lundi 6 novembre 2017

«Commissaire Kouamé»: Marguerite Abouet invente le polar africain saignant

Résultat de recherche d'images pour "«Commissaire Kouamé»: Marguerite Abouet"
Comparée à sa série à succès « Aya de Yopougon », la nouvelle BD de l'Ivoirienne Marguerite Abouet s’adresse à un public franchement plus adulte…

Extrait du premier volume des aventures du commissaire Kouamé — © Marguerite Abouet, Donatien Mary et Gallimard BD 2017

Après l’inattendu mais très mérité succès de sa série BD Aya de Yopougon - dont les 6 tomes déjà parus se sont vendus à plus de 600.000 exemplaires et qui a été déclinée en film d’animation en 2013 -, Abidjan est à nouveau le cadre de Commissaire Kouamé, dernier projet de l’Ivoirienne Marguerite Abouet. Mais si Aya s’épanouissait dans la paisible Côte d’Ivoire de la fin des années 1970, le commissaire Marius Kouamé opère dans un pays moins souriant.

Un virage scénaristique que les éditions Gallimard BD et 20 Minutes ont le plaisir de vous faire découvrir en avant-première.

Une lecture déroutante

Pas de doute, la nouvelle série de Marguerite Abouet est un polar pur jus, d’où transpire - même si le ton général reste badin - violence et âpreté. C’est assez surprenant quand on connaît les univers jusqu’ici créés par la scénariste abidjanaise : Aya de Yopougon(dessiné par Clément Oubrerie) décrit le quotidien - relativement « tranquille » - d’une jeune ivoirienne en 1978 ; Même chose pour Bienvenue, illustrée par Singeon, sauf que la jeune héroïne est issue de la banlieue parisienne tandis qu’Akissi, mis en images parMathieu Sapin, est une série jeunesse mettant en scène une petite ivoirienne débrouillarde…

Résultat de recherche d'images pour "«Commissaire Kouamé»: Marguerite Abouet"

Pour Marguerite Abouet, la violence est pourtant le seul élément qui distingue cette série des précédentes. « Ce qui m’intéresse en tant qu’auteure, confie-t-elle à 20Minutes, c’est de créer des personnages et de trouver les motivations qui les pousseront à agir de telle ou telle manière. Mon processus d’écriture repose donc en grande partie sur le portrait : j’aime dépeindre des personnages, cerner leur psychologie, les accompagner à travers leur histoire et mon imaginaire s’alimente sans cesse des rencontres que je fais chaque jour. »

Résultat de recherche d'images pour "«Commissaire Kouamé»: Marguerite Abouet"
Le Commissaire Kouamé fait partie de ces rencontres : il a suffi d’un documentaire sur un commissaire ivoirien « aux méthodes assez… spéciales », puis d’une visite dans un commissariat de police à Abidjan pour que l’imaginaire de Marguerite Abouet, « qui aime prendre des risques », décide de « s’aventurer dans un polar ».


Abidjan sans fards

La première enquête du commissaire Kouamé détonne, au moins formellement, dans l’œuvre de Marguerite Abouet. Quoique… Si cette dernière sort de sa « zone de confort », elle fait évoluer en terrain connu, c’est-à-dire à Abidjan, son nouvel « héros » - un flic aux méthodes très très limites puisqu’il n’hésite pas à faire torturer des suspects par Arsène, son fidèle adjoint. 
Sauf que l’Abidjan de Kouamé n’est évidemment plus celui, un peu aseptisé, d’Aya ou Akissi, mais une mégapole bruissante, grouillante, qu’on découvre, par l’intermédiaire de camés, de trafiquants en tous genres, de prostituées et de flics véreux, sous son jour le plus glauque.



Bien sûr, toutes ces aspérités sont plus ou moins lissées par un humour omniprésent : on se croit parfois, à la faveur d’une course-poursuite ou d’un interrogatoire, dans un Fantomas (où le commissaire Kouamé tiendrait le rôle de Juve, jadis interprété par Louis de Funès). Pourtant, si des situations tout à fait rocambolesques ou si des personnages très caricaturaux font sourire, une impression générale de malaise demeure. Parce que le récit s’avère violent, très violent : certaines séquences sont même carrément gores.



« C’est vrai, concède Marguerite Abouet, mais mes personnages sont comme tous les autres êtres humains du monde, il y a des bons, des mauvais, des naïfs, des malins, des tordus etc. » Avec Aya de Yopougon, elle avait déjà voulu « combattre une certaine façon de parler négativement de l’Afrique, en mettant en avant des personnages plutôt positifs, avec plein de défauts parfois, mais joyeux et actifs » ; des personnages auxquels on peut s’identifier. Avec Bienvenue, une héroine blanche vivant à Paris, elle racontait « une France rêvée et réelle, celle d’aujourd’hui et ses contradictions ». Et cette fois encore…

« Je raconte aussi bien les Africains que les Français, reprend-elle. J’ai une identité multiple, une double patrie culturelle. Cela me donne la capacité d’aller au plus profond de chaque culture, d’en découvrir ce qui fait sa séduction, sa poésie, ses énigmes… et aussi parfois ses failles. »


Le « côté sombre » de la farce

En tout cas, ne comptez pas sur les dessins - faussement naïfs - de Donatien Mary pour atténuer le « côté sombre » de la farce ! Serait-ce d’ailleurs souhaitable ? Pas sûr, car en proposant une série plus dérangeante, donc en s’adressant à un public plus adulte, Marguerite Abouet montre qu’elle refuse de se laisser « enfermer » par le succès de ses titres précédents. Et en mettant un peu d’acide dans le sucre de son œuvre, elle prouve qu’elle a atteint, en tant qu’auteure, une vraie maturité.

Commissaire Kouamé tome 1 « Un si joli jardin », de Marguerite Abouet & Donatien Mary - éditions Gallimard BD - 20 euros

Par Olivier Minram - Source de l'article 20 Minutes

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire