrou ou les méfaits des sacs plastiques (qu’il avait présenté en 1994 au salon du Livre de Tombouctou organisé par Malira / Étonnant Voyageur). Puis, en 2004, une bande dessinée sur le trafic des enfants, publiée dans les journaux Le matinal et La nation. En 2010, il sort son premier album commercial dans son pays de résidence : Les extraterrestres Pygamous, chez Star éditions, dans la collection Prémices, dans le cadre projet européen de coopération (le Programme de Soutien aux initiatives culturelles décentralisées).
A l’étranger, Jo Palmer a publié plusieurs histoires courtes : « Avec toi » dans Boulevard Sida (1 996), « Quelque part dans la rue » dans Matite africane (2 001), « Amina ne sera pas excisée » dans A l’ombre du baobab (2002) et, surtout, « On a fumé Malrobo ! » dans Africa comics 2002. Cette histoire sera, par la suite, reprise en album par la maison d’édition italienne Lai momo et diffusée dans toute l’Europe. Jo Palmer a également participé au salon africain de la bande dessinée de Kinshasa en 2000 et animé – sur invitation en 2001, de l’Alliance française de Lagos – avec Hector Sonon, P’tit Luc, Le Bouc, et Xavier Laurental, des ateliers BD destinés aux jeunes, à Lagos et à Kano.
Adjé, jeune auteur encore non connu, membre de l’Afrique dessinée, va publier en avril de cette année une histoire courte de 8 planches (La malédiction du peintre en lettres, avec Christophe Ngalle Edimo) dans un collectif édité par L’harmattan BD : Nouvelles d’Afrique.
Enfin, Sam (Ndong-Ndze Paul Ymmelin – né en 1978) a commencé à faire ses armes dans l’association BD BOUM au Gabon. Au cours d’un séjour d’étude au Togo, il a intégré AGO en 2009 et dessiné dans Ago feuilleton, la série Sam et Sophie dont il est à l’origine sur un scénario de KanAd et Koffivi Assem. Il est retourné vivre au Gabon où il est gérant dans un magasin, mais continue de travailler avec AGO média.
Du fait de la volonté et du dynamisme de la poignée d’auteurs d’Ago média, et grâce à leur engagement, la bande dessinée Togolaise commence à émerger au niveau continental. Sans réelle vedette, avec des moyens finalement limités, ces auteurs font de plus en plus parler d’eux et utilisent tous les moyens possibles pour produire et se faire connaître dans un pays dont le dynamisme économique n’est pourtant pas particulièrement remarquable. D’autres pays d’Afrique francophone, où pourtant les talents abondent, pourraient sans nul doute s’inspirer de leur expérience.
Par Christophe Cassiau-Haurie - Source de l'article TogoCulture
(1) Un extrait de Haïti, mon amour avait reçu une mention du jury au prix Africa e mediterraneo 2009-2010 et avait été publié dans Africa comics 2009-2010.
(2) D’autres ateliers de créations de BD au bénéfice des membres d’Ago médias ont eu lieu en 2008 et 2009, avec Sophie Dieuaide, Florent Couao-Zotti et, déjà, Alain Brezault.
(3) Un festival de dessins et de bande dessinée est également né en 2011 : Mine de crayons. Il est organisé par l’association OR NOIR et présidé par Pape Koudjo. La bande dessinée y a tenu une place importante mais pas fondamentale.
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