mercredi 18 novembre 2015

Bruktawit Tigabu, mère de Tsehai, la girafe que les tout-petits Ethiopiens adorent

Bruktawit Tigabu et sa marionnette Tsehai.

Il y a près de dix ans, Bruktawit Tigabu a créé le premier dessin animé pédagogique éthiopien. Son objectif ? Apprendre aux tout-petits le b.a.-ba en matière de santé.

Depuis 6 heures ce matin, Bruktawit Tigabu a le bras levé. Devant un fond vert, elle fait mouvoir la chaussette jaune usée qui recouvre son bras. « Seme Tsehai » (Je m’appelle Soleil en amharique), lance-t-elle d’une voix enfantine en remuant la bouche de la marionnette Tsehai, la girafe institutrice préférée des tout-petits.

Depuis près de dix ans, l’Ethiopienne de 34 ans, institutrice de formation, prête sa voix à ce personnage qu’elle a inventé avec son mari américain Shane Etzenhouser, et qui est l’emblème de leur entreprise sociale Whiz Kids Workshop. Elle apprend aux enfants le b.a.-ba en matière de santé et les bons comportements à adopter dans la vie quotidienne.

« Des centaines de milliers d’enfants éthiopiens meurent encore avant leur cinquième anniversaire à cause de maladies qui peuvent être évitées comme les diarrhées chroniques, le paludisme, la malnutrition », déplore Bruktawit Tigabu.

Dans chaque épisode de huit à dix minutes, la girafe pose des questions sur l’hygiène, la sécurité routière, l’honnêteté, la tolérance… L’idée est de traiter de manière ludique des sujets graves. « Dans notre culture, nous sommes pudiques et évitons de questionner notre docteur, notre entourage, explique Bruktawit Tigabu. Mais Tsehai est une curieuse. Dans son monde, cela permet d’avancer et d’apprendre. »
Cinq millions de téléspectateurs
Lorsqu’elle était institutrice à Addis Abeba, Bruktawit Tigabu a été frappée par les lacunes de ses élèves. « L’école maternelle n’est pas gratuite en Ethiopie, explique-t-elle. Si les parents souhaitent préparer leurs enfants à la lecture et à l’écriture, ils doivent les inscrire dans des crèches ou des écoles privées. »

Chaque semaine, ils sont jusqu’à 5 millions de téléspectateurs à suivre « Tsehai adore apprendre » en amharique sur la chaîne nationale. Le programme a été traduit en plusieurs langues éthiopiennes et décliné en une émission de radio qui touche 25 millions d’auditeurs. Et pour atteindre les communautés qui ne disposent pas de poste de télévision, l’équipe de Bruktawit Tigabu se déplace avec son matériel dans les villages, les centres de santé, avec parfois un générateur compte tenu des coupures fréquentes d’électricité.

L’Agence des Etats-Unis pour le développement international (USAID) a récemment confié à Whiz Kids Workshop une enveloppe d’1,2 million de dollars sur trois ans pour produire une trentaine d’épisodes supplémentaires des aventures de la girafe. 

Deux autres programmes pour adolescents

Le succès télévisé de Tsehai a convaincu Bruktawit Tigabu de produire deux autres émissions pour un public adolescent grâce à l’appui financier d’ONG comme Save The Children. « Les jeunes ne sont pas pris au sérieux dans notre pays, regrette-t-elle. Pourtant, ils représentent la nouvelle génération de décideurs. » Dans le programme « Involve me », des adolescents aux parcours difficiles racontent leurs épreuves – subir un viol ou un mariage forcé, être orphelin de parents malades du sida… – face caméra. Leur histoire est ensuite diffusée à la télévision. Un exutoire « qui leur permet d’aller de l’avant ».

« Les médias sont de formidables outils pédagogiques qui permettent de toucher un large public mais ils ne doivent pas pour autant remplacer les livres qui sont essentiels dans l’apprentissage de l’enfant », tempère l’ancienne institutrice qui s’est lancée dans l’édition d’ouvrages et de cartes de support visuel disponibles en plusieurs langues éthiopiennes, avec l’aide de spécialistes de la lecture et de l’écriture.

La créatrice de Tsehai veut mettre en place des bibliothèques avec ce matériel dans les écoles publiques d’Addis Abeba et d’autres villes plus reculées d’Ethiopie. Pour l’instant, une vingtaine d’établissements tentent l’expérience pour des classes de CE1 sur les 300 écoles de la capitale, grâce au soutien financier de donateurs du monde entier qui ont participé à une campagne de crowdfunding.

De nombreuses récompenses

A terme, Bruktawit Tigabu voudrait que Tsehai soit inscrit au programme du ministère de l’éducation. En attendant, son équipe forme des professeurs des écoles et aimerait créer des centres éducatifs dans chaque grappe d’immeubles « où les enfants ne savent pas quoi faire ».

Les nombreuses récompenses remportées pour le programme « Tsehai adore apprendre » – dont le prestigieux Rolex Awards for Enterprise en 2010 – ont permis à Bruktawit Tigabu de financer son projet et de découvrir les méthodes de travail d’autres producteurs de programmes pour enfants, comme le créateur de la série britannique « Télétubbies ». Désormais, une vingtaine d’employés travaillent à ses côtés, notamment sur une application d’éducation interactive pour mobile.

Dans son studio fait de bric et de broc, les spots de lumières sont accrochés avec du scotch, la chaleur est écrasante et l’insonorisation est permise grâce à un matelas posé contre la porte. « Nous avons commencé avec les moyens du bord. Pourquoi aurions-nous besoin de plus ? L’essentiel est que tout cela ait du sens pour les jeunes Ethiopiens », affirme cette mère de deux enfants, « trois si l’on compte Tsehai… »

Par Emeline Wuilbercq - Source de l'article Le Monde

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