mercredi 7 octobre 2015

BD : « La dame de Damas », l’amour au temps de la mort blanche

Auteur de nombreux essais, le chercheur Jean-Pierre Filiu a choisi le neuvième art pour partager sa connaissance du monde arabo-musulman. Et signe un album fort sur l'enfer syrien.


C’est une histoire qui prend aux tripes. Une histoire qui serre le cœur. Une histoire dure et forte du temps présent et de ses pires horreurs. Pour raconter La Dame de Damas, le dessinateur Cyrille Pomès et l’historien Jean-Pierre Filiu ont allié leurs talents. Fin connaisseur du monde arabo-musulman, sur lequel il a écrit de nombreux ouvrages (Je vous écris d’Alep,Les Neuf Vies d’Al-Qaïda, Le Nouveau Moyen-Orient, etc.), Filiu a nourri de son savoir universitaire un récit ambitieux et incarné sur les débuts de la révolution syrienne.

Pomès, lui, a apporté son dessin vif et dynamique, ainsi qu’une maîtrise exceptionnelle des tons sépia, afin de restituer l’ambiance de Daraya, un quartier de la banlieue sud-ouest de Damas. Avant d’être l’histoire dramatique de toute la Syrie, La Dame de Damas est avant tout celle, tragique, d’une famille parmi d’autres prise dans les rets du destin. Il y a la mère, Oum Abdallah, au fond de sa boutique, il y a le fantôme du père mort au Liban, il y a Karim le fils étudiant en médecine, il y a Abdallah le fils militaire, il y a Mona la fille étudiante en secrétariat… Et puis il y a aussi la belle Fatima, le brutal Bassel et bien d’autres habitants de ce quartier où la révolte gronde contre le régime autoritaire de Bachar al-Assad.

« Ce ne sont pas des lions / Ce ne sont que des chiens / Aboyeurs enragés / Ivres de leur venin / La Syrie leur est due / Et nous sommes leurs serfs / Un pays aux Assad / Et pour nous la misère », écrit Jean-Pierre Filiu dans le poème qui ouvre cette bande dessinée. Bientôt, la révolte devient révolution, la guerre civile emporte les résolutions les plus pacifiques et l’enfer s’abat sur la banlieue, la ville, tout le pays.

Avec humanité, les deux auteurs racontent les revirements du destin, l’évolution des personnages et de leurs sentiments au gré des soubresauts de l’histoire politique contemporaine. D’abord simplement prenante, la lecture devient peu à peu douloureuse, tant les auteurs parviennent à restituer la souffrance d’un pays tout entier. Difficile, quand s’annonce l’épilogue, de ne pas céder aux larmes. Parce que, comme pour Majnoun et Leïla, l’amour qui lie Karim et Fatima est sans espoir dans cette Syrie de bourreaux sanguinaires où les gaz répandent leur mort blanche.

>> La dame de Damas, de Jean-Pierre Filiu et cyrille Pomès, éd. Futuropolis, 108 pages, 18 euros.

Par Nicolas Michel - Source de l'article Jeune Afrique

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