samedi 14 mars 2015

Un dessin animé philosophique

Film d’animation, Le Prophète, d’après le recueil éponyme de Gibran, a été projeté en première arabe à Doha, au Qatar. Les débats autour de sa projection au Moyen-Orient en ont fait l’événement cinématographique de cette fin d’année 2014. 

Gibran

Gibran continue à susciter la polémique 80 ans après sa mort
« Vos enfants ne sont pas les vôtres. Ils sont les fils et les filles de la vie qui a toujours envie d’elle-même, ils viennent au monde grâce à vous, mais pas de vous. Bien qu’ils vivent avec vous, ils ne vous appartiennent pas ». Cet extrait du recueil légendaire du poète libanais Gibran Khalil Gibran,Le Prophète, n’est pas sans refléter l’es­sence philosophique de cette oeuvre, publiée en 1923 et regroupant 26 textes poétiques, traduits en 40 lan­gues.

Captivant, le recueil a toujours séduit et soulevé tant de débats. Cela s’est même produit, il y a quelques jours, lors de la projection d’un film d’animation, basé sur l’oeuvre épo­nyme de Gibran, au Festival cinéma­tographique Ajial à Doha.

Découpé en plusieurs parties et réalisé par plusieurs personnes, le film regroupe plusieurs cinéastes de renom. Il est produit par la star mexi­caine Salma Hayek, écrit et réalisé par Roger Allers, père de plusieurs succès d’animation, dont Le Roi Lion, Aladdin, La Belle et la Bête ... Puis, chaque segment du film est dirigé par des réalisateurs de films animés tels que Tomm Moore, Joan Gratz, Marjane Satrapi, Bill Plympton, Nina Paley, Joann Sfar, Paul et Gaetan Brizzi, Michal Socha et l’Emirati Mohamad Harib.

The ProphetDepuis l’annonce de l’exécution et du montage de ce projet lors d’une « work-in-progress » projection durant le dernier Festival de Cannes, ce film a fait couler beaucoup d’encre. Nombre d’intellectuels voient en cette nouvelle expé­rience — selon les déclarations du scénariste et réalisateur Roger Allers à Cannes — « une fenêtre destinée aux enfants, donnant sur beaucoup de philosophies et d’idées sages en provenance de l’Orient, mais qui garde un caractère universel ». Et d’autres plus conservateurs viennent de tirer la sonnette d’alarme sur le fait de présenter de telles visions philosophiques profondes au goût religieux à un public jeune.

Pour sa part, Salma Hayek n’a cessé depuis des mois de défendre son film, précisant que c’est un pro­jet artistique et audacieux qui n’a rien de commercial.

« J’ai décidé de présenter ce texte assez sophistiqué dans un cadre d’animation, parce que je voulais qu’on découvre la philosophie de ce livre avec un regard enfantin », a-t-elle souligné dans la presse, à la suite de la première arabe du film à Doha.

Soulever des questions

Le fond de cette oeuvre reste le sujet essentiel du débat. Conçu comme un guide spirituel loin de certaines doctrines, Le Prophète de Gibran ressemble à un appel à la sagesse et à la spiritualité. A partir d’un style extrêmement poétique, imagé et bref, le défi de ce film d’animation était donc d’équivaloir à une oeuvre culte qui raconte l’his­toire d’un prophète fictif. Les événe­ments ont lieu sur l’île imaginaire d’Orphalese, où Almitra, une petite fille de 8 ans, fait la connaissance d’Al-Moustafa— qui signifie en arabe « l’élu de Dieu » — prisonnier politique convoqué à résidence. Mais le jour de leur rencontre, les responsables apprennent à Al-Moustafa qu’il est enfin libéré. Les soldats le conduisent aussitôt à un bateau qui doit le ramener dans son pays. En chemin, Al-Moustafa fait part de sa conception de l’exis­tence et de ses poèmes à la popula­tion d’Orphalese, tandis qu’Almitra le suit en secret. A chaque station du parcours, elle imagine de beaux pay­sages illustrant ses propos.
The Prophet : Photo

« Ce que j’aime le plus dans le texte de Gibran, c’est que ce n’est absolument pas un livre religieux, mais il prouve que l’on peut trouver la foi au plus profond de nous-mêmes », a déclaré Salma Hayek dans la presse arabe, ajoutant : « Souvent, le plus important n’est pas la réponse, mais se poser de bonnes questions. Voilà ce à quoi je suis attachée, c’est également ma lettre d’amour à la part libanaise de mon coeur ».

L’amour, le mariage, les enfants, la joie et le chagrin, le crime et son châtiment, la liberté, l’amitié, le bien et le mal, la prière, la religion et la mort sont successivement abordés par ce prophète, parmi bien d’autres sujets. Il répond poétiquement à toutes les grandes préoccupations humaines, alors que ses réponses viennent montrer le côté spirituel de Gibran.
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« Quand l’amour vous fait signe, suivez-le. Bien que ses voies soient dures et rudes. Et quand ses ailes vous enveloppent, cédez-lui. Bien que la lame cachée parmi ses plumes puisse vous blesser. Et quand il vous parle, croyez en lui. Bien que sa voix puisse briser vos rêves comme le vent du nord dévaste vos jardins », c’est ainsi qu’il répond — à titre d’exemple — à une question concernant l’amour. Un langage que d’aucuns jugent « alambiqué » pour un public d’en­fants, notamment en Orient. Certains ont commencé déjà à affû­ter leurs armes, s’apprêtant à livrer bataille. Les doutes planent autour des motifs de ces cinéastes occiden­taux qui ont adapté les idées du recueil à portée spirituelle. Cependant, le débat n’est pas encore tranché. En Egypte, les instances religieuses ne se sont pas pronon­cées, ni leurs homologues de la censure. Mais les discussions vont bon train, 83 ans après la mort de Gibran .

Par Yasser Moheb - Source de l'article Hebdo Ahram


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