Olivier Madiba, PDG de Kiro'o Games, est le créateur du premier jeu vidéo 100% camerounais (capture d'écran). youtube.com |
Manettes en main, ils sont des milliers à participer ce week-end au premier FEJA, le Festival de l'électronique et des jeux vidéos d'Abidjan. La semaine prochaine, c'est la capitale togolaise, Lomé, qui organise le Lomé Games Festival.
Le jeu vidéo devient de plus en plus populaire sur le continent. Au-delà des traditionnelles consoles, c'est le jeu en itinérance, sur les téléphones mobiles, qui attire un nombre croissant de joueurs. C'est aujourd'hui un secteur prometteur et pourvoyeur d'emplois. Olivier Madiba, PDG de Kiro'o Games, studio qui a créé l'an dernier le premier jeu vidéo 100% camerounais, est notre invité.
Rfi : Olivier Madiba, il y a deux grands rendez-vous en Afrique de l’Ouest pour les amateurs de jeux vidéo dans les jours à venir, ce week-end à Abidjan et la semaine prochaine à Lomé. Est-ce qu’on peut dire que le jeu vidéo a passé un cap sur le continent africain ?
Olivier Madiba : Oui, définitivement. Non seulement en termes de production, vu qu’il y a des studios comme le nôtre mais aussi beaucoup de studios au Nigeria, en Afrique du Sud, qui émergent, mais aussi en termes de consommation: il y a une communauté qui s’affiche un peu plus et trouve ses marques.
Quelles sont les nouvelles pratiques qui se développent chez les joueurs de jeux vidéo sur le continent ?
Déjà, il y a un peu de e-sport, et le mobile entre beaucoup dans les habitudes, notamment dans les familles où les jeunes enfants jouent beaucoup sur le téléphone des parents, vu la pénétration des smartphones. J’observe que c’est un peu comme quand le football venait de commencer sur le continent : c’était quelque chose que les jeunes faisaient et que les parents observaient un peu curieux. A un moment, (cette) génération de gamins (est devenue) des adultes. Cela devient un phénomène social, culturel, accepté. Le jeu vidéo en Afrique est dans cette mutation-là. Et sur dix - vingt ans, ça va être très intéressant de voir ce qu’il devient.
Cette grande pénétration des smartphones offre donc un grand potentiel pour les studios de jeux vidéo ?
C’est le marché le plus prometteur, même si la grande équation, c’est la monétisation. Parce qu’on n’est pas dans une société de consommation excessive aussi on n’a pas la grosse industrie des publicités qui font que votre audience peut être vite rentabilisée. Il y a une grosse difficulté à coupler la création de son jeu avec un modèle (économique) rentable sur les smartphones. Mais le potentiel est réel parce que si on prend le cas du Cameroun, 40 % de la population a moins de 14 ans. Il y a une équation du genre: entre la poule et l'oeuf, qui vient en premier ? C’est la grande équation africaine de notre décennie.
Est-ce que la création arrive à suivre et à répondre à cette demande ?
Non. Parce que, encore une fois, la plupart des créateurs sont vraiment bloqués par le financement. Il y a une qualité que vous ne pouvez pas atteindre quand vous vous demandez comment vous allez payer votre loyer dans deux jours. C’est impossible. Il y a beaucoup de jeunes qui veulent créer, mais aucune banque ne finance le jeu vidéo ici, comparé à l’Occident, par exemple, où certaines banques ne font que ça. C’est en train d’émerger, mais il n’y a pas encore de fonds, de capital risque, de mécènes qui croient en cela. Donc c’est sûrement le plus grand frein. Mais le potentiel est là.
Et qu’en est-il des consoles de salon ? Est-ce qu’elles trouvent preneurs, est-ce qu’elles sont encore trop chères pour les joueurs de jeux vidéo sur le continent ?
Oui et non. Il y a une forme de classe moyenne, au sens occidental du terme, qui se met en place et (dispose) de consoles maintenant, mais il n’y a pas de vraies statistiques mais je ne crois pas que ce soit une masse critique... Par contre, il y a une classe moyenne de type africain: des gens qui ont des rentrées journalières et sur laquelle il faut bâtir un modèle pour vendre des consoles. Il y a quelque chose à faire, mais ce ne sera pas exactement comme on le connaît ailleurs. Les consoles Nintendo ou Sony pour l’instant ne passeront pas ou du moins auront toujours une génération de retard.
Et est-ce que l’e-sport séduit aussi les joueurs africains ? L’e-sport – on peut peut-être le définir – c’est une pratique du jeu vidéo à un niveau de performance élevé, voire semi-professionnel ?
La forme professionnelle et semi-professionnelle séduit les «hardcore gamers» - oui - mais il y a une autre forme de e-sport qui est assez intéressante, c’est celle qui par exemple se passe sur Clash of Clans. C’est-à-dire que ce n’est pas de la compétition de type sportif ou compétitif mais c’est des gens lambda qui s’affrontent sur leur smartphone à distance. Et cela peut avoir du potentiel en Afrique.
Quel est, à votre avis, le profil du joueur moyen sur le continent ?
Je dirais que c’est un jeune qui a connu des jeux vidéo dans sa tendre enfance. Parce que s’il ne les a pas connus dans sa tendre enfance, en général à l’adolescence il a d’autres problèmes. Il a entre 13 et 25 ans, il est dans les villes, pas dans les villages, et dans ce qu’on appelle ici une famille moyenne : des parents ou un parent qui travaille, qui a accès à un smartphone – que ce soit le sien, celui d’un grand-frère ou d’un oncle – et une console aussi. Même s’il joue chez des amis.
Et quelles sont les forces du jeu vidéo africain ?
Le fait d’avoir été colonisé par, un peu tout le monde – notamment au Cameroun – nous a donné une énorme élasticité culturelle. C’est-à-dire que quand nous faisons un jeu en Afrique, on a l’opportunité de faire un jeu qui est compris à la fois aux Etats-Unis, en Chine, en Europe. Parce qu’on peut donner des vues centrales à plusieurs thèmes. Et puis on a aussi une grosse diversité culturelle qui donne un vivier d’imagination.
Donc la diversité culturelle comme force. Et quelle serait la faiblesse du jeu vidéo africain aujourd’hui en 2017 ?
L’énorme retard technique de savoir-faire. C’est-à-dire qu’aujourd’hui vous pouvez donner 300 millions de dollars, par exemple, à Kiro’o, on ne pourra pas refaire GTA5. Vous nous donnez le même budget on ne peut pas. La prochaine génération de « game designers » du continent ne doit pas émerger du chaos comme nous on l’a fait. Il faudrait qu’il y ait un circuit de formation, d’intégration, qui transmette de l’expérience et qui renforce la qualité de l’industrie.
Par Alexis Guilleu - Source de l'article RFI
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