C’est un nouveau périodique de bande-dessinée, fruit d’une réunion professionnelle et humaine de sept auteurs, tous passionnés par le 9ème Art. La diffusion, la popularisation et la démocratisation de « La » bande-dessinée comme expression artistique, mais aussi citoyenne à part entière, à la croisée de l’écrit et du graphique, est en quelque sorte leur combat.
Aymen Mbarek financier dans le capital « risque », Chakib Daoud informaticien, Needall Ghariani alias « e-revolution », Seif Eddine Nechi, directeur artistique dans une agence de publicité, Noha Habaïeb dessinatrice qui a étudié dans une école de bande-dessinée en Belgique, Zied Mejri, également directeur artistique publiciste, et ADENOV informaticien.
Tous de professions différentes mais avec une âme similairement éprise pour l’art de la B.D, d’abord connus sur le web, via blogs et réseaux sociaux, du moins pour tous les auteurs sauf Aymen Mbarek qui ne dessine pas mais scénarise, l’émergence progressive de leur style les a poussé à la réflexion de créer un magazine de bande dessinée trimestriel. C’est ainsi que « Lab 619 » a vu le jour en Tunisie, sur un territoire presque vierge en matière de B.D ou plutôt déserté depuis un moment par cette dernière. Présenté par ses instigateurs comme « un pari osé ou le secteur de la b.d n’existe presque plus […] en Tunisie, ce magazine a pour ambition de faire entrer le 9eme art dans toutes les maisons ».
La première publication de la revue bédéiste a donc eu lieu au début de ce mois, un « Mars » 2013 qui voit un travail de plusieurs mois auréolé par un acquis de taille : la promotion et la renaissance d’un secteur culturel universel, jusqu’ici anormalement ignoré par la Tunisie. Les sept auteurs y œuvrent depuis six mois au complet, mais l’idée de la revue a germé dans l’esprit du groupe depuis l’été dernier. Vers Septembre/Octobre 2012, leur calendrier de réalisation était fin prêt. De réunions en réunions, de discussions en discussions, beaucoup de pour parlers et de concertations pour un collectif décidé à mettre en place « Lab 619 ».
6 / 1/ 9, trois chiffres symptomatiques du monde industriel et de consommation « éthérée » dans lequel nous évoluons chaque jour jusqu’à l’inconscience. Trois chiffres que la plupart d’entre nous ignorent alors même qu’ils l’aperçoivent quotidiennement en faisant leurs courses, puisque « 619 » est la combinaison numérique qui commence chaque code à barre des produits tunisiens, code utilisé par le commerce et l’industrie.
Le choix d’une nomination engagée car dénonciatrice du cercle infernal lié à la consommation industrielle, atteste déjà d’un objectif pour la revue qui sera également du même ordre, un objectif engagé. Celui de démocratiser un moyen de divertissement et de communication passés sous silence et par des moments très difficiles sous l’ère de la précédente dictature que la Tunisie a connue. Qui dit dictature, dit censure, où il n’y avait pas de b. d, ou si peu. Certes, qui n’a pas été bercé par « Kaws Kouzah », mais peut-on réellement parler de 9°art quand nous l’évoquons ? « Kaws Kouzah » n’est pas plus qu’un loisir pour enfants. Il est loin de répondre aux actuelles exigences graphiques, conceptuelles et formelles que la b.d impose.
Par ailleurs, il n’y a toujours pas de marché tunisien de la b.d, et tenter l’aventure d’un support donné lorsque l’économie de son secteur est paralysée, figure d’emblée un acte risqué voir kamikaze. Toutefois, cela ne veut pas dire que l’on doive en priver le public en Tunisie. C’est du moins ce que clament haut et fort les instigateurs de « Lab 619 ». Ils avouent même faire du « volontariat artistique », citoyenneté oblige. Adoptant pour ce faire, une facture et un esprit de laboratoire où l’exploration côtoie la recherche, aussi bien conceptuellement que techniquement, le collectif « Lab 619 » tend à produire pour les tunisiens une découverte et une redécouverte à chaque fois.
De plus, la cible sera le public attiré par ce genre de format à petit prix, 2 dinars, celui qui n’a peut-être pas les moyens d’acheter des ouvrages entre 15d et 30 d, ou ne veut pas s’alourdir physiquement et financièrement par des formats autres. Nous pensons surtout qu’il y a certainement des tunisiens, comme d’autres nationalités de part le monde, qui aiment lire la b.d tout simplement parce-que c’est le support qui leur plait et qui leur va le plus, à tout point de vue.
