En CM2, Noh Blaghen découvre le manga. En ce début des années 2000, ils sont rares au en Afrique de l’Ouest. Jeune Nigérien d'à peine 10 ans, il habite alors au Bénin, où les mangas sont rarissimes. Des parents d’un de ses amis, voyageant en France et en Belgique, reviennent à la maison les bras chargés de BD, qu’il dévore avec ses copains. Il a à peine 10 ans, et les parents d’un de ses amis, voyageant en France et en Belgique, reviennent à la maison les bras chargés de BD, qu’il dévore avec ses copains.
Couverture du magazine Afro Shonen, première revue dédiée au manga au Cameroun, lancée en décembre 2014. |
En 5e, il dessine sa première histoire. Elle se passe au Japon. « Mais vite, j’ai voulu raconter des histoires africaines. » Ça n’est pas facile : « Il faut sans cesse innover. Dans le manga, il y a très peu de noirs. J’ai dû inventer un style pour dessiner les corps, la peau, les cheveux crépus, les lèvres… Un style africain ! »
Mais les débuts sont difficiles. « Mes parents étaient contre, il y avait du mépris, de l’incompréhension. À cause du temps passé à dessiner, mes notes ont commencé à chuter. Ma mère m’a menacé de brûler mes dessins. J’ai dû m’exercer en cachette ».
Finalement, Noh n’a pas redoublé. Il a étudié l’informatique. Mais il n’a pas arrêté le dessin et trace aujourd’hui les derniers traits de son nouvel album : une histoire africaine, celle d’un jeune garçon de 13 ans, qui veut devenir footballeur, contre l’avis de son père. Noh a trouvé le titre : « Rêve de football africain ».
« Le manga n’appartient pas qu’au Japon ! Il appartient aussi à l’Afrique ! ». Brice Ludovic Bindzi n’a aucun doute. Il croit au potentiel de la BD japonaise sur son continent. À 28 ans, autodidacte en art, passé par des études d’ingénieur, il s’invente aujourd’hui patron de presse. En décembre, il a lancé Afro Shonen : la toute première revue dédiée au manga au Cameroun.
Car oui, le manga africain, « mangafrica », fait ses premiers pas. Pour trouver sa trace, il faut emprunter les chemins de la francophonie. « La BD japonaise est arrivée en Afrique de l’ouest par la télévision dans les années 1990 avec les chaînes Mangas et Cartoon Network, qu’on pouvait capter en français », se souvient Brice Ludovic Bindzi.
Dynamisme du Maghreb
La zone la plus dynamique reste le Maghreb. Le premier Manga Café algérois a ouvert ses portes en juin. Depuis 2008, les DZ mangas, « 100 % algériens », (DZ, comme le nom de domaine de l’Algérie sur Internet), publiés par la maison d’édition Z-Link, sont traduits en français, en arabe dialectal et bientôt en berbère.
Le 8 février s’ouvre à Casablanca le Manga Afternoon, autoproclamé « plus grand rassemblement d’amoureux de mangas, de japanimations, de cosplay et de karaoké au Maroc ». 4 500 fans sont attendus.
Des fans, il y en a partout, en Angola, en Afrique du Sud, sur Facebook ou Youtube. Des artistes émergent même, parfois dans les pays anglophones, comme au Kenya, profitant là-bas du centre culturel de l’ambassade japonaise.
L’imaginaire est africain. Au Congo, des mangas animés racontent la violence du pays. Un personnage manga féminin, Ebola-Chan, cheveux roses et tête de mort à la main, allégorie un peu malsaine d’Ebola, fait même aujourd’hui une apparition controversée en ligne. Pour Noh Blaghen, « il y a des thèmes d’ici qui pourraient très bien être adaptés, comme le vaudou. Dans les mangas, il y a de la magie, avec des êtres extraordinaires. Le vaudou, c’est ça aussi ! ».
Mais la diffusion reste compliquée. Afro Shonen (120 pages pour 1 000 francs CFA, soit 1,5 euro) n’a été tiré qu’à mille exemplaires, livré au porte à porte, dans Yaoundé et les localités avoisinantes. « Ça reste un test », admet le rédacteur en chef.
Le manga, outil de promotion du multiculturalisme ?
Le manga a longtemps eu mauvaise presse. Des personnages des années 1990, comme Mr. Popo, dans Dragon Ball Z, ou Jynx, le Pokémon numéro #54, ont même été qualifiés d’« insulte » et de « stéréotypes racistes » par l’auteure afro-américaine de livres pour enfants Carole Boston Weatherford.
La méfiance est restée. Le style, les thèmes japonais, la blancheur des visages, les yeux bridés, les robots, les arts martiaux : tout est trop étranger, trop différent, et rejeté par les rares maisons d’édition et festivals. Mais les choses bougent. Depuis le Canada, l’École de Manga Japonais de Montréal se bat aujourd’hui pour l’avènement du manga en Afrique, avec l’opération « Manga Africa ».
Depuis décembre 2014, la petite association bretonne Madig, aidée par l’École, a acheminé 180 mangas - en français - jusqu’à Aplahoué au Bénin, pour aider à l’alphabétisation des zones rurales. « Elles accrochent vraiment ! », s’enthousiasme Delphine Logiou-Nicolas, présidente de l’association. « Le sens de lecture de droite à gauche ne pose aucun problème. Elles sont intriguées par le monde japonais ! »
L’École diffuse aussi des cours de mangas en ligne, accessibles par tous, et promeut sur son site de jeunes mangakas, dont Noh Blaghen. À Afro Shonen, le manga devient même politique. En couverture, on trouve trois jeunes, deux noirs, et une blanche, et à l’intérieur, une histoire d’amour interculturelle, « Lovely Secret ». « Beaucoup de gens se sont indignés de voir une femme blanche mise en avant », regrette Brice Ludovic Bindzi. « Nous, au contraire, nous voulons faire évoluer les mentalités, promouvoir le multiculturalisme. » Le manga, comme pied de biche, pour ouvrir l’Afrique sur le monde.
Par Bruno Meyerfeld - Source de l'article Le Monde
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