Après une licence en illustration et une autre en animation, Ely Dagher a décroché un Master en Art Contemporain et Nouveaux Médias à Londres. C’est en travaillant notamment à la création de publicités qu’il s’est exercé aux pratiques de l’animation et de la réalisation.
Voyage singulier dans la réalité de Beyrouth et dans le fantasme d’une ville devenue étrangère au realisateur, WAVES ’98 entrecroise les époques (1998 et « aujourd’hui »), au fil du parcours d’un adolescent et de la mélancolie d’adultes, et s’envole vers l’onirisme. Croisant fiction et réalité documentaire, Ely Dagher propose un poème visuel d’une subjuguante sensibilité.
Quelle a été l’origine du projet ? - Quand j’ai déménagé à Bruxelles, j’ai fait des aller-retours entre Bruxelles et Beyrouth et j’ai voulu exploré ma relation avec Beyrouth, en m’en détachant un peu. Au Liban, dans les années 1990, juste après la guerre civile, il y a eu une période positive. On reconstruisait le pays et tout le monde était optimiste. Alors qu’aujourd’hui, quand on regarde tout ce qui se passe autour, c’est un peu négatif. Mes parents, qui ont vécus et ont travaillé durant la guerre, disent que c’est maintenant la pire période. Je voulais prendre ces deux axes narratifs – un regard des années 1990 et un point de vue contemporain – pour les mettre en parallèle et faire des intersections entre eux à différents moments.
Le titre renvoie à cette vague d’espoir ? - Oui mais il s’agit aussi de la répétition historique : leur caractère intemporel et incessant. Le mouvement des vagues ne se termine jamais. Mais les vagues en tant que telles sont aussi importantes dans le film, elles sont une échappée par rapport à la ville très dense et très brutale. Le titre vient plutôt de là.
Le film s’envole vers l’onirisme. Pourquoi ? - Cela me permettait de représenter la bulle sociale dans laquelle on vit au Liban. On vit tous dans des bulles assez déconnectées de la réalité et de ce qui se passe autour. On n’a pas d’autre choix. La vie au Liban reste très difficile dès lors, quand tu y vas, tu es dans quelque chose qui est très différent par rapport à ce qui se passe autour ; tu zappes les problèmes politiques et économiques pour parvenir à vivre tranquillement. Il m’était impossible de rentrer dans cette vie-là quand j’allais au Liban. C’est un peu de là qu’est venu le film. Je voulais mettre cela en place avec quelque chose de magique et de précieux, doré et un peu géométrique comme des pierres précieuses, qui soit en même temps très imposant et fort.
Le film est réalisé en animation mais comporte également des photographies et des images réelles et documentaires. Pourquoi ce mélange de sources et de techniques ? - Le film venant d’un endroit personnel et réel, il me semblait important de le représenter. Mélanger l’animation et le documentaire amenait un côté plus abstrait. En 3D avec des personnages en captation réelle ça aurait fait un effet science-fiction qui ne serait pas du tout abstrait. S’ils ont des noms, les protagonistes du film ne sont que des personnages. On ne connait pas leur histoire, ils représentent plutôt un ensemble d’habitants de Beyrouth, d’une certaine génération.
Qu’est qui a guidé la représentation plurielle de la ville ? - C’est toujours un collage de dessins et de photographies. Je voulais représenter l’aspect brutal de la ville avec, en même temps, une touche surréaliste.
WAVES ’98 présente un caractère séquencé avec des passages au noir d’autant plus marqués que l’on est dans l’animation. - Je voyais le film comme une succession d’émotion et de narration qu’il me semblait important de séparer et d’en faire des chapitres. Je voulais aussi que le film soit lent par moments mais aussi assez brutal et violent. Les moments de noir aident à couper (…) Aussi bien le cadrage que le montage appartiennent plus au langage de la fiction que de l’animation. Mes influences ne viennent pas de l’animation ou du dessin. J’utilise simplement ces médiums dans mon travail.
Dans ce cas, pourquoi l’animation ? - J’ai toujours aimé dessiner. Pourquoi ne pas employer toutes les techniques que l’on peut utiliser ? Je n’ai pas fait que de l’animation. Tout dépend du projet. C’est en fonction de lui que je développe l’aspect visuel. Si j’écris un projet qui fonctionnerait mieux en prise de vues réelles, j’emprunterai cette voix. Dans le cas de WAVES’98, j’avais écrit le scénario avant de décider de la technique de réalisation. C’est en développant l’aspect visuel que j’ai eu l’idée de mélanger les techniques – outre le documentaire, l’aspect abstrait des personnages en animation.
Combien de temps de travail a été nécessaire à la réalisation de WAVES ’98 ? - Deux ans, c’est assez long. Je n’avais pas un budget très grand, du coup j’ai du faire la plupart des animations moi-même. Durant 18 mois j’ai travaillé tout seul, du lundi au dimanche, de jour comme de nuit. (…) Je n’ai pas vraiment un parcours classique et du coup je n’ai pas trop d’expérience avec l’univers de la production. Du coup je me suis produit moi-même. J’ai obtenu des fonds au Liban et je me suis lancé dans le projet. Le Qatar est intervenu financièrement pour la post-production.
Source de l'article Un grand moment
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