La b.d représente un style de vie et un style de pensée, un « way of life » qui n’a aucune limite d’âge. Même si, sous nos cieux, le commun des mortels l’associe bien souvent mais à tort à un jeune lectorat, le support bédéiste n’a pas d’âge. Il n’y a qu’à observer ce qui se passe de part le monde. Il y a divers styles de b.d, entre humour, aventure, parodie, caricature, dérision, humour noir, polar, etc, comme il y a des styles de films ou des styles de pièces de théâtre, cela dépendra de la mise en scène et/ou du scénario. Dans la b.d également, il y a une trame et un synopsis qui fera la différence entre les lecteurs suivant une distinction entre leurs sensibilités.
« Les fans de b.d sont des convertis, nous voulons toucher ceux qui ne s’y intéressent pas à priori, et proposer un support à petit prix, c’est déjà un moyen de les attirer ».
Aymen Mbarek le dit, sur un ton résolument stratégique et sans gêne déplacée, évoquant à juste titre le cas du « Rap » en Tunisie, et en faisant une juste comparaison avec ce cas de figure, puisque le « Rap » qui n’attire pas d’emblée n’importe quel public, a réussi à brasser nombre de tunisiens autour de lui par les messages qu’il transmet et diffuse dans ses chansons, et surtout les paroles de ses chansons. C’est d’ailleurs intéressant de poser une similitude entre les phénomènes « rap » et « b.d », puisque les deux restent résolument populaires, et veulent rester proches du peuple. S’agissant par là-même de lier ou de rassembler deux modèles culturels qui peuvent se ressembler, la bande dessinée véhiculant également des messages.
Si pour ce premier trimestriel du mois de Mars les personnages du « Lab » ont été travaillés et inspirés en commun, ce ne sera pas forcément une ligne éditoriale pour la suite des numéros. Le concept du « Lab » est avant tout l’expérimentation, la manipulation, le griffonnage autant graphique qu’idéel. C’est donc pour cela, que même le travail des personnages ou des histoires, indépendamment pour chaque numéro, préfère s’atteler à la diversification et à la diversité.
L’objectif posé à long terme est d’établir une pédagogie de la culture bédéiste, les auteurs et les créateurs du « Lab » ne voulant pas juste faire une revue de b.d. à succès. Leurs ambitions les plaçant d’avantage dans une perspective de réelle recherche pour l’avancement du secteur de la passion qui les anime.
L’explosion des figures et formes bédéistes qui a eu lieu après la révolution, sa large diffusion via internet et les réseaux sociaux, ont surtout abordé les sujets politiques et les problématiques sociétales, sous le temps de l’ironie, de la satire, voir de l’humour grinçant. Si la b.d tunisienne post-révolutionnaire nous a habitués à cela, est-ce bien là son identité ou sa marque de fabrique ? Dans la mesure où cette dernière en tant que support et expression libres refuse l’archivage et la catégorisation, nous dirons que non.
C’est sur ces filiations que désirent évoluer les auteurs de « Lab 619 », armés d’un grand désir de partage, donc d’une aussi grande volonté de diffusion. Pourtant, la diffusion du trimestriel fut une mission laborieuse. Ne pouvant pas viser la distribution large ou de masse, faute de moyens, tous les auteurs ont cotisé pour une seule caisse, commune, à compte d’auteurs. Avec un prix de vente ne dépassant pas 2 dinars, et qui ne veut pas être dépassé, « Sotupresse », par exemple, n’a pas accepté de les distribuer.
Ne dérogeant pas à la règle, encore un projet intéressant qui s’autofinance, et des librairies tout aussi impliquées dans la culture alternative et non seulement les cultures de masse, qui se chargent de les distribuer.
Ce qui frappe le plus, au début comme au final, c’est la cohésion symbiotique qui existe entre les membres du collectif « Lab 619 ». Leur manière de se comporter, leur attitude de communication au sein du cercle est habitée en elle-même par la dérision et par l’état de «non prise de sérieux déclaré ». Il est évident que ceux qui se « prennent trop la tête » ne sont pas les bienvenus dans ce laboratoire expérimental de jeunes bédéistes expérimentés. Ils ont un regard sur la vie et une vison du quotidien qui se nourrit et se charge d’un point commun évident : l’amour inconditionné de la bande dessinée. Sans oublier le plus important, cet étonnant projet qui les a réunit sous le label du « Lab 619 », avec une appétence de faire quelque chose pour le pays.
La prochaine sortie du trimestriel est prévue pour Juin 2013, dommage qu’il faille attendre jusqu’à là pour découvrir ses nouvelles « péripéties » historiques. De part le format, la légèreté du support, sa manipulation manuelle facile, la vivacité et la souplesse spirituelle de ce qui se trouve à l’intérieur, l’on « mangerait » du « lab 619 » chaque semaine…
Visionner l’entretien avec les créateurs du collectif Lab 619
Par Selima Karoui - Source de l'article Nawat
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