Les productions européennes, américaines et japonaises de la narration dessinée sont connues, mais la bande dessinée arabe reste peu mise en avant. La faute à une discrimination médiatique persistante, mais aussi aux différents régimes politiques qui ont eu à cœur de censurer ou de contrôler l'industrie locale. Aujourd'hui, les auteurs se battent pour apparaître un peu plus.
Couverture de Samandal n°2, magazine libanais de bande dessinée
« La bande dessinée du Moyen-Orient s'est développée par vagues, il n'y a pas d'histoire continue », remarque Fadi Baki, auteur de bande dessinée à l'origine du magazine Samandal, créé en 2011. De fait, les années 60 ont marqué une importation massive de productions étrangères, traduites, qui ont étouffé une partie de la production locale, au Moyen-Orient.
Quand une production locale pouvait se développer, souligne Lina Ghaibeh, auteure libanaise, les seuls financements provenaient de l'État ou de groupes religieux chrétiens ou musulmans, créant des titres à vocation politique ou prosélyte... Difficile de laisser la créativité se faufiler. « L'idée d'un nationalisme arabe a affecté tous les aspects de la bande dessinée », explique l'auteure.
La bande dessinée a rapidement connu un succès populaire conséquent, au milieu du XXe siècle, et de nombreux régimes se sont donc emparés de ce support d'expression. « En Syrie, le régime est allé jusqu'à interdire toutes les bandes dessinées, à l'exception de la sienne, Osama », précise Lina Ghaibeh. Le Liban est devenu une terre un peu plus accueillante, pour les auteurs qui souhaitaient publier sans se soumettre aux diktats des différentes dictatures.
D'autant plus que la production est variée, selon les pays du Moyen-Orient : on reconnaît des influences russes en Syrie, plus françaises au Liban et en Algérie, forcément.
Avec l'ouverture vers d'autres horizons, à laquelle Internet n'est pas étranger, les magazines gérés par les États ont peu à peu perdu en popularité, laissant à l'audience l'opportunité de se tourner vers des productions indépendantes comme Samandal.
Le magazine doit tout de mettre se méfier de la censure, explique malgré tout Fadi Baki, au risque de s'autocensurer. Les auteurs évitent ainsi les dessins trop osés, ou les attaques frontales de la religion. Internet aura en tout cas permis aux auteurs arabes de « devenir visibles », surtout entre eux, et de former des alliances pour résister à la pression politique ou mettre en avant leurs productions.
De l'autre côté de l'Atlantique, l'auteur Naif Al-Mutawa est connu pour avoir créé The 99, une équipe de super-héros musulmans qui rassemblent avec leurs pouvoirs les 99 attributs d'Allah. Les héros, qui fêtent leur 10 ans, avaient même rejoint les justiciers de DC Comics à l'occasion d'un cross-over événement. Malheureusement, l'auteur a pu constater que les États-Unis avaient encore du mal avec les références culturelles arabes.
Ainsi, le projet d'un film consacré aux 99, produit par Endemol et scénarisé par les auteurs de X-Men et Star Wars, a été mis de côté, à Hollywood, par des chrétiens radicalement de droite, qui craignaient eux-mêmes une « radicalisation » d'une partie de la population américaine. « J'ai une fatwa de Fox News » s'était amèrement amusé Naif Al-Mutawa.
Toute l'ironie, c'est que Naif Al-Mutawa avait commencé sa série suite aux événements du 11 septembre et à l'affaire des caricatures au Danemark, pour mettre en avant une autre approche du monde arabe dans la bande dessinée. La route est encore longue...
Par Antoine Oury - Source de l'article Actualitte
